Nous allons maintenant envisager un type de traitement de l’erreur qui, comme ceux qui suivent, se rapproche davantage d’une conception constructiviste de l’apprentissage. Il s’agit en effet de signaler une erreur à l’apprenant après sa production, et de l’amener à réfléchir sur celle-ci. Dans le cas de ce que nous appelons avertissement discriminatoire, l’enseignant reprend l’erreur en la mettant en contraste avec la forme correcte et en proposant un choix à l’apprenant. En général, ces séquences apparaissent lors des temps de lecture orale. D’autres discriminations ont été remarquées lors des cours, mais nous ne les avons pas traitées ici, car elles conservent un aspect directif qui est absent dans le traitement qui nous intéresse présentement : en effet, par exemple dans la séquence 15 (tour de parole n° 2), on voit apparaître une opposition du type attention ce n’est pas X mais X’, qui procède effectivement par contraste mais de façon péremptoire.
Au contraire, dans cette séquence, P1 revient sur la lecture de Sariay, au cours de laquelle elle a lu la phrase on va donner à chacune d’entre vous en prononçant chacun, et l’amène à réfléchir sur son erreur sans clairement lui dicter la forme correcte :
1 | P1 | (après la lecture) oui alors là il y avait juste quelque chose on va donner à chac- vous&vous allez me dire la différence/ si je dis on va donner à chaCUN de vous un petit livret. et si je dis on va donner à chaCUNE de vous un petit livret\ qu’est-ce que vous avez d’écrit ici/ | |
2 | Sar | euh c’est&c’est féminin | |
3 | P1 | voilà donc c’est cha-cune hein et quand vous avez lu moi j’ai cru entendre chacun (…) |
Ce traitement de l’erreur a plusieurs avantages, comparé aux précédents. En effet, il permet tout d’abord, en étant différé, de laisser l’apprenant finir sa production sans l’interrompre. De plus, il fait appel aux capacités de réflexion de l’apprenant, et tente de les mettre en valeur. Nous avons d’ailleurs remarqué, dans toutes dans les séquences observées, que ce traitement était bien accepté par les apprenants et suscitait toujours une réaction de compréhension : cela nous paraît normal puisque c’est bien la compréhension et non la répétition qui est visée ici, et que l’enseignant laisse à l’apprenant sollicité le temps de répondre.
D’autre part, son aspect discriminatoire nous paraît fort intéressant, car il a le mérite de mettre en avant le fait que l’erreur commise a son importance, puisqu’elle peut amener à confusion avec un autre terme : il est donc moins arbitraire qu’une correction immédiate par injonction de répéter ; on sait en outre que le travail sur des contrastes est un bon moyen d’apprendre, en phonétique comme en grammaire, car il permet de conceptualiser des faits de langue en prenant conscience de leur importance au niveau du sens. Mais encore faut-il trouver des paires minimales, c'est-à-dire des oppositions judicieuses. En effet, ici, l’opposition féminin/masculin fonctionne parfaitement, et Sariay, en 2, montre qu’elle la connaît. Par contre, en cas d’absence d’opposition pertinente, ce traitement ne fonctionne pas aussi bien. Ainsi, nous avons relevé une séquence de même type, mais qui a été beaucoup moins bien acceptée par l’apprenant, parce que la paire proposée n’était pas judicieuse : le mot sourire, lu indûment [suriz], a donné lieu à une opposition avec le terme cerise (« attention est-ce que c’est un grand cerise ou un grand sourire ? ») : cette remarque a été mal prise car la confusion était ici impossible, et l’erreur légèrement portée en ridicule. Le traitement par discrimination n’est donc judicieux que lorsqu’il est motivé.
Nous souhaiterions ajouter que ce traitement est également intéressant parce qu’il constitue une façon de sélectionner une erreur dans la lecture de l’apprenant, au lieu de tout reprendre. De plus, son existence nous montre que les enseignants observés n’adoptent pas une démarche strictement béhavioriste, puisqu’ils acceptent ici de répéter l’erreur pour la faire retravailler : ce n’est donc pas un rejet radical de tout énoncé erroné. Notons malgré tout que ce traitement reste quelque peu artificiel, car il est assez facile de deviner quelle réponse est attendue par l’enseignant 9 . Il nous donne néanmoins une piste de réflexion vers un signalement de l’erreur efficace pour l’apprentissage : le travail sur des énoncés erronés par opposition, dans l’optique d’un signalement différé de l’erreur.
Il permet néanmoins d’amener, dans certains cas, des activités de conscientisation intéressantes : nous en verrons un exemple dans la séquence 31, en troisième partie.