1.1. Études de lésions provoquées chez le singe

Deux types de données provenant d’études réalisées chez le singe ont apporté des arguments à la théorie d’Ungerleider et Mishkin. Premièrement, des données neuroanatomiques et neurophysiologiques soutiennent l’existence d’une dichotomie entre les deux voies de traitement (Mishkin & Ungerleider, 1982 ; Van Essen, 1985). Les aires visuelles de la voie dorsale semblent avoir des propriétés différentes de celles de la voie ventrale : (i) elles incluent rarement la fovéa dans leurs champs récepteurs, (ii) elles sont sensibles à la direction du mouvement, (iii) elles ne sont pas particulièrement sensibles à la forme et à la couleur et (iv) certaines cellules répondent sélectivement à la localisation d’un objet. Deuxièmement, des données comportementales fournissent des preuves en faveur de l’existence de représentations distinctes pour le «what” et le «where” et du rôle critique des lobes temporal et pariétal, respectivement, dans le traitement de ces représentations. Par la méthode des lésions, une double dissociation des effets des lésions provoquées au niveau des lobes temporal et pariétal a été mise en évidence, dans une expérience devenue célèbre. Dans cette expérience (par exemple, Ungerleider & Mishkin, 1982), deux couvercles étaient placés devant des singes qui devaient apprendre, au cours de tests, à discriminer entre les couvercles celui qui renfermait de la nourriture. Dans une tâche (tâche de discrimination d’objets), les deux couvercles différaient par des caractéristiques qui leur étaient propres (par exemple, la forme et la couleur), et qui étaient modifiées de façon aléatoire d’un essai à l’autre, la nourriture étant toujours disposée sous un couvercle présentant toujours les mêmes caractéristiques. Dans une autre tâche (tâche de discrimination de localisations), les deux couvercles étaient gris et un point de repère, une petite tour, était placé à proximité d’un couvercle, sa position variant d’un essai à l’autre ; dans cette tâche, la nourriture était toujours placée sous le couvercle le plus proche de la tour. Les résultats obtenus étaient les suivants : les singes ayant subi une lésion au niveau de leurs lobes temporaux mais ayant préservé leurs lobes pariétaux présentaient beaucoup de difficultés à effectuer correctement la première tâche leur demandant de discriminer des objets, mais n’avaient pas de difficultés majeures à réaliser la seconde tâche leur demandant de discriminer des localisations. D’un autre côté, chez les singes ayant subi une lésion au niveau de leurs lobes pariétaux mais ayant conservé intacts leurs lobes temporaux, le pattern inverse était observé : les singes avaient beaucoup plus de difficultés à apprendre à discriminer des localisations qu’à discriminer des objets (Mishkin & Ungerleider, 1982 ; Pohl, 1973 ; Ungerleider & Mishkin, 1982). Depuis Ungerleider et Mishkin (1982), il est important de souligner qu’une modification certes mineure mais essentielle a été apportée à leur théorie : le système dorsal permet non seulement la représentation de localisations d’objets et de relations spatiales entre des objets distincts, mais également la représentation de relations spatiales entre des parties d’un même objet (Kosslyn, 1987).

Ces études et des études ultérieures (par exemple, Yaginuma, Osawa, Yamaguchi, & Iwai, 1993) ont démontré l’existence de circuits différents des voies ventrale et dorsale dans le cortex visuel extra-strié. Ainsi, il semble exister chez le singe deux voies distinctes impliquées dans le traitement de l’information visuelle : d’une part, la voie ventrale qui relie le cortex strié au lobe temporal inférieur par l’intermédiaire de la partie ventro-latérale du cortex visuel extra-strié, d’autre part, la voie dorsale qui relie le cortex strié au lobe pariétal par l’intermédiaire de la partie externe du cortex visuel extra-strié. La première est spécialisée dans le traitement de la forme et plus généralement des caractéristiques figurales des objets mais également des visages, tandis que la seconde joue un rôle majeur dans les traitements visuo-spatiaux comprenant la localisation, le déplacement de l’attention spatiale et la mémoire de travail spatiale.