8 Deux autres difficultés singulières

Apparaissent dès lors deux autres difficultés singulières s’articulant sur la difficulté méthodologique précédemment évoquée.

La première difficulté se réfère au dogme, à l’orthodoxie.

La seconde difficulté se relie aux contentieux, anciens ou présents entre sciences humaines, leur développement historique, et l’autorité et le statut de la parole biblique.

Elles sont, l’une et l’autre, reliées au fait que le message biblique a tant marqué notre histoire, que nous ne travaillons évidemment pas sur une terre vierge. Elles se complexifient du fait que les sciences humaines, nous le verrons, sont objectivement largement historiquement redevables de ce terreau sur lequel historiquement elles vont d’ailleurs germer et grandir.

Le mot dogma signifiait dans l’usage pré-chrétien tant selon l’opinion d’un philosophe, ce qui fait autorité, dans sa pensée, ou un décret de l’empereur 10 , l’usage biblique contemporain au Christ, pouvait, dans ce sens là, reconnaître comme dogmata la Torah.

L’évangile se situe dans cette notion d’accomplissement de la parole ancienne, de la Torah. La loi révélée à Moïse, sans être abolie, sans être simplement restituée, est accomplie 11 .

L’apport du Christ, selon l’alliance nouvelle, dans sa mort et sa résurrection, signifie à la fois une rupture du mur de séparation entre juifs et païens et une transfiguration des rapports à loi.

‘C’est pourquoi, vous autrefois païens dans la chair, appelés incirconcis par ceux qu’on appelle circoncis et qui le sont en la chair par la main de l’homme, souvenez-vous que vous étiez en ce temps là sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. Mais maintenant en Jésus-Christ, vous qui étiez jadis éloignés, vous avez été rapprochés par le sang du Christ. Car il est notre paix, lui qui des deux n’en a fait qu’un, et qui a renversé le mur de séparation, l’inimitié, ayant anéanti par sa chair la loi et ses ordonnances dans ses prescriptions, afin de créer en lui-même avec les deux un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier, l’un et l’autre en un seul corps, avec Dieu par la croix, en détruisant par elle l’inimitié. Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à vous qui étiez près; car par lui nous avons les uns et les autres accès auprès du Père, dans un même Esprit. 12

Voilà qui signifie, que nous entrons selon la vision intrinsèquement chrétienne, par le message et la personne de Jésus, dans l’intention qui préside à la révélation biblique En Christ, toujours selon cette même vision intrinsèquement chrétienne se trouve être transfigurée une approche fixiste de la lettre pour entrer dans la parole vivante de l’Esprit.

Dès lors, le mot dogme n’est employé que pour exhorter l’église à écouter les enseignements des apôtres. 13 On entend aujourd’hui, dans les facultés de théologie, par dogmatique, une lecture du texte conforme à l’enseignement des Pères, à l’enseignement des églises. La dogmatique définit donc la lecture par rapport à l’autorité qui préside à celle-ci.

À quelle dogmatique nous référons-nous dans cette étude ? Nous situerons-nous dans la perspective d’une théologie, anglicane, orthodoxe, protestante, évangélique, ou catholique romaine, de tel théologien ou de tel autre, voir même, indépendante et refusant toute orthodoxie ?

Nous pouvons dire, d’ores et déjà, à lire les lettres des apôtres, les actes, et déjà l’enseignement des évangiles, que, depuis le développement de l’église naissante le rapport à l’orthodoxie est une préoccupation centrale inhérente à celle-ci, comme de l’Écriture elle-même. Nous nous situerons donc selon ce seul point de vue, qui est celui de la légitimation que donne l’écriture de l’orthodoxie elle-même, et non pas celui qui légitime tel point de vue plutôt que tel autre, mais dans ce qui pourrait constituer le substrat commun des divers points de vue. Autrement dit, ce qui, en rapport à l’enseignement précis du texte biblique, nous paraît réunir d’un point de vue strictement éducationnel, les diverses orthodoxies, les diverses lectures, les diverses théologies, avant de les séparer.

Le basculement de l’autorité suprême, aux apôtres, et à travers eux, au Christ, fait apparaître dès l’initial, le développement de l’église comme lié à celui de l’annonce d’un autre royaume, dans le royaume de ce monde. L’évangile de Jean 14 peut-être plus que les autres encore, marque cette irruption inhérente à l’annonce de l’évangile, Bonne Nouvelle. 15

Pendant plus de trois siècles, avant la conversion en l’an 312, de l’empereur CONSTANTIN (entre 280 et 288 - 337), l’église se développa, en marge des pouvoirs institués, subissant plus leur persécution que leur reconnaissance. Cette dimension de ”l’autre Royaume” est inhérente donc au message. Les prérogatives du Nouveau Testament concernent les églises primitives et non les pouvoir de ce monde, auxquels les apôtres et les Pères des premiers siècles soulignent qu’il faut être soumis et dont Jésus repousse, lors de sa tentation, le pouvoir.

L’originalité chrétienne ne concerne donc pas en premier les pouvoirs en ce monde, mais l’irruption d’un prix nouveau, d’une valeur nouvelle à l’intérieur de ce monde.

De même elle ne s’annonce pas comme une science mais comme une révélation accordée gratuitement et sans efforts, aux enfants et aux petits. 16

Nous situant selon cette perspective fondatrice du message, il nous semble répondre en partie à la question du débat et de la confrontation entre autorité biblique et autorité scientifique.

Cette question restera cependant en filigrane de cet écrit comme partie prenante de notre questionnement, nous y reviendrons donc dans la mesure où, dans la façon dont la Bible la pose, comme dans ses rebondissements historiques, elle participe pleinement de la relation entre Bible et éducation

Notes
10.

BIBLE (encyclopédie de la) Éditions Séquoia Paris-Bruxelles 1961 ; (253 pages)

Voir Luc II 1 pour l’utilisation du mot dans le sens de l'évocation du rapport à l’autorité de l’état romain.

11.

Sermon sur la montagne

12.

Éphésiens II 11 à 18

13.

Citons Actes XVI 4 : “En passant par les villes ils recommandaient aux frères d’observer les décisions des apôtres et des anciens de Jérusalem. Le texte parle de Paul et Sylas en voyage d’évangélisation. Remarquons que le mot employé est “recommander “non pas “imposer”.

14.

Voir plus particulièrement le chapitre I et le chapitre XVII de Jean. “ être dans le monde, sans être du monde “

15.

Signalons déjà, avant d’y revenir que le mot évangile “ Euaggelion “ est celui qui était utilisé pour signifier la Bonne Nouvelle, rapportant les hauts faits de l’empereur dans le cadre du culte que les romains vouaient à celui-ci.

16.

Matthieu XI 25