Hypothèse de polarité dans le traitement des expressions faciales émotionnelles

Une validation de l’hypothèse de polarité consisterait à mettre en évidence des circuits neuronaux différents (soit des structures différentes soit une asymétrie hémisphérique au sein d’une même structure) impliqués dans le traitement explicite des expressions positives et négatives. Nous avons choisi de tester l’hypothèse d’asymétrie hémisphérique avec des expressions de joie et de peur, au niveau de l’amygdale et des gyri frontaux inférieur et moyen. L’activation de l’amygdale pendant l’évaluation de la peur était attendue. Il s’agit d’un résultat robuste dans la littérature (par exemple, Adolphs et al., 1994, étude neuropsychologique ; Adolphs & Tranel, 2003 ; Adolphs et al., 1994 ; Anderson et al., 2003a ; Breiter et al., 1996 ; Calder et al., 1996c ; Morris et al., 1996, 1998,2002 ; Phillips et al., 2001 ; Sprengelmeyer et al., 1999, études de neuroimagerie). La latéralité hémisphérique de l’amygdale dans le traitement explicite des expressions négatives est sujette à débat. Notre étude n’a pas révélé d’activation significativement plus importante au niveau de l’amygdale dans un hémisphère ou dans un autre. Même si l’implication de l’amygdale (bilatérale) dans les jugements positifs est plus controversée, ce résultat a déjà été obtenu : une activation bilatérale de l’amygdale a été observée dans plusieurs études (par exemple, Breiter et al., 1996 ; Killgore & Yurgelun-Todd, 2004, en perception non consciente). Par ailleurs, nous avons également testé le modèle de Davidson (1995) postulant une asymétrie hémisphérique dans le traitement de stimuli émotionnels inspirant un comportement d’approche et de retrait, au niveau du cortex préfrontal. Nous avons obtenu une activation bilatérale des gyri frontaux inférieur et moyen.

Par ailleurs, le fait que nous ayons observé, à la fois dans l’évaluation d’expressions faciales de joie et de peur, une activation au niveau de l’amygdale bilatérale nous permet de conclure que l’amygdale n’est pas spécifique au traitement de stimuli négatifs. Ainsi, même si l’amygdale semble constituer un élément fondamental et privilégié dans le support neuronal de la peur, elle ne lui est pas exclusivement dédiée (pour une discussion, voir Morris et al., 1998). Pour expliquer l’activation privilégiée de l’amygdale dans la reconnaissance de la peur, certains auteurs (Rapcsak et al., 2000) ont proposé que l’association observée entre les déficits de la reconnaissance de la peur chez des patients présentant des lésions de l’amygdale pourrait être liée à la nature intrinsèque de la peur à être une émotion particulièrement difficile à reconnaître. Nos résultats de l’étude d’IRMf n’ont pas démontré de différences dans la rapidité et la précision du traitement explicite de la peur. L’expérience comportementale a même montré une plus grande précision des réponses pour la peur que pour la joie. Ainsi, même si nous n’avons pas obtenu de biais de traitement de la peur, nos résultats ne vont pas à l’encontre de la proposition de Rapcask et al. (2000), l’amygdale, dans notre étude, n’ayant pas été activée seulement dans la reconnaissance de la peur, mais aussi dans la reconnaissance explicite de la joie.

De plus, l’observation selon laquelle certaines structures répondent à la fois aux expressions de joie et de peur ne nous permet pas de rejeter l’hypothèse de perception catégorielle des expressions faciales émotionnelles. Nous suggérons qu’il pourrait exister des différences dans le traitement des expressions de joie et de peur, mais qu’un même substrat neuronal (principalement l’amygdale et les gyri frontaux inférieur et moyen, mais aussi le gyrus fusiforme, le gyrus cingulaire et le cortex extrastrié) pourrait sous-tendre le traitement explicite de ces deux expressions faciales. Ainsi, nous postulons que ces expressions faciales émotionnelles, quand aucun traitement fin de leurs intensités n’est requis, seraient perçues de manière catégorielle comme énoncé plus haut (Calder et al., 1996b ; Young et al., 1997).