3.4. Elargissement : du traitement de l’erreur à l’évaluation

Toutes ces réflexions sur le traitement de l’erreur nous conduisent naturellement à nous pencher sur le problème, fondamental dans l’enseignement, de l’évaluation. En effet, cette question ne s’est pas posée précisément dans la situation spécifique étudiée, puisque l’institution auprès de laquelle nous avons effectué nos recherches ne dispense ni certifications, ni diplômes, et cherche essentiellement à aider chaque apprenant à améliorer sa compétence en français, de façon à faciliter son intégration dans la société française. Cependant, nos recherches nous ont amené à élargir notre raisonnement au traitement de l’erreur dans toutes les situations d’enseignement-apprentissage. Par conséquent, la question de l’évaluation de la compétence en langue se pose d’elle-même. En effet, cet aspect fondamental de bien des situations d’enseignement est en corrélation directe avec la question de l’erreur puisqu’elle a longtemps pris la forme d’un contrôle de connaissances dans lequel l’erreur (ou plutôt la faute) était comptabilisée et sanctionnée.

Or, si, comme nous l’avons vu, l’erreur s’avère un moyen d’apprendre sur lequel il y a lieu de s’appuyer, l’évaluation en classe de langue ne peut plus être conçue comme une « chasse » aux erreurs qui conduirait, comme les démarches traditionnelles ou béhavioristes, à exclure toute production erronée comme un élément non acquis de la leçon. Une telle démarche ne peut en effet qu’être nuisible à l’apprentissage, puisque, comme l’affirme ‘ J. ’Bozon-Patard :

« Lorsqu’elle [l’évaluation] est centrée exclusivement sur le contrôle et sur la correction de l’erreur, elle révèle une conception normalisatrice de l’apprentissage, et, d’autre part, par son côté jugeant, voire traumatisant, elle pousse l’élève au silence et à la non-prise de risque. Peu à peu, dans sa tête, se forme l’idée qu’apprendre une langue, c’est d’abord chercher à éviter les erreurs » (GFEN, 2002 : 177).’

Ainsi, on le voit, les enjeux de l’évaluation, qu’elle soit écrite ou orale, sont identiques à ceux du traitement de l’erreur : celle-ci comporte des risques similaires (peur de l’erreur, stratégies d’évitement, etc.), et il est par conséquent impensable, dans une démarche constructiviste qui privilégierait un traitement de l’erreur tel que décrit plus haut, de mener une pratique d’évaluation classique, car celle-ci viendrait annihiler toutes les tentatives mises en place par l’enseignant. En conséquence, il y lieu de repenser l’évaluation.

Nous n’entrerons pas dans les détails de ce sujet qui mériterait des recherches plus approfondies, d’autant qu’il ’existe, en didactique des langues, une littérature critique florissante sur ce point. Cependant, ‘ nous souhaitons avertir le lecteur de la nécessité de concevoir l’évaluation comme un moyen d’apprendre et non plus comme une sanction finale. En effet, cette dernière constitue bien, en soi, un mode de traitement de l’erreur, et doit par conséquent s’inscrire dans la même optique méthodologique que celui-ci. ’ Dès lors, comme pour le traitement de l’erreur, l’évaluation en langue doit porter non pas uniquement sur la forme mais bien sur toutes les composantes de la compétence de communication : elle devra donc tenir compte aussi bien des savoirs linguistiques que des savoirs de type communicatif. Dans une évaluation portant sur l’expression orale, il y aura ainsi lieu de mettre en valeur les aspects non-verbaux ou paraverbaux du langage, les stratégies de communication et actes de parole utilisés, etc. On déterminera donc des critères permettant de pondérer chaque aspect à évaluer, et qui incluront la correction linguistique sans toutefois la faire forcément prévaloir. De plus, dans l’optique de valoriser les éléments positifs plutôt que de sanctionner les erreurs, ces critères tendront à mettre en avant les compétences propres de l’apprenant en fonction des objectifs spécifiques évalués : des points positifs pourront ainsi être attribués pour chacun des critères, afin de mettre en valeur ce qui est acquis plutôt que ce qui n’est pas su ou mémorisé.

Enfin, l’évaluation devrait, comme le traitement de l’erreur, être pour l’apprenant un moyen de construire un savoir, et de l’amener à réfléchir sur ses stratégies d’apprentissage afin d’améliorer sa compétence. Elle devrait donc être considérée comme formative, c'est-à-dire qu’elle sera envisagée sur le long terme, comme prenant part à l’apprentissage. En effet, comme l’affirme Tagliante :

‘« Cette évaluation, si elle est totalement intégrée à l’apprentissage, du début à la fin du cursus, va être un appui, une aide. Elle ne sera plus une sanction mais plutôt un outil, dont on se servira pour construire l’apprentissage, dans la durée, en sachant vraiment où l’on va. » (Tagliante, 1991 : 12)’

Ainsi, dans l’enseignement, l’évaluation doit devenir un outil d’apprentissage, et non plus une vérification de l’apprentissage. Pour ce faire, dans une approche communicative, il faudra d’emblée la considérer en trois temps, indissociables, et visant le même objectif, à savoir le progrès de l’apprenant : une évaluation initiale, en début de séquence pédagogique, permettra de déterminer l’état des savoirs et savoir-faire préalables de chaque apprenant, et de déterminer par conséquent les objectifs à atteindre. Une seconde phase, l’évaluation continue, se fera au fur et à mesure du parcours d’apprentissage : elle sera un moyen, pour l’enseignant comme pour l’apprenant, de mesurer les compétences acquises et les éléments à perfectionner pour atteindre l’objectif spécifique. Elle sera également déterminante dans le choix des activités à élaborer par la suite. Enfin, une évaluation finale permettra de constater l’étendue des nouvelles compétences acquises, et de considérer avec l’apprenant que l’objectif est atteint (d’après Tagliante, ibid.).

Ainsi conçue, l’évaluation devient le symbole du contrat didactique entre l’enseignant et sa classe : elle favorise l’autonomie et l’action dans l’apprentissage, ainsi que l’appropriation d’un parcours individuel pour l’apprenant ; elle contribue à la prise de conscience, et permet également la mise en place d’une pédagogie différenciée, notamment dans la phase continue, où l’enseignant pourra faire mener à chacun des activités différentes selon les compétences à travailler. Dès lors, dans une telle approche, le traitement de l’erreur, en production orale mais également à l’écrit, pourra être conçu comme faisant partie intégrante de la pratique d’évaluation formative : en devenant lui aussi moyen d’apprendre, ainsi que moyen de vérification et de mise en valeur des acquis, il contribue à faire de l’erreur l’élément sans lequel la construction du savoir ne peut s’effectuer, et donc le noyau de toute situation d’enseignement-apprentissage.