Correction différée

Hormis le signalement par discrimination, traitement différé de quelques secondes, nous avons pu relever, au cours de nos observation, une seule séquence de jeu de rôle avec correction différée réelle : l’enseignante est ainsi très peu intervenue pendant le jeu de rôle des deux apprenantes, sauf lors de deux pannes où elle a donné le mot manquant, ainsi que pour encourager les deux personnes. Par correction différée effective, nous entendons donc l’absence totale d’intervention pendant la production, avec reprise ultérieure d’une sélection des erreurs les plus gênantes. Ce traitement s’est révélé rare mais intéressant, car il a pour effet de dédramatiser l’erreur, la faisant apparaître comme normale, au milieu d’une production valorisée car complètement libre.

Ainsi, la séquence 17 comporte une sélection des éléments repris par l’enseignante après le jeu de rôle de Kate et Magda, débutantes lors de leur arrivée au Centre Social. Il s’agit de rejouer une séquence vue en vidéo. Les erreurs reprises portent sur les phrases suivantes, prononcées par Kate :

parce que- je suis un peu nerveu[z]&nerv[us]& nerv[us]/ (alors qu’elle joue le rôle d’un homme)

mais maman je suis pas dix ans/ j’ai pas un enfant…

on se voit chaque jour\ et comment tu trouves Nadia/ tu sais Nadia/ tu sais déjà Nadia/

L’échange simulé, ainsi que la correction proposée, n’ont pas été repris ici dans leur totalité pour d’évidentes raisons de concision, c’est pourquoi nous avons indiqué ci-dessus la transcription des erreurs reprises par P1 10 , qui vise à faciliter la lecture de l’extrait suivant :

Séquence 17 :
1 P1 et pourquoi alors vous avez dit pourquoi/ tu as des soucis ou hein/ vous avez dit je suis nerveux hein/ je suis nerveux. vous avez dit nerveuse/ nerveuse c’est pour une fille/ et nerVEUX pour un garçon\ mais c’est très bien on a compris.. de toute façon ce qui compte c’est de communiquer de parler/ et puis petit à petit hein ça se met en place hein\ et là c’était très bien\ alors qu’est qu’y avait d’autre/ qu’est-ce ce que vous en avez pensé de: qu’est-ce qu’elles ont aussi inventé ou changé un petit peu/  
  (…)    
2 P1 et puis qu’est-ce qu’elles ont: aussi euh: Kate elle a dit pas mal de choses/ elle a.. quand vous aviez à parler  
3 ?   de Nadia et de[
4 P1 ah oui comment vous la trouvez. comment tu la trouves hein c’est ça/  
5 Na   non&non
6 P1 tu la COnnais\ voilà hein. tu la connais\ parce que c’est différent connaître et savoir  
7 K   oui
8 P1 tu sais. je vais venir cet après midi te voir\ on peut pas dire tu SAIS quelqu’un  
9 K   ah
10 P1 hein tu COnnais voilà je connais Khamila parce qu’elle vient chaque semaine\ est-ce que vous connaissez euh: l’hôpital euh Edouard Herriot/... vous connaissez euh Kate l’hôpital Edouard Herriot/  
11 K   oui
12 P1 oui/ voilà hein d’accord\ est-ce que vous SAVEZ comment y aller/ vous savez comment on peut aller  
13 K   XXX oui
14 P1 oui voilà\ je SAIS aller à Edouard Herriot mais je CONNAIS Edouard Herriot.. enfin bon c’est un peu.. bon et surtout là c’est. tu connais Nadia\ on peut pas dire tu sais Nadia  
15 K   oh oui d’accord XXX
16 P1 hein/  
17 K   mais on sait euh:/
18 P1 quelque chose\ voilà ou XXXX. ça va hein/ alors qu’est-ce que vous avez encore- qu’est-ce que vous pensez de leur petite interprétation là/ qu’est-ce qu’elle ont euh: elle a bien dit hein au début qu’elle était pas/.. elle avait pas douze ans\ oui c’est ça vous avez dit je ne SUIS pas douze ans/ attention\  
19 K   ah\
20 P1 je n’/  
21 Ds   n[
22 P1 N’AI pas douze ans hein/ voilà mais ça c’est des petits détails parce qu’en anglais euh: ça fonctionne comme ça mais- vous comprenez hein/ petit à petit ça:.. quoi d’autre/ je suis pas un enfant.. voilà… bon alors quelqu’un a envie de le re&refaire une fois/  
  (…)    

