4. Discussion

Notre première étude d’IRMf avait deux objectifs majeurs. Le premier objectif était de mettre en évidence l’existence de sous-systèmes distincts impliqués dans le traitement des relations spatiales métriques et catégorielles en testant l’hypothèse d’asymétrie hémisphérique. Celle-ci postule l’existence d’un avantage relatif de l’hémisphère gauche dans le jugement catégoriel et d’un avantage relatif de l’hémisphère droit dans le jugement métrique (Kosslyn, 1987 ; Kosslyn et al., 1989). Il s’agissait de tester cette hypothèse en répliquant des résultats observés dans de nombreuses études réalisées en champ visuel divisé (par exemple, Christman, 2002 ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989 ; Niebauer, 2001 ; Okubo & Michimata, 2002) et dans des études de neuroimagerie (Baciu et al., 1999 ; Kosslyn et al., 1998 ; Trojano et al., 2002). Dans la tâche métrique, nous avons observé une activation du gyrus angulaire droit et du précuneus droit. Rappelons que le gyrus angulaire droit était l’une des structures cérébrales principales activées dans les études d’IRMf de Baciu et al. (1999) et de Trojano et al. (2002). Par ailleurs, cette structure est très impliquée dans d’autres tâches dans lesquelles de l’information métrique précise est requise (Laeng, 1994 ; Michimata, 1997). L’activation obtenue dans le précuneus, bien que non attendue, n’était pas surprenante, puisque cette structure semble jouer un rôle dans la computation de l’information spatiale métrique (Kosslyn et al., 1998) et dans les processus attentionnels (Corbetta, Miezen, Schulman, & Petersen, 1993 ; Posner & Petersen, 1990). En revanche, l’activation au niveau du cuneus gauche était plus surprenante, sauf si l’on considère cette structure comme une partie du cortex visuel associatif (BM 18, 19) dont l’activation a été révélée dans l’étude de Baciu et al. (1999). Dans la tâche catégorielle, nous avons observé une activation du putamen gauche. Bien que cette activation fût localisée au niveau de l’hémisphère gauche, confirmant l’existence d’une asymétrie hémisphérique, la région du putamen n’était pas attendue. En effet, cette région n’a pas été répertoriée comme jouant un rôle dans les jugements spatiaux dans des recherches de neuroimagerie (Baciu et al., 1999 ; Kosslyn et al., 1998). Cependant, ces recherches ont rapporté des activations au niveau de structures variées dans les tâches catégorielles. Par ailleurs, il faut bien admettre que les études de neuroimagerie testant l’existence d’une asymétrie hémisphérique sont encore trop rares pour atteindre un consensus sur la nature des structures cérébrales (de l’hémisphère gauche) activées durant les jugements catégoriels. Néanmoins, nos résultats ont confirmé l’hypothèse d’une asymétrie hémisphérique dans le traitement visuospatial catégoriel et métrique dans les hémisphères gauche et droit respectivement.

Le second objectif de notre recherche était d’examiner l’hypothèse d’un effet de pratique dans la tâche métrique, postulant une diminution de l’activation dans l’hémisphère droit au cours de cette tâche, en particulier au niveau du gyrus angulaire. Dans les analyses comportementales, un effet du facteur « bloc » a été observé à la fois au niveau des temps de réponse et du nombre de bonnes réponses. De plus, une interaction des facteurs « bloc » et « difficulté » a été mis en évidence au niveau des bonnes réponses. Les stimuli estimés comme les plus difficiles (attestés comme plus difficiles par les temps de réponse des participants) semblent être devenus plus faciles dans le second bloc, révélant un effet d’apprentissage. De plus, dans le bloc 1, les participants présentaient de meilleures performances dans le traitement des stimuli faciles que dans le traitement des stimuli difficiles, tandis que dans le bloc 2, les stimuli que nous considérions comme les plus difficiles semblent être devenus les plus faciles, confirmant l’existence d’un effet d’apprentissage pour les stimuli difficiles et montrant peut-être un effet de fatigue pour les stimuli faciles. Dans la tâche catégorielle, aucun effet de bloc n’a été observé ; cette absence d’effet est cohérente avec les études réalisées antérieurement (excepté le cas rare de l’étude de Michimata, 1997). De plus, dans les analyses fonctionnelles, l’analyse de variance conduite dans la tâche métrique au niveau du gyrus angulaire a mis en évidence une diminution de l’activation du gyrus angulaire droit, mais sans augmentation de l’activation du gyrus angulaire gauche. Nous avons ainsi partiellement répliqué les résultats d’IRMf de Baciu et al. (1999) obtenus avec un paradigme bloc.

