CHAPITRE 2. Étude du traitement des expressions faciales émotionnelles et de l’implication des relations spatiales visuelles dans leur discrimination (cadre théorique)

Les visages humains peuvent être considérés comme un type particulier d’objet complexe. Bien qu’ils semblent assez différents les uns des autres, ils forment en fait une classe de stimuli très homogènes dans la mesure où chaque visage présente les mêmes composants (yeux, nez, bouche, etc.) dans le même arrangement de base. Ainsi, la reconnaissance des visages (Schwaninger, Ryf, & Hofer, 2003) et des expressions faciales (White, 2002) demande de détecter de subtiles différences entre les composants et leurs relations spatiales. Cependant, malgré toutes les déformations que peut prendre un visage, notre système visuel semble avoir peu de difficultés pour identifier ou discriminer les individus et pour percevoir des différences d’expressions faciales. En effet, les visages forment une catégorie pour laquelle nous avons une grande expérience et sont « spéciaux ” dans le sens où ils sont l’un des objets les plus communs que l’on rencontre tous les jours (Lê, Raufaste, & Démonet, 2003). De même, nous avons une grande expérience pour discriminer un sourire spontané, franc, d’un sourire forcé, « commercial ” même si les différences entre les deux sont minimes (Ekman, 1992a ; Ekman & Davidson, 1993).

Par ailleurs, le visage fournit des informations importantes sur la compréhension des émotions, même s’il ne constitue évidemment que l’un de ses nombreux outils pour les étudier. D’après Campos (cité par Azar, 2000, January, p.44), ‘ « ’ ‘  the face is a component [of emotion] (...). But to make it the center of study of the human being experiencing an emotion is like saying the only thing you need to study in a car is the transmission. Not that the transmission is unimportant, but it’s only part of an entire system ». ’Dans notre travail, nous retiendrons principalement des émotions leur expression sur le visage ; ‘ « ’ ‘  elles sont alors une modalité communicative de l'espace extracorporel au sein de l'état central fluctuant » ’ (Vincent, 1994, p.339). « ’ ‘  Il existe une correspondance étroite entre les différents visages des émotions et les signes biologiques de ces dernières. Plutôt que de décider si les uns sont la conséquence des autres, il est préférable de dire qu'ils sont les éléments indissociables d'un état central fluctuant dont ils manifestent le caractère unitaire » ’ (p.352). De plus, Tiffany (Azar, 2000, January, p.47) a admis que «‘  (...) the face is as good a measure [of emotion] if not better than any other one » ’.

Un des objectifs majeurs de cette seconde partie théorique est de réunir deux approches, qui apparaissent comme dissociées dans le champ de recherche de la reconnaissance de l’expression faciale des émotions (de Bonis, 1999). À travers ces deux approches seront exposées quatre hypothèses. La première approche tend à étudier comment l’extraction des traits et l’extraction des relations spatiales sur un visage peuvent influencer la perception ou la reconnaissance de son expression émotionnelle. Nous exposerons (i) l’hypothèse de configuration et (ii) l’hypothèse des relations catégorielles et métriques. La seconde approche tend à aborder l’étude des expressions faciales sous un angle assez différent, en étant plus proche du domaine des émotions proprement dit. Dans ce dernier cas, l’expression faciale constitue un moyen d’étudier les émotions, par leur manifestation directe (Darwin, 1872 ; Ekman, 1993). Nous nous focaliserons sur l’hypothèse de l’existence de sous-systèmes distincts dans le traitement des expressions faciales émotionnelles en abordant (iii) l’hypothèse d’automaticité et (iv) l’hypothèse d’un codage catégoriel et continu. Nous conclurons ce chapitre en proposant que les deux approches sous-tendant l’étude des expressions faciales émotionnelles, consistant en la proposition de l’existence de deux types de mécanismes de traitement distincts, un mécanisme de traitement basé sur l’extraction des relations spatiales et un mécanisme de traitement basé sur l’émotion, pourraient coexister. Une façon de valider cette hypothèse serait de montrer l’existence d’une interaction de ces deux types de mécanismes de traitement, l’un purement visuel, l’autre émotionnel.