Sans chercher à analyser en détail cet exemple, nous aimerions en relever les principales caractéristiques. Tout d’abord, notons un aspect relativement monologué de la prise de parole de P1, qui semble solliciter les autres apprenants (qu’est-ce que vous avez pensé de…, en 1) mais ne les enjoint pas à proposer eux-mêmes une correction pour les phrases reprises, ce qui aurait pu être judicieux dans l’optique d’une interaction entre apprenants. En effet, nous pouvons noter plusieurs interruptions et chevauchements de parole qui montrent que l’enseignante tient quelque peu à rester au centre de la conversation. Par contre, malgré cette correction peu interactive, on note que l’apprenante est impliquée : elle acquiesce souvent et pose une question, en 17, visant à s’assurer qu’elle comprend et peut-être à demander une précision. On voit bien ici que la correction répond à un questionnement déjà présent chez Kate, et que, par conséquent, elle est favorable à l’apprentissage, car elle permet, hors de l’acte de communication, un temps de réflexion sur la forme. Ce traitement correspond en quelque sorte à ce que Ch. Tagliante qualifiait de pause-grammaire ; elle correspond du moins à ces exigences en ce qu’elle évite d’interrompre la production d’un apprenant. Elle est donc bien plus respectueuse qu’une correction immédiate, tout en pouvant avoir un effet aussi, voire davantage, profitable.

Ce traitement permet en outre de donner des explications à l’apprenant, ce qu’une injonction de répéter ne faisait pas. Il contribue donc à une démarche constructiviste, car la correction va être adaptée à l’apprenant, son niveau, son profil, par la sélection des problèmes les plus pertinents et une reprise laissant place au dialogue. Bien sûr, on reste ici dans un système frontal, puisque c’est toujours l’enseignant qui détient et transmet le savoir, mais la démarche n’en est pas moins plus favorable aux apprenants. On notera également les remarques de tendance communicative de P1 en 1, « l’important c’est de communiquer », et en 22 « voilà mais ça c’est des petits détails », preuves que l’erreur est ici acceptée, sans être conçue comme un élément à éviter : cela ne peut qu’avoir un effet libérateur sur les apprenants, l’enseignant devenant une aide plutôt qu’un juge. En effet, ce public, vivant en France, doit pouvoir communiquer sans peur de l’erreur, de la même manière qu’il est susceptible de le faire dans ses échanges quotidiens hors du Centre Social.

Nous ne souhaitons pas nous attarder sur la démarche elle-même utilisée par P1, encore assez directive, comme en 20 où elle amorce la phrase sans attendre les suggestions des autres apprenants. Toutefois, nous aimerions pointer ici un fait qui sera repris, à l’aide d’un exemple encore plus flagrant, en troisième partie (3.2.3.) : la confusion des temps formel et communicationnel peut créer certains problèmes de compréhension chez les apprenants, et n’est donc pas toujours judicieuse. Ainsi, en 10, il est intéressant de noter que P1, après ses explications sur la différence savoir/connaître, tente de la faire comprendre à Kate en lui posant réellement la question (est-ce que vous connaissez l’hôpital Edouard Herriot ?), rompant ainsi le temps formel par une intrusion communicationnelle. La pause longue qui suit cette question montre bien que Kate ne la saisit pas de prime abord, pensant sûrement avoir affaire à un nouvel exemple magistral dans la lignée du précédent. P1 est donc contrainte de lui adresser une nouvelle fois sa question. Elle reprendra ensuite en 14 une correction de type explicatif.

Notes
10.

Il est à noter que, dans notre tableau récapitulatif (2.1.), nous avons indiqué le chiffre 5+ concernant l’absence de correction en jeu de rôle : il est en effet impossible autant qu’inutile de compter le nombre d’erreurs exact dans une telle séquence, car cela reviendrait à s’attacher de trop près à la forme lors même que la production, libre, est tout à fait intelligible.