Hypothèse de l’implication des relations spatiales dans la discrimination des expressions faciales émotionnelles

Pour tester cette hypothèse, nous nous sommes focalisés sur des structures pariétales identifiées comme aires d’intérêt, c’est-à-dire le gyrus angulaire et les lobules pariétaux inférieur et supérieur. Précisons que la définition de ces aires d’intérêt a priori est rare dans des études portant sur des jugements d’expressions faciales émotionnelles, qu’il s’agisse de jugements de la valence ou de l’intensité. En effet, même si des activations de certaines de ces structures ont déjà été révélées dans certaines études antérieures (par exemple, Iidaka et al., 2001), elles restent isolées ; dans notre étude, ces structures faisaient partie d’un réseau d’activations comprenant les lobules pariétaux inférieur et supérieur. Par ailleurs, ces structures étaient activées spécifiquement lors de la présentation d’expressions faciales émotionnelles difficiles à juger, c’est-à-dire proches, dans les tâches d’intensité et de valence (condition correspondant aux expressions peu intenses dans le cas de la tâche de valence). Ce résultat n’est pas surprenant si l’on considère que notre hypothèse postulant une implication des relations spatiales se basait en partie sur des résultats obtenus lors de notre première étude réalisée en IRMf (Expérience 1) ayant mis en évidence l’implication des relations spatiales visuelles dans une condition requérant une discrimination de distance relativement fine (c’est-à-dire les essais les plus difficiles, situés près de la distance de référence). Nous expliquons l’observation d’activations de ces structures pariétales, spécifiques aux conditions d’évaluation d’intensité et de valence les plus difficiles, comme la manifestation d’un traitement s’opérant lorsque la reconnaissance de la valence ou de l’intensité émotionnelle requiert un traitement fin et précis. Winston et al. (2003, p.92) ont proposé que la présentation d’expressions faciales de faible intensité pourrait requérir un traitement cognitif plus important afin de reconnaître ces expressions faciales correctement. Nous proposons que ce traitement et la discrimination en général des expressions faciales ayant des intensités proches seraient de nature spatiale et nécessiteraient l’intervention des relations spatiales visuelles métriques. Celles-ci ne seraient pas dédiées exclusivement à la discrimination explicite des intensités dans une même émotion, mais elles seraient également requises pour discriminer deux émotions différentes, proches dans leurs intensités de l’expression neutre. Notons que le réseau d’activations pariétales obtenu était bilatéral, et non spécifique à l’hémisphère droit, comme nous le proposions d’après l’étude de Baciu et al. (1999). Cependant, cette étude avait spécifiquement mis en évidence une activation au niveau du gyrus angulaire. Dans notre expérience 3 d’IRMf, les structures pariétales activées étaient les lobules pariétaux inférieur et supérieur, structures spécifiquement activées dans l’étude de Kosslyn et al. (1998), de manière bilatérale.

Par ailleurs, nous postulions l’implication des relations spatiales visuelles catégorielles dans la discrimination des expressions faciales émotionnelles. L’existence d’un sous-système dédié au traitement catégoriel n’a pas été démontrée dans notre expérience. Suite aux résultats de son étude dont l’une des tâches portait sur la discrimination d'expressions faciales, White (2002) a conclu au rôle des relations catégorielles dans la discrimination des expressions émotionnelles d'un visage. White présentait des photographies issues de la base de données d’Ekman et Friesen (1976) et n’a ainsi, en raison du caractère prototypique des expressions, pas pu considérer des modifications subtiles d’intensités. Sa conclusion du rôle des relations catégorielles dans la discrimination des expressions faciales doit donc être relativisée. Ainsi, nous proposons plutôt que la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles prototypiques, ou la discrimination entre deux expressions n’exigeant pas une discrimination fine, par exemple entre deux expressions différentes ayant de fortes intensités, seraient perçues de manière catégorielle, selon la proposition de certains auteurs (Calder et al., 1996b ; Young et al., 1997). Cependant, les résultats obtenus dans notre expérience 2 (voir la discussion sur l’hypothèse CP) et notre proposition très spécifique ci-dessus, nous conduisent à rejeter l’hypothèse forte d’Etcoff et Magee (1992) selon laquelle l’assignement des expressions faciales à une catégorie est irrépressible.

De plus, dans la tâche spatiale métrique de notre expérience 1, nous avions observé une disparition, avec la pratique, d’un avantage de l’hémisphère droit au niveau du gyrus angulaire, zone pariétale définie comme aire d’intérêt. Ainsi, nous avons suggéré que l’observation d’une disparition avec la pratique d’un avantage d’une des structures cérébrales pariétales, définies comme aire d’intérêt (le gyrus angulaire, les lobules pariétaux inférieur et supérieur), constituerait un indice supplémentaire nous permettant d’apporter des arguments en faveur de l’implication des relations spatiales métriques dans la discrimination des expressions faciales. Nos résultats ont mis en évidence, dans la tâche d’intensité, une disparition avec la pratique d’un avantage du lobule pariétal inférieur droit. Nous interprétons l’activation au niveau de cette structure, observée dans le premier bloc d’essais du jugement d’intensité, comme un argument en faveur de l’implication des relations spatiales métriques dans la discrimination d’intensités. Ce résultat est d’autant plus robuste qu’il considère cette région comme spécifiquement activée dans le premier bloc comparativement au second bloc. Un tel résultat n’a pas été observé dans la discrimination de la valence.