2 Quatre questions préalables

Quatre questions au moins découlent presque naturellement comme objectivement, de l’état historique constitutif du substrat des sciences de l’éducation aujourd’hui. Ces quatre questions peuvent être posées comme suit, entre Bible et éducation :

  1. Qu’est-ce que l’éducation pour la Bible, par la Bible ?
  2. Quelle finalité donne la Bible à l’éducation ? En quoi le concept même de finalité se trouve-t-il spécifiquement questionné par la Bible ?
  3. Bible et le principe d’éducabilité ?... Comment la Bible valorise-t-elle l’éducation et reste-t-elle, elle-même, source d’éducations ?
  4. Selon quelle mesure la Bible fournit-elle des pratiques en éducation ? Quelles pourraient être dès lors quelques unes de ces pratiques ?

Chacune de ces quatre questions pourrait être portée par une nouvelle double problématique interrogative. La première concernerait l’actualité, la seconde la singularité ou, autrement dit, l’originalité de la perspective biblique. Actualité, vis-à-vis des grands débats et des grandes questions de l’épistémologie et de l’éducation, aujourd’hui. Originalité d’une approche qu’il nous faudra distinguer, en l’explicitant, d’une approche de type monothéiste classique ou même mystique à laquelle elle ne saurait être réduite. La Bible, de part les traces visibles qu’elle laisse dans l’histoire, comme des sciences de la révélation nées de l’étude de ses textes, sciences qu’elle a permis de mettre en route tant du côté du judaïsme que du christianisme, ne se réduit pas évidemment au mysticisme ni à la revendication monothéiste.

L’originalité renvoie également, selon l’étymologie, aux origines et à l’histoire. L’originalité nous pose dès lors une cinquième question transversale aux quatre que nous venons d’énoncer : En quoi, dans son développement, dans l’histoire, cette parole dit-elle quelque chose de singulier pouvant être relevé aujourd’hui, dans le contexte où se déploie cette étude, qui est celui de la prédominance des sciences humaines sur les sciences de la révélation ?

Cette étude n’est pas faite dans le cadre de sciences théologiques, ni même philosophiques, psychologiques, ou autres, mais bien dans le cadre des sciences de l’Éducation Dès lors, les quatre questions premièrement évoquées se renvoient, l’une à l’autre, une autre question transverse qui est celle de la cohésion interne ou de l’unicité du message biblique en matière d’éducation. Cette question d’une cohésion interne renvoie à la question de la justification de l’éducation dans une perspective biblique. Cette justification renvoie donc encore à cette notion d’histoire, que la Bible retrace, à la notion de temps, car il s’agira de tenter de percer le sens d’un cheminement qui conduit d’une alliance à une autre, à la venue du Christ dont elle annonce également le retour. Le temps qui passe nous renvoie toujours d’ailleurs à la perspective éducative. Toute éducation suppose bien un déroulement dans le temps et que l’on se situe donc dans une perspective temporelle. Toute éducation est bien, pratiquement par définition, un investissement aujourd’hui pour une donne future.

La thèse ne répondra donc pas de façon chronologique et linéaire aux quatre questions précédemment évoquées. Il s’agit plutôt de conduire ainsi le questionnement dans un cheminement qui le relie au sens premier d’une parole biblique qui se présente à la fois comme révélée à celui qui la transmet, et comme une révélation pour celui qui l’écoute. En effet, il nous apparaît très tôt, et nous en retiendrons l’idée, que le contenu même de la Bible se présente comme une parole révélée conduisant, par cette lente révélation comme dans une course relais, de livre en livre, de témoin à témoin, au Christ.

Les sciences historiques de la révélation supposent la vérité dans une parole que Dieu adresse. Les sciences humaines supposent la vérité dans ce que l’homme entend et comprend, conceptualise et interprète des choses comme entre autres de cette parole adressée. Sans pratiquement d’enquête préalable il est donc également possible d’affirmer, d’ores et déjà, que la pédagogie de Dieu, dans la Bible, est celle de l’alliance, alliance renouvelée, depuis l’alliance faite à Noé, à celle annoncée à Abraham, renouvelée d’Isaac à Jacob, de Moïse à David jusqu’aux prophètes, avant d’être incarnée en la personne de Jésus-Christ.

