3. L’hypothèse d’automaticité

L’hypothèse d’automaticité postule que le traitement de l’expression faciale s’opère de manière automatique ou irrépressible. Cette position est replacée dans un cadre théorique issu de la perspective évolutionniste, telle que proposée par Charles Darwin.

Le père de la perspective évolutionniste des émotions et des expressions faciales en particulier est bien sûr Charles Darwin, dont l’apport dans le domaine de la compréhension des émotions est inestimable. Dans L'expression des émotions, Darwin (1872) a admis le caractère rapide et automatique du processus d'expression et de reconnaissance des émotions sur un visage : ‘ « ’ ‘  si l'on admet que la plupart des mouvements de l'expression ont été acquis graduellement et sont ensuite devenus instinctifs, il semble jusqu'à un certain point probable a priori que la faculté de les reconnaître est devenue instinctive par un mécanisme identique  ’» (p.385). Il a mis en exergue les ratés du comportement humain qui démentent la toute puissance de la volonté et mettent en évidence le fait que l’être humain est agi autant qu’il agit. La théorie évolutionniste postule que l’Homme tel qu’il se présente aujourd’hui est le résultat d’une accumulation de petites modifications qui remontent à l’origine des temps. Ce qui est inné aurait donc d’abord été acquis : l’explication du caractère involontaire et inné des expressions du visage doit être recherchée dans les causes de leur apparition. Pour Darwin, loin d’être un reflet de l’âme réservée aux seuls civilisés, les expressions des émotions sont le résultat imprévisible d’un processus évolutif commun à l’ensemble des ressortissants de l’espèce humaine.

Dans une perspective darwinienne, Edwards (1998) a montré que l’on semble être plus sensible aux caractéristiques temporelles d’une émotion, dans les premiers instants de sa formation. La théorie darwinienne est toujours d’actualité. En effet, Esteves (1999) a postulé que notre équipement perceptif a été modulé par l’évolution, au cours de laquelle la capacité à détecter des menaces potentielles dans l’environnement aurait été importante pour la survie. Cette détection pourrait s’opérer par l’expression faciale : ‘ « ’ ‘  one of the stimuli that have been studied in the context of an automatic cognitive processing is the human face. (…) facial expressions, particularly threatening faces, also can be processed automatically » ’ (Esteves, 1999, p.92). Les résultats de l’étude d’Esteves (1999) ont mis en évidence un biais attentionnel dans la détection des visages menaçants. Les stimuli négatifs ont eu la capacité de capter l’attention. Ainsi, un visage exprimant la colère, présenté parmi des visages exprimant la joie a été détecté plus vite et avec moins d’erreurs, qu’un visage exprimant la joie parmi des visages en colère. De plus, pour Fox et al. (2000), il existait un avantage au cours de l’évolution en faveur des espèces qui pouvaient répondre rapidement à la présence d’une menace potentielle dans leur environnement. Si l’animal attendait pour identifier un objet avant de faire l’action, les chances de survie étaient réduites. Ceci est cohérent avec le traitement automatique des expressions faciales. Enfin, la théorie darwinienne peut être interprétée en termes de comportement d’approche ou de retrait (Davidson & Irwin, 1999) : au cours de l’évolution, savoir ce que les autres ressentent a été utile en tant qu’indicateur du comportement qu’ils se préparaient à adopter. Davidson (1995) a proposé une hypothèse « d’activation antérieure asymétrique ”. D’après cette hypothèse, la région frontale gauche serait associée aux émotions liées aux comportements d’approche alors que la région frontale droite serait associée aux émotions liées aux comportements d’évitement et de retrait. Une interprétation de cette hypothèse consiste à suggérer que les émotions positives seraient traitées préférentiellement par la région frontale gauche, tandis que les émotions négatives seraient traitées préférentiellement par la région frontale droite. Cependant, il s’avère que la perception de toutes les émotions négatives n’implique pas un comportement d’évitement ou de retrait : ainsi, lorsque l’on voit un bébé pleurer (émotion négative), nous aurons tendance à adopter un comportement d’approche.

Par ailleurs, certaines régions cérébrales traitent les expressions faciales émotionnelles même quand leur perception n’est pas l’objet de la tâche requise. Ce résultat est cohérent avec l’idée que les expressions faciales sont traitées de manière automatique (Blair, Morris, Frith, Perrett, & Dolan, 1999 ; Breiter et al., 1996 ; Dolan et al., 1996 ; Keightley et al., 2003 ; Morris et al., 1996 ; Phillips et al., 1997 ; Vuilleumier, Armony, Driver, & Dolan, 2001). De plus, certaines études ont mis en évidence une dissociation neuroanatomique entre le traitement « explicite » et le traitement « implicite » des expressions faciales. Par exemple, Critchley et al. (2000a) ont montré que le traitement explicite évoquait une activité dans les aires corticales visuelles spécialisées dans la représentation des visages et dans l’hippocampe postérieur, aires nécessaires pour l’expression des connaissances déclaratives et la mémoire. En revanche, le traitement implicite recrutait les aires limbiques et paralimbiques (région de l’amygdale, insula et cortex préfrontal inférieur) impliquées dans l’apprentissage conditionné et la représentation des stimuli saillants du point de vue de la motivation. Enfin, des études récentes menées avec des potentiels évoqués (Batty & Taylor, 2003 ; Eger, Jedynak, Iwaki, & Skrandies, 2003) ont montré que l’on est capable d’extraire le contenu émotionnel d’une expression faciale en 80-90 ms.