Néanmoins, pour étudier les causes des erreurs en vue de sélectionner la remédiation convenable, il est nécessaire de se remémorer quelques problèmes. Tout d’abord, nous avons vu que les interlangues des apprenants, en tant que systèmes individuels, sont extrêmement variables. Dès lors, il faudra retenir que, comme le montrent Porquier et Frauenfelder :
‘« Une même erreur formelle, observée chez des apprenants différents, peut renvoyer à des systèmes individuels différents et nécessiter des analyses différentes. »Ainsi, même dans le cas où une erreur aura été efficacement traitée avec un apprenant, il ne sera pas forcément possible pour l’enseignant d’appliquer ce même traitement avec un autre élève. La saisie dépend, nous l’avons vu, de multiples facteurs dont celui, inaccessible, des motivations affectives de l’apprenant : en conséquence, c’est bien sur l’apprenant que doit se baser d’abord la correction, et non sur l’erreur conçue dans sa réalisation absolue. D’autre part, nous savons qu’à l’inverse, une séquence linguistique juste peut très bien correspondre à une hypothèse fausse sur la langue : nous avons vu par exemple, dans la séquence 11, que la tournure « pas d’villes », obtenue après la correction « pas d’arbres », pouvait révéler sous un aspect non erroné une généralisation de l’élision. La seule possibilité de détection d’une telle erreur d’hypothèse sera l’observation et la vigilance : si elle est liée à une hypothèse fausse, elle devrait tendre à réapparaître dans d’autres contextes. On voit ici l’intérêt, pour la pédagogie, de susciter l’apparition d’erreurs chez les apprenants dans l’optique de travailler un point de grammaire par exemple. Partir de productions erronées réellement prononcées par les apprenants est sans conteste un bon moyen de provoquer leur réflexion et par là de favoriser l’apprentissage. En raisonnant ainsi sur des énoncés concrets, qu’on aura pu relever manuellement ou enregistrer au magnétophone, les apprenants seront davantage impliqués et prendront plus facilement conscience de leurs hypothèses d’interlangue.
En outre, nous tenons à attirer l’attention du lecteur sur le fait que l’interlangue, en tant que système en construction, est en constante évolution. En conséquence, des remaniements peuvent s’y opérer en permanence, et il est à retenir que les règles qui la composent mettent un certain temps à se systématiser. En effet, Porquier affirme que :
‘« L’une des caractéristiques des systèmes intermédiaires [interlangues], c’est leur relative instabilité et, même en cas d’auto-correction immédiate, "la réalisation de la faute est le signe que la compétence n’est pas solidement acquise et que, bien qu’existante, elle reste fragile" ». (Porquier, 1977 : 29)’Comme on le voit, pendant la phase de systématisation, on pourra trouver chez l’apprenant des erreurs de performance, qualifiés par Bange de problèmes d’exécution. Il s’agit alors de lapsus, qui peuvent donner lieu à autocorrection. D’après Porquier, l’autocorrection permet de pointer une règle non automatisée mais en partie acquise. L’intérêt de laisser une place à l’autocorrection dans la classe est donc bien justifié : il permet à l’enseignant de se tenir au fait du niveau d’interlangue de ses apprenants, et, s’il reste conscient de la précarité de ce système individuel, de proposer des tâches de systématisation des acquis en fonction des problèmes relevés. D’autre part, lorsque c’est possible, il est plus judicieux d’amener l’apprenant à se remémorer de lui-même (ou par le biais d’un de ses pairs) la règle en question, plutôt que de lui donner d’emblée la réponse par correction immédiate : la mémorisation en sera plus efficace, et, si l’autocorrection échoue, la reprise par l’enseignant en sera favorisée, l’apprenant étant en état de recherche, donc davantage disposé à la saisie.
On voit ainsi la difficulté de mettre en place un traitement efficace de l’erreur : il n’existe pas de règle permettant de décrire l’attitude à adopter, mais seulement des principes et des orientations méthodologiques guidés par la démarche constructiviste. Ces remarques peuvent, nous en sommes consciente, créer le doute chez le lecteur, puisqu’elles mettent en évidence l’impossibilité d’apporter une réponse définitive au problème du traitement de l’erreur. Elles nous semblent néanmoins importantes dans la mesure où elles constituent des pistes de réflexion indispensables à l’enseignant : la nécessité d’une sélection permanente de l’erreur, du traitement et du moment de la correction, se trouve justifiée entre autres par la diversité des interlangues des apprenants, ainsi que la variabilité intrinsèque de chaque interlangue. En effet, seule la règle de questionnement permanent et de prise en compte du profil individuel des apprenants semble valoir, ce qui rend nécessaire l’adaptation systématique à la situation empirique de la classe 18 . La difficulté de sélectionner les erreurs à traiter, abordée ci-dessus, apparaîtra encore plus clairement par la suite : en effet, nous allons voir qu’il arrive à l’enseignant d’identifier comme erreurs des séquences qui s’avèrent correctes ou intéressantes, surtout lorsque ses attentes prennent le pas sur la situation d’enseignement-apprentissage.
Notons que celle-ci peut être plus ou moins facile à mettre en place : par exemple, un nombre limité d’apprenants favorisera de beaucoup les possibilités d’adaptation offertes à l’enseignant.