2.3.1. Dissociations fonctionnelles mises en évidence dans des études de champ visuel divisé

Plusieurs études qui avaient pour objectif d’obtenir une dissociation fonctionnelle entre les traitements catégoriel et métrique dans les deux hémisphères ont employé la méthode de champ visuel divisé. Cette méthode, qui consiste à présenter sélectivement un stimulus pendant une période très courte dans l’un des deux champs visuels, présuppose que l’hémisphère controlatéral a accès à ce stimulus avant l’autre (Beaumont, 1982 ; Bryden, 1982 ; Springer & Deutsch, 1981). Ce phénomène se manifeste par des temps de réaction plus rapides et moins d’erreurs quand le stimulus est présenté dans le champ visuel droit versus dans le champ visuel gauche (ce qui est le résultat d’un avantage relatif de l’hémisphère gauche) dans le jugement catégoriel. De même, des temps de réaction plus rapides et moins d’erreurs sont observés quand le stimulus est présenté dans le champ visuel gauche versus dans le champ visuel droit (ce qui est le résultat d’un avantage relatif de l’hémisphère droit) dans le jugement métrique.

Les premières études (Hellige & Michimata, 1989 ; Kosslyn et al., 1989) considérant l’existence d’une distinction entre les relations catégorielles et métriques se sont centrées sur l’existence d’effets des champs visuels, indiquant l’existence d’une latéralisation fonctionnelle. La plupart de ces expériences bénéficient d’un paradigme avantageux en utilisant le même ensemble de stimuli dans toutes les conditions. Ce paradigme a été mis au point par Hellige et Michimata (1989). Il consiste à présenter une barre et un point apparaissant au-dessus ou au-dessous de la barre. Les jugements catégoriel et métrique se différencient respectivement par une évaluation abstraite (si un point se situe au-dessus ou au-dessous de la barre) et par une évaluation plus précise (si un point se situe à moins ou à plus de 2 cm de la barre, représentant environ 2° d’angle visuel, étant donné la distance séparant les participants de l’écran). Dans l’expérience de Hellige et Michimata, le point pouvait occuper douze localisations possibles. Dans les deux premières expériences de leur étude, qui en comportait trois, Kosslyn et al. (1989) ont utilisé d’autres types de stimuli et d’autres types de tâches. Dans la première expérience, les stimuli étaient composés d’une ligne fermée délimitant une tache et d’un point se situant sur la ligne ou en dehors de la ligne, extérieure à la tache. Dans la deuxième expérience, les stimuli étaient composés de signes géométriques « plus ” (+) et « moins ” (-). Les tâches catégorielles consistaient à évaluer si le point était situé « sur ” ou « en dehors de ” la tache(Expérience 1) et si le « + ” se situait à droite ou à gauche du signe « - ” (Expérience 2). Les tâches métriques consistaient à estimer si les stimuli étaient séparés de plus ou de moins de 2 mm, représentant environ 0.13° d’angle visuel (Expérience 1) et de plus ou de moins de 1 inch (équivalent à 2.54 cm), ce qui représente environ 1.63° d’angle visuel (Expérience 2) étant donné la distance séparant les participants de l’écran. Enfin, dans leur troisième expérience, Kosslyn et al. (1989) ont repris le paradigme de Hellige et Michimata (1989) consistant en la présentation d’un point se situant au-dessus ou au-dessus d’une barre horizontale. La tâche catégorielle était identique, tandis que la tâche métrique différait dans le sens où le point se situait à plus ou à moins de 3 mm de la barre (représentant environ 0.35° d’angle visuel, étant donné la distance séparant les participants de l’écran), au lieu de 2 cm (2° d’angle visuel), distance utilisée dans l’expérience de Hellige et Michimata (1989). Cette différence avait pour objectif de rendre la tâche métrique plus difficile. Les auteurs (Hellige & Michimata, 1989 ; Kosslyn et al., 1989) faisaient l’hypothèse que, si les deux tâches dépendaient d’un seul processus, c’est-à-dire si les relations catégorielles et métriques n’étaient pas distinctes, alors il ne devrait pas y avoir de différences entre les performances pour les deux tâches entre les deux hémisphères. Au contraire, les résultats ont montré que la tâche métrique était mieux réalisée par l’hémisphère droit, tandis que la tâche catégorielle était mieux réalisée par l’hémisphère gauche. Ce résultat a été confirmé dans des études récentes (Christman, 2002 ; Niebauer, 2001 ; Okubo & Michimata, 2002). Des résultats comparables ont été obtenus chez des adultes normaux en utilisant des stimuli différents (Cowin Roth & Hellige, 1998) et chez des enfants (Koenig, Reiss, & Kosslyn, 1990).

Comme nous l’avons spécifié plus haut, certaines études (Banich & Federmeier, 1999 ; Hellige & Michimata, 1989 ; Kosslyn et al., 1989) ont utilisé des présentations bihémisphériques. Les essais en champ visuel gauche et en champ visuel droit (essais latéraux) sont examinés pour rechercher les effets de la spécialisation hémisphérique, tandis que les essais en champ visuel central et en champ visuel bilatéral (essais bihémichampiques) sont examinés pour étudier les effets de l’interaction interhémisphérique. Dans certaines études, une présentation en champ visuel bilatéral ou une présentation en champ visuel central résultait en des temps de réaction plus rapides par rapport à la présentation en champ visuel unilatéral, indiquant ainsi un traitement conjoint plus efficace des relations spatiales (Hellige & Michimata, 1989 ; Kosslyn et al., 1989, Expérience 3 ; Sergent, 1991b). L’effet bénéfique lié à la redondance des stimuli n’est pas surprenant, mais n’a pas toujours été trouvé (Banich & Federmeier, 1999 ; Hellige, Jonsson, & Michimata, 1988, avec des dessins de visages). En effet, selon Banich et Federmeier (1999), les résultats des essais bihémichampiques fournissent des arguments en faveur des hypothèses de Kosslyn (1987) selon lesquelles la taille d’un champ récepteur visuel ou la taille de la fenêtre attentionnelle pourrait influencer la facilité avec laquelle certains types de traitement spatial peuvent se produire. Plus spécifiquement, le traitement spatial catégoriel pourrait dépendre de cellules comportant des tailles de champ récepteur relativement petites ou pourrait être compatible avec un « focus ”relativement petit de l’attention, tandis que le traitement métrique pourrait dépendre de cellules comportant des tailles de champ récepteur plus grandes ou pourrait être compatible avec un « focus ” plus grand de l’attention. Le pattern de résultats observés par Banich et Federmeier (1999) pour les essais pour lesquels l’information était présentée au centre de l’écran (essais en champ visuel central) était similaire à celui observé pour les essais présentés dans le champ visuel droit, tandis que le pattern de résultats observé pour les essais pour lesquels une information identique était présentée dans chaque champ visuel (essais en champ visuel bilatéral) était similaire à celui observé pour les essais présentés dans le champ visuel gauche. De tels résultats sont cohérents avec la proposition de Kosslyn et al. (1992) selon laquelle un traitement catégoriel est plus adéquat pour des cellules ayant de petits champs récepteurs et un traitement métrique est plus adéquat pour des cellules ayant des champs récepteurs plus larges.

Des recherches réalisées consécutivement aux recherches princeps ont étudié les effets de certains facteurs susceptibles de moduler les patterns de latéralisation. Ces facteurs sont liés aux participants eux-mêmes (sexe et latéralité manuelle), tandis que d’autres sont relatifs aux stimuli (polarité, couleur), au mode de réponse, à la présence ou non d’un feedback, à la tâche (difficulté de la tâche) et à la pratique.