1.3. L’information holistique

L’hypothèse holistique considère que les deux types d’information nous permettant de nous souvenir des visages, l’information relative aux traits et l’information de configuration, sont perçus comme une même entité, le visage dans sa globalité. Galton (1879) a proposé que l’information holistique serait plus vitale dans la reconnaissance des visages que l’information provenant des traits individuels ; actuellement, des chercheurs continuent d’approfondir cette hypothèse (voir Bruce, 1988, pour une revue détaillée). Cependant, les preuves empiriques pour soutenir une telle affirmation restent équivoques. Un facteur qui a contribué à la difficulté de résoudre cette question est le manque de définitions claires et acceptées des concepts de traitement holistique et de traitement par traits. L’hypothèse des traits repose sur l’idée que les représentations d’un objet visuel sont organisées de manière hiérarchique, l’objet dans sa globalité étant divisé en portions qui sont explicitement représentées comme des parties (voir Palmer, 1977). Par exemple, une maison serait décomposée par le système visuel en un ensemble de portes, de fenêtres, et d’un toit. La représentation de la maison qui en résulte consisterait en des représentations de ces parties, liées, d’une certaine façon, ensemble. Certains objets seraient décomposés en de nombreuses parties, d’autres en peu de parties ou pas du tout. Dans ce contexte, le fait que les visages soient reconnus de manière holistique signifierait que la représentation d’un visage utile dans la reconnaissance des visages n’est pas composée des représentations des parties des visages, mais plus comme un tout («a whole face). Bien que l’information visuelle provenant des yeux, du nez, etc. soit bien sur incluse dans la représentation du visage, cette information ne serait pas contenue dans des « paquets ” représentationnels correspondant à la partition du visage en ces traits. En d’autres mots, ces parties ou ces traits ne seraient pas explicitement représentés comme des unités de structure en tant que telles dans la représentation finale du visage. Au contraire, les visages seraient reconnus comme des «templates”.

Les principaux auteurs contemporains à défendre l’hypothèse holistique sont Tanaka et Farah. Ils ont proposé (Tanaka & Farah, 1991, 1993) qu’à la fois, l’information spatiale relationnelle et l’information relative aux composants étaient encodées dans une représentation holistique. Les visages à l'endroit seraient encodés comme des ensembles indivisibles dans lesquels les parties individuelles (c’est-à-dire les composants) n'auraient pas de réalité psychologique. Tanaka et Farah (1993) ont soutenu que ‘ « ’ ‘  (...) faces are represented holistically, that is, without explicit representations of the features  ’»(p.228). Ils ont ajouté : ‘ « ’ ‘  by ’ ‘holistic representation’ ‘ we mean one without an internal part structure » ’(p.241). De plus, les auteurs ont mis en évidence que l’identification d’un trait était supérieure quand la reconnaissance se faisait dans un visage que lorsqu’il s’agissait de reconnaître une partie isolée du visage. Cette proposition a été vérifiée pour les visages présentés dans une configuration normale, mais non pour les visages dont les fréquences spatiales étaient brouillées, les visages présentés à l’envers et les objets. Cependant, la distinction entre les notions « holistique ” et « de traits ” ne semble pas dichotomique, puisque les deux types de représentations pourraient être utilisés à différents degrés pour différentes classes d’objets. C’est pourquoi les auteurs ont souhaité reposer la question de savoir si les visages sont reconnus de manière holistique de la façon suivante : ‘ « ’ ‘  does face recognition rely on holistic visual representations to a greater degree than do other forms of pattern recognition?  ’» (Tanaka & Farah, 1993, p.226).

L’hypothèse holistique a deux interprétations possibles concernant la relation existant entre l’information relative aux traits et l’information relative à la configuration (Rakover, 2002) : d’une part, l’interprétation d’accessibilité, qui considère que le visage dans sa globalité est plus accessible en mémoire que ses parties, et d’autre part, l’interprétation de codage, qui considère que l’information de configuration est plus importante que l’information relative aux traits. Les deux interprétations sont très proches. La première interprétation, assimilée à une hypothèse holistique dite modérée, considère que la reconnaissance des visages est principalement basée sur le traitement de configuration et reconnaît que le traitement par traits joue quand même un rôle. La dernière interprétation, qui peut être assimilée à une théorie holistique plus extrême, propose que le traitement par trait joue peu ou pas de rôle, la reconnaissance des visages étant dominée par le traitement de configuration ; dans ce cas, ‘ « ’ ‘  (...) the representation of a face used in face recognition is not composed of representations of the face’s parts, but more as a whole face  ’» (Tanaka & Farah, 1993, p.226). Cette interprétation est la plus populaire (Farah, 1992 ; Farah, Tanaka, & Drain, 1995 ; Farah, Wilson, Drain, & Tanaka, 1995 ; Tanaka & Farah, 1993 ; Tanaka & Sengco, 1997).Enfin, certains auteurs (par exemple, Bartlett & Searcy, 1993) parlent de propriétés «wholistic”, notion très proche de la notion holistique.