Une interaction des mécanismes visuels et des mécanismes émotionnels ?

Une question liée à l’hypothèse de la manifestation d’un traitement spatial visuel qui s’opèrerait conjointement au traitement du contenu émotionnel des stimuli est posée. Des études de neuroimagerie ont été réalisées pour identifier les régions cérébrales associées au traitement visuel des stimuli émotionnels. Certaines études ont mis en évidence une interaction des processus visuels et émotionnels (par exemple, Morris et al., 1998, influence de l’activité de l’amygdale sur le traitement visuel précoce de visages émotionnels au niveau du cortex extrastrié). Cependant, à notre connaissance, notre étude est la première à rechercher dans quelle mesure la perception de modifications morphologiques visuelles dans une expression faciale, conduisant à la perception de différentes intensités, pourrait influencer la reconnaissance de cette expression faciale ou de son intensité. Nous considérons en effet, comme certains auteurs (Calder et al., 2000b), qu’une intensité émotionnelle d’une expression faciale est liée à la saillance des traits caractéristiques de l’expression (par exemple, la hauteur des sourcils quand ils sont relevés, l’étirement des coins de la bouche, etc.). Ainsi, plus ces traits seront exagérés, plus l’expression apparaîtra intense. Pour aller plus loin, et suite aux résultats de notre étude, nous émettons l’hypothèse qu’un traitement de nature spatiale, c’est-à-dire impliquant les relations spatiales existant entre les différents traits d’une expression faciale, s’effectuant dans le lobe pariétal, pourrait moduler le traitement émotionnel facial au niveau de l’amygdale. Un indice en faveur de cette hypothèse repose sur l’observation d’une activation différenciée de l’amygdale selon que le jugement requis exige une détection plus ou moins précise de la position et des relations entre les traits visuels. Cette notion de précision a été contrôlée par la présentation d’expressions faciales ayant une intensité plus ou moins proche. Dans le cas où les expressions étaient proches, la condition était évaluée comme plus difficile que lorsque les expressions étaient relativement différentes, condition estimée comme plus facile par les temps de réponse et la précision des réponses recueillis a posteriori. Nos résultats fonctionnels ont montré, indépendamment de l’expression présentée, une activation de l’amygdale droite dans les conditions difficiles et une activation de l’amygdale bilatérale dans les conditions plus faciles. Ce résultat peut être rapproché de celui obtenu par Morris et al. (2002) dans une tâche de reconnaissance de genre de visages exprimant la peur, soit entièrement, soit partiellement par les yeux ou la bouche uniquement (la bouche et les yeux étant respectivement neutres). Ils ont mis en évidence une activation de l’amygdale gauche lors de la présentation de visages dont tous les traits exprimaient la peur et une activation de l’amygdale droite lors de la présentation de visages dont seuls les yeux exprimaient la peur. Ainsi, une explication possible à notre résultat est que l’activation de l’amygdale droite dans la condition difficile serait le reflet de l’extraction de l’information spatiale contenue dans les traits (et donc dans les relations spatiales entre ces traits) pertinents pour la reconnaissance de l’expression faciale (c’est-à-dire les yeux pour la peur, et probablement la bouche pour la joie). Par ailleurs, l’activation de l’amygdale bilatérale dans la condition facile serait le reflet d’un traitement de configuration ou holistique de l’expression faciale.