4.3. Vers un modèle multidimensionnel du codage de l’expression faciale

4.3.1. Une alternative à l’hypothèse de perception catégorielle : une perception continue des expressions faciales

Certaines théories postulent que la relation entre les émotions et les expressions faciales n’est pas si catégorielle, discrète, ou déterministe que la théorie des émotions de base et les arguments en faveur de la perception catégorielle le suggèrent. L’idée que la perception des expressions faciales est discrète est mise au défi par des données, montrant que les jugements de similarité de ces expressions ont une structure continue et graduée, qui permet de rendre compte des représentations conceptuelles et perceptives de l’expression faciale.

La théorie continue a été originellement avancée par Schlosberg (1941, 1952). Elle était basée sur l’observation de son consultant Woodworth (1938), observation selon laquelle les erreurs observées dans la reconnaissance des expressions faciales ont une signification déterministe ; par exemple, les expressions de colère sont plus susceptibles d’être perçues comme du dégoût que comme de la joie ou de la surprise, tandis que les expressions de peur sont plus souvent confondues avec de la surprise qu’avec du dégoût. Schlosberg (1941, 1952) a montré que ces patterns d’erreurs pourraient être incorporés dans un système comprenant deux dimensions continues (agréable – désagréable et attention – rejet) avec l’expression neutre se situant à leur croisement, c’est-à-dire à l’origine ; dans un article publié plus tard, Schlosberg (1954) a ajouté une troisième dimension (endormissement – éveil ou «arousal”). Durant des années, un certain nombre de considérations dimensionnelles similaires de la reconnaissance de l’affect facial ont été proposées. La variante moderne la plus largement citée est le ‘ « ’ ‘ circumplex model ’” (Russell, 1980 ; Russell & Bullock, 1985). Ce modèle comporte une structure similaire au système de Schlosberg (1952), dans le sens où les expressions faciales sont codées comme des valeurs sur deux dimensions continues, le côté agréable ou non, et le degré d’éveil. Russell et Bullock (1986) ont proposé que les catégories des émotions devraient être envisagées comme des ensembles flous. Quelques expressions pourraient avoir une qualité de membre de 1.0 (100%) dans une catégorie particulière ; en revanche, d’autres pourraient avoir des degrés intermédiaires de membre dans plus d’une catégorie, degrés qui se traduiraient par le chevauchement de ces catégories floues. Ils ont trouvé que les catégories se chevauchaient effectivement et ont proposé que l’interprétation des expressions faciales impliquait d’abord d’estimer l’expression en termes de plaisir et d’éveil. Ensuite, nous pourrions éventuellement choisir un label pour l’expression. Suivant l’idée de Schlosberg, Russell et Bullock (1986) ont proposé que des jugements plus fins, plus sûrs, requièrent de l’information contextuelle. Ces arguments, mis en commun avec les arguments issus d’autres études (Carroll & Russell, 1996 ; Katsikitis, 1997 ; Russell, 1980 ; Russell, Lewicka, & Niit, 1989) suggèrent qu’il existe un espace perceptif continu, multidimensionnel, sous-tendant la perception de l’expression faciale, dans lequel certaines catégories d’expressions sont plus similaires que d’autres. Russell (1980) a également montré que lorsque les stimuli sont des mots émotionnels, il existe une structure ‘ « ’ ‘ circumplex ’” similaire à celle des expressions faciales. Cela suggèrerait que ces modèles à deux dimensions ont une forte base conceptuelle. D’un autre côté, certains auteurs ont présenté des arguments qui proposent que des systèmes dimensionnels similaires peuvent aussi rendre compte de la représentation perceptive des expressions faciales ; c’est-à-dire, ils ont montré que les dimensions décrivant la forme physique des expressions faciales sont corrélées avec des dimensions telles que ‘ « ’ ‘ pleasantness ’” et ‘ « ’ ‘ arousal ’”. Frijda (1969), par exemple, a montré que les estimations des traits faciaux expressifs (lèvre supérieur retournée, coins de la bouche retournés, etc.) sont corrélés avec des dimensions qu’il a identifiées comme sous-tendant la représentation de l’émotion.

En résumé, il existe de nombreux arguments pour suggérer que le ‘ « ’ ‘ circumplex model ’” de reconnaissance de l’affect facial de Russell pourrait constituer une description valide, à la fois, des représentations conceptuelles et perceptives (forme structurale) de l’expression faciale. Pour vérifier qu’il résiste aux tests empiriques, ce type de modèle à deux dimensions a été testé avec la procédure de morphing, qui offre un bon moyen d’approfondir cette question (Young et al., 1997).