Invitation à répéter

Nous aborderons tout d’abord très rapidement la question de l’invitation à répéter ou refaire une phrase correcte, car elle est dans la lignée directe de la correction immédiate forte. Il s’agit ici pour l’enseignant, après avoir corrigé une erreur, de demander à l’apprenant de répéter la totalité de la séquence, donc d’exprimer, plus encore que dans la correction immédiate, son désir d’entendre la forme correcte prononcée. Il est donc clair que cette réaction s’apparente aussi au béhaviorisme, l’idée étant que répéter la bonne structure conduit à l’automatiser.

Nous avons relevé peu de séquences de ce type, mais nous tenons néanmoins à les aborder pour attirer l’attention sur leur caractère exagérément centré sur la forme, allant jusqu’à omettre totalement la part communicative de l’activité. Elles créent donc des temps uniquement linguistiques, certes courts, mais pouvant conduire à rompre l’acte communicationnel : c’est la raison pour laquelle il peut être artificiel de le poursuivre ensuite. Des phrases telles que « bien, où en étions-nous ? » ne sont en effet pas rares dans ce type de situation.

Ainsi, la séquence 15 montre bien ce type de reprise formelle. Elle s’avère particulièrement intéressante en ce qu’elle implique plusieurs apprenants :

Séquence 15 :
1 Kh   il fait qu’est-ce qu’il lui demande
2 P2 ils vont faire/ ce. qu’elle. demande\ hein/ ils vont faire/.. non pas qu’est-ce que/ ils vont faire CE. CE qu’elle demande\  
3 Kh   ce qu’elle demande
4 P2 vous pouvez le redire Khamila ?  
5 Kh   ils vont f[e]
6 P2 FAIRE/  
7 Kh   ils vont FAIRE/ ce/ qu’elle/ demande
8 Ds   ce qu’elle demande
9 Kh demande c’est très bien  

On voit bien ici que l’invitation à répéter découle naturellement de la correction immédiate forte : en 2, P2 tente de faire reprendre Khamila, comme le montre la pause après l’intonation progrédiente qui est une amorce de phrase (ils vont faire/..). N’y parvenant pas, P2 répète sa correction de façon insistante, provoquant cette fois-ci une prise en 3. La prise s’avère insuffisante pour P2 car elle ne concerne pas la phrase entière, d’où la demande de reprise en 4. L’insistance sur la forme est ici extrême, d’autant que la tournure est d’une grande difficulté. On peut donc se demander s’il est utile pour Khamila de répéter, car la forme employée par cette dernière en 1, si elle ne convient pas à la norme absolue du français, n’en constitue pas moins une séquence de français tout venant totalement compréhensible, que Khamila emploie sûrement fréquemment, et qui est d’ailleurs employée par certains locuteurs natifs. Il est probable que la reprise n’est pas comprise ici par l’apprenante, car elle ne lui est pas expliquée : on voit d’ailleurs à son hésitation qu’elle ne semble pas avoir saisi le problème (il lui faut en effet trois tours de parole pour produire la tournure attendue). On peut également remarquer que la force de la reprise amène plusieurs autres femmes à répéter : on voit donc que la correction peut, d’une façon générale, servir aux autres apprenants. Toutefois, il nous semble clair que le contrat didactique introduit ici par P2 est excessif car très autoritaire : l’apprentissage n’est pas, on le voit ici encore, conçu comme un savoir à construire mais bien comme des tournures à automatiser. La norme du français est en outre exagérément mise en avant : il ne semble plus s’agir ici d’enseigner un « français de survie » mais plutôt un français standard voire soutenu. Enfin, la prédominance de l’attention portée à la forme est ici parfaitement visible : loin d’être dissociés, les temps formel et communicationnel sont confondus, et le premier en vient à éclipser complètement le second. Nous verrons dans la troisième partie (cf. 3.2.3.) que ce type de confusion peut produire des échanges particulièrement faussés.

Sans concerner uniquement l’erreur, le fait de demander à un apprenant qui communique de faire une phrase, par exemple lorsqu’il répond par des mots isolés, équivaut selon nous au même traitement artificiel de la communication. Il appartient également à la démarche béhavioriste puisqu’on demande en général à l’apprenant de faire une phrase simple, qu’on estime de son niveau. En conséquence, il s’agit d’une sorte de révision de l’apprentissage, conçu comme découpé en étapes minimales, relativement proche des tendances de la méthode audio-orale. De plus, il amène à considérer l’absence de phrase comme une erreur, insinuant ainsi l’idée contestable qu’on ne peut être intelligible qu’avec une syntaxe parfaite. Enfin, il tend lui aussi à refuser l’aspect constructiviste de l’apprentissage : en effet, il amène à considérer que tout apprenant s’approprie la langue d’une façon identique, et nie en quelque sorte l’idée qu’il y a autant de stratégies d’apprentissage que d’apprenants. Il est pourtant possible de démontrer que dans les premiers temps de l’apprentissage, c’est le lexique qui est privilégié, puisqu’il contient évidemment beaucoup plus d’éléments de sens que la syntaxe. Il est donc courant, et en tous cas non condamnable, qu’un apprenant débutant ait tendance à s’exprimer par des mots, et à acquérir plus tardivement la syntaxe de la langue-cible.