L’utilisation d’un paradigme événementiel nous a permis de manipuler le facteur « difficulté » et ainsi, d’aller plus loin dans la compréhension du traitement des relations spatiales métriques. Contrairement à un paradigme de type bloc, la présentation des stimuli était relativement écologique, et non contrainte par l’envoi par blocs de stimuli uniquement faciles ou uniquement difficiles. Au contraire, les stimuli étaient présentés de façon entrelacée. Ainsi, le paradigme de type événementiel a permis de coder le facteur « difficulté » en tant que type d’événement particulier afin d’obtenir une carte d’activation spécifique aux stimuli faciles et une carte d’activation spécifique aux stimuli difficiles. L’analyse des données fonctionnelles obtenues suite au jugement métrique a montré une activation au niveau du gyrus angulaire de l’hémisphère droit plus apparente dans la condition « difficile » (activation corrigée) que dans la condition « facile » (activation non corrigée). Ce résultat se doit d’être utilisé avec précaution dans la mesure où une comparaison directe entre les cartes de stimuli difficiles versus faciles n’a pas fait ressortir d’activation du gyrus angulaire droit, reflétant probablement une différence d’activation trop faible. Par ailleurs, nous avons observé une disparition de l’activation du gyrus angulaire de l’hémisphère droit au cours du jugement métrique. Nous proposons deux interprétations à cette observation : premièrement, l’absence d’activation du gyrus angulaire de l’hémisphère droit dans la seconde partie de l’expérience ne signifie pas nécessairement qu’il ne participe plus à la computation de l’information métrique. Étant devenu expert au cours de l’expérience, comme l’attestent la diminution des temps de réponse et l’augmentation du nombre de bonnes réponses observées au cours du temps, le gyrus angulaire droit aurait besoin de moins de ressources pour continuer à effectuer ces computations. Précisons cependant que cette hypothèse pourrait s’appliquer à toutes les expériences utilisant des techniques de neuroimagerie et pourrait nous amener à conclure, dans une perspective extrême, que les structures activées correspondraient aux structures les moins compétentes à effectuer les jugements requis : elles fourniraient alors un effort supplémentaire par rapport aux structures les plus expertes. Nous ne pouvons réfuter cette hypothèse même si elle reste peu probable. Ajoutons néanmoins que des études de champ visuel divisé (Banich & Federmeier, 1999 ; Cowin & Hellige, 1994 ; Hoyer & Rybash, 1992 ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989 ; Michimata, 1997 ; Rybash & Hoyer, 1992) ont apporté des arguments démontrant une disparition de l’avantage de l’hémisphère droit dans des jugements métriques, réfutant l’hypothèse précédente. En effet, la présentation en champ visuel divisé permet d’observer l’implication différenciée de chacun des deux hémisphères cérébraux. Pour les cas où un hémisphère participe plus que l’autre au traitement d’une information, un effet du champ visuel controlatéral sera observé par des indices comportementaux.

Notre deuxième interprétation considère que la diminution de l’activation du gyrus angulaire droit pourrait être le miroir d’un changement dans la stratégie utilisée pour réaliser les jugements métriques. Nous postulons que ce changement vers une stratégie plus optimale pourrait se manifester par le développement de nouvelles catégories. Un indice en faveur de cette interprétation provient des activations différenciées observées pour les stimuli difficiles et pour les stimuli faciles, statistiquement plus robustes pour les stimuli difficiles (obtenues avec un seuil statistique corrigé) que pour les stimuli faciles (obtenues avec un seuil statistique non corrigé). Il apparaît raisonnable de considérer que si une stratégie de catégorisation de l’information métrique s’opère (en termes de catégories « près » et « loin »), elle se mettrait en place plus rapidement avec des stimuli faciles à évaluer qu’avec des stimuli difficiles. Rappelons néanmoins que les différences d’activations n’étaient apparentes qu’avec des effets simples, une comparaison directe entre les activations liées aux deux types d’événements n’ayant pas conduit à une activation plus importante pour les stimuli difficiles. Par ailleurs, cette expérience n’a pas permis de révéler d’augmentation de l’activation de l’hémisphère gauche au cours de la tâche, ce qui aurait pu constituer un indice supplémentaire à la mise en place d’une stratégie catégorielle (Banich & Federmeier, 1999 ; Kosslyn et al., 1989).

Par conséquent, notre expérience ne permet pas de trancher sur l’existence d’un changement de stratégie au cours du traitement métrique, ni, si ce changement s’opère, sur la nature des stratégies élaborées au cours du temps. Néanmoins, nous considérons que les prises en compte (i) d’un paradigme événementiel et (ii) de la notion de difficulté permettront de mieux comprendre la disparition de l’avantage de l’hémisphère droit au cours du traitement métrique.