Or, dès son principe, la parole de la révélation diverge du discours des théories telles que les développent les sciences humaines. De même, la nature des sciences qui émanent de l’étude de la Bible tant en judaïsme qu’en christianisme, sont de part leur histoire et leur nature épistémologique, de nature objectivement différentes de celle des sciences humaines.

Les sciences historiques de la révélation supposent la vérité dans une parole que Dieu adresse. Les sciences humaines supposent la vérité dans ce que l’homme entend et comprend, conceptualise et interprète des choses, comme entre autres, pourquoi pas aussi, de cette parole adressée.

Sans pratiquement d’enquête préalable il est donc également possible d’affirmer, d’ores et déjà, que la pédagogie de Dieu, dans la Bible, est celle de l’alliance, alliance renouvelée, depuis Noé, en passant par Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, David jusqu’aux prophètes, avant d’être parfaitement incarnée en la personne de Jésus-Christ.

Cette, pratiquement évidente, constatation suppose que, contrairement à un cheminement de pure conceptualisation théorique, la pédagogie divine consiste, selon la Bible, à un accompagnement du cheminement de l’homme par la Présence d’un Dieu Tout Autre, c’est à dire non accessible directement par les conceptions humaines. Mais ce Dieu Tout Autre se fait Tout Proche de manière progressive dans le cheminement d’une histoire, par l’irruption souvent brutale de sa Présence dans l’aujourd’hui, ici et maintenant, de rencontres singulières, dont le récit rend témoignage, jusqu’à venir, en bout de course, épouser l’homme dans sa condition présente lui donnant ainsi accès au Royaume, communion au Règne de Dieu, c’est à dire en sa volonté, son intelligence, son amour et sa justice : c’est tout le sens du Mystère de l’Incarnation, de l’invitation au Royaume, de la Bonne Nouvelle chrétienne.

D’autre part, et comme en conséquence, la perspective biblique n’est pas théorique dans la mesure où toute théorie est un système d’explication se suffisant sinon en lui-même, du moins en ses concepts. Ce qui est visé, à travers le message biblique, est, en effet, là aussi tout autre. Nous verrons même, au fil de l’étude, qu’il s’agit bien de prévenir, d’ouvrir un chemin, l’espace d’une conscience nouvelle, de faire passer de la mort à la vie, de donner accès à la vie éternelle, de faire entrer l’homme dans le point de vue tout autre, de Dieu. L’explication est bien souvent seconde ou conséquente de ce passage et pour tous les cas, reliée à celui-ci, non entre théories et pratiques, mais entre gestes et pensées, à l’émergence d’une conscience.

Comme la conceptualisation s’élabore sur le paradigme du doute méthodologique scientifique, l’alliance se construit sur la base de la foi, c’est-à-dire la confiance en la parole de ce Dieu Tout Autre qui ainsi se révèle et agit. Nous verrons dans la première partie de la thèse les conséquences tangibles et multiples d’une telle opposition, d’une telle complémentarité. Nous essaierons d’évoquer les rapports entre doute et foi comme se fécondant l’un l’autre, dans la recherche du savant ou du chercheur, dans la quête du croyant.

Les quatre précédentes questions resteront cependant bien celles qui traverseront la thèse elle-même, et, cela, même s’il n’y sera répondu, dans la mesure du possible, mais de façon la plus précise qu’il soit, qu’en fin de celle-ci.

Elles nourrissent l’hypothèse de notre travail.

Cette hypothèse s’ouvrira elle-même sur un préalable posant d’office certaines limites, la direction et le cadre. Nous y reviendrons tout au long de l’étude pour dire l’ensemble de la portée d’une telle thèse en tentant de préciser de prime abord, dans une sorte de voie négative, ce que justement, celle-ci ne se propose pas d’éluder, ou, au contraire, d’étudier.