5. Synthèse

Pour Cooper et Wojan (2000), la distinction entre relations catégorielles et relations métriques permettrait de mieux comprendre la dissociation existant entre, respectivement, la reconnaissance des objets à un niveau de base (y compris le fait de dire ‘«’ ‘ c’est un visage ’”) et la reconnaissance des visages. Ainsi, elle permettrait de spécifier comment les représentations en mémoire utilisées pour ces deux supports (objets versus visages) pourraient différer. Les auteurs ont effectivement proposé qu’une des différences principales entre l’identification d’un visage et la reconnaissance d’un objet à un niveau de base pourrait être la manière selon laquelle les positions spatiales des primitives visuelles de chaque processus sont codées. Même si elle ne nous semble pas assez poussée, l’hypothèse de Cooper et Wojan a néanmoins le mérite de proposer une nouvelle dissociation entre les processus d’identification des visages et la reconnaissance des objets à un niveau de base, qui permet de mieux comprendre ce qui distingue les représentations utilisées pendant ces deux processus. Pour Cooper et Wojan (2000), des arguments contraires à l’idée selon laquelle deux systèmes de reconnaissance séparés (catégoriel et métrique) existent et qu’ils ont des façons qualitativement différentes de coder les relations, seraient de proposer que ces deux systèmes reflètent simplement l’opération d’un seul système de reconnaissance. Ce système encoderait l’information différemment selon les exigences de la tâche. D’après Cooper et Wojan, une telle explication semble improbable, étant donné les résultats d’études réalisées avec la technique de TEP (Sergent, Ohta, & MacDonald, 1992), les études de spécialisation hémisphérique (Davidoff, 1982 ; Wyke & Ettlinger, 1961), les observations de doubles dissociations neurologiques (Farah, 1994) et de l’effet d’inversion. Toutes ces recherches postulent l’existence de deux systèmes de reconnaissance neurologiquement distincts : l’un pour les visages et l’autre pour la plupart des objets à un niveau de base.

Nous inscrivant dans le même courant d’idées que celles de Cooper et Wojan, nous proposons l’existence de deux systèmes de traitement distincts, non pas dans le champ de la reconnaissance des visages mais dans celui de la reconnaissance des expressions faciales. Nous suggérons l’existence de deux sous-systèmes de traitement, le sous-système de traitement des relations spatiales catégorielles et le sous-système de traitement des relations spatiales métriques (voir Kosslyn & Koenig, 1995), chacun intervenant plus spécifiquement selon le jugement requis. Cependant, à notre avis, le fait qu’il existe deux sous-systèmes de traitement séparés n’implique pas qu’il existe un sous-système dédié exclusivement à la reconnaissance générale des expressions faciales (tel que le propose White, 2002). Plutôt, nous proposons que les deux sous-systèmes de traitement des relations spatiales visuelles catégorielles et métriques seraient impliqués tous les deux dans le traitement des expressions faciales. L’intervention plus spécifique de l’un ou de l’autre sous-système dépendrait du type de tâche requise, c’est-à-dire selon que ce traitement implique les relations spatiales catégorielles ou les relations spatiales métriques. Le sous-système de traitement des relations catégorielles serait plus performant que le sous-système de traitement des relations métriques dans la reconnaissance à un niveau catégoriel (par exemple, pour discriminer la valence positive de la valence négative), alors que le sous-système de traitement des relations métriques serait plus adéquat dans la reconnaissance des expressions faciales à un niveau plus fin (par exemple, discriminer deux expressions faciales d’une même émotion différant par leur intensité). Ainsi, le facteur ‘«’ ‘ intensité ”’ nous semble primordial pour mettre en évidence la manifestation des représentations des relations spatiales visuelles métriques et l’utilisation d’expressions faciales prototypiques, insuffisante, pour étudier la manifestation d’un traitement de configuration, catégoriel ou encore continu des expressions faciales. Comme nous le verrons dans le chapitre 4, d’autres techniques ont été utilisées, mais la variation du degré d’intensité apparaît très précise (quand elle est contrôlée par une technique de morphing) et clairement plus écologique (puisque la variation d’intensité est naturelle et est rencontrée dans notre quotidien). Par ailleurs, le côté de l’hémisphère cérébral activé, et de l’amygdale en particulier, peut être dépendant du degré de l’intensité d’une expression faciale : Phillips et al. (1997) ont montré, avec l’émotion de peur, que le traitement des expressions faciales intenses démontrait un avantage de l’amygdale de l’hémisphère droit, tandis que le traitement des expressions faciales moins intenses entraînait un avantage de l’amygdale de l’hémisphère gauche. Ajoutons que les deux conceptions (i) d’un traitement selon deux versants catégoriel et métrique et (ii) d’un traitement selon deux versants catégoriel et continu sont relativement proches. Certains auteurs (par exemple, Shibui, Izawa, Harashima, & Shigemasu, 2003) les considèrent comme synonymes.

Par ailleurs, la question de savoir s’il existe un substrat commun à la perception des différentes émotions de base (en particulier, l’amygdale semble être un bon candidat) ou si des régions cérébrales différentes traitent des expressions faciales différentes est encore ouverte. Cependant, il semble clair qu’un manque de preuves en faveur de l’existence de corrélats neuronaux différents dans le traitement des émotions de base et en particulier des expressions faciales (par exemple, l’amygdale répondant à différentes expressions faciales émotionnelles), ne signifie pas que le traitement des émotions n’est pas catégoriel et serait inévitablement multidimensionnel. En effet, un même substrat neuronal pourrait sous-tendre des émotions différentes (Winston et al., 2003).