La révélation va de Dieu vers l’homme. La spéculation va de l’homme vers un, ou des, dieux. Certes, la révélation biblique n’agit pas sans l’homme, cependant, l’inspirateur annoncé n’en est pas l’homme, mais Dieu. 51
Le projet biblique, tel qu’il est révélé, n’est donc pas un projet d’homme, que les théories humaines pourraient cerner. 52 Il ne se propose pas de faire le tour des spéculations humaines sur l’existence ou non de dieu. Le projet révélé est présenté et développé dans le texte biblique comme étant le projet de Dieu qui se présente lui-même, dans un premier temps, comme ce que théologiens et philosophes contemporains ont nommé le Tout Autre, avant de se révéler comme le Tout Proche, en Christ. 53 Tout Autre signifie justement que YHVH est en dehors des spéculations humaines, en dehors des représentations humaines, en dehors des limites imposées par la finitude. Il est le Vivant. 54 Tout Proche signifie que YHVH, le Tout Autre, n’est pas indifférent aux détresses humaines mais qu’Il se penche sur elles 55 .
On peut donc dire que son projet consiste à tirer l’homme vers Lui, à le tirer de la mort vers la vie, en rejoignant, épousant, fécondant la condition humaine jusqu’au tréfonds de sa misère. Le moyen pour établir, réaliser et enseigner ce projet est l’alliance que YHVH établit avec Noé 56 , qu’il renouvelle avec Abram qui devient Abraham 57 , et qu’il renouvellera encore au fur et à mesure de l’histoire biblique jusqu’à, selon la perspective chrétienne, l’accomplir en Christ.
La notion d’histoire, de témoignage de l’histoire, d’incarnation du message dans le quotidien d’une histoire est donc bien centrale. YHVH ne théorise pas et ne se théorise pas, mais il agit dans la vie des hommes, il se manifeste, s’incarne dans l’histoire, d’une famille, d’un peuple parmi les peuples.
En Jésus, enfin, donc, ce mystère de l’incarnation trouve son accomplissement, c’est à dire la révélation parfaite de l’intention première qui présida à son déroulement historique, à l’oeuvre depuis le commencement du cheminement de l’alliance.
Cette histoire se confond dans un premier temps avec l’histoire d’une famille, l’alliance s’effectue selon la transmission héréditaire, patriarcale, selon les coutumes des peuples sémites.
Mais déjà par le fait de l’irruption de l’universel dans le singulier d’une promesse concernant les peuples de la terre, et finalement la création toute entière 58 , cette transmission héréditaire, échappe aux lois classiques des transmissions de patrimoine. Si le premier enjeu entre Jacob et Ésaü 59 sera bien le droit d’aînesse il sera détourné au profit de l’élection de YHVH. YHVH ne part pas donc des représentations humaines du droit ou de la bienséance, et il prend en compte la ruse de Jacob, qui n’est guère, à première vue, morale.
YHVH prend l’homme tel qu’il est, et non tel qu’il devrait être, pour le transformer. Le moyen par excellence de permettre à cette transformation d’opérer, est la foi. C’est par la foi que Jacob est exemplaire, non par sa vertu. La notion morale de vertu, cède ici à la notion de posture, position droite, de justesse, de justice, devant Dieu, par Dieu, qui seul est juste, seul est bon 60 .
Puis, à partir de Moïse, émerge un autre aspect de cette histoire qui se confondra désormais avec celle d’un peuple parmi les peuples, Israël, non plus seulement selon la transmission héréditaire, patriarcale, mais selon la loi révélée qui organise la vie quotidienne jusqu’au moindre détail.
Ce cheminement va donc jusqu’à Jésus-Christ, selon la grâce, ou don gratuit , don d’amour absolu de Dieu pour l’homme, et qui, selon la perspective chrétienne, accomplit cette alliance. Dieu et l’homme se rejoignent, s’épousent, se fécondent en sa personne.
Le lien, le fil conducteur, de cette transmission au travers d’une histoire, est le fait non pas des spéculations intellectuelles, mais du témoignage. Le prophète et la prophétie doivent être évoqués ici.
Le prophète n’est pas un savant, il n’est pas un puissant, il est un témoin, de la parole de Dieu, envers les hommes de son temps.
Nous retrouvons au travers des prophètes, qui selon cette acception large sont l’ensemble, la nuée des témoins, au delà même de ce que la Bible nomme les prophètes et qui correspondent aux différents livres dits “des prophètes” 61 , un rapport à la pratique mais un rapport tout autre que celui que la théorie entretient avec elle.
Ce que le prophète, ou le disciple sont sensés mettre en pratique n’est pas de l’ordre de la théorie, mais la Parole du Dieu vivant.
Le sens du mot prophète “nabi”,en hébreux, est“Celui qui annonce “.
En langue grecque, il est composé par la racine phèmi (dire) et pro (avant de). Il signifie aussi celui qui parle au nom d’un autre. Dans la Bible, le prophète est celui qui est témoin de la Parole, témoin de l’actualité et de l’éternité de l’alliance établie.
Ainsi, cette notion, comme celle d’alliance, comme celle d’incarnation sont intimement liées les unes aux autres dans le phylum biblique. Elles constituent des éléments singuliers d’un protocole singulier, tel qu’il émane du texte biblique.
Elles nous posent la question donc de la méthode, et de l’approche qui puisse entrer à la manière d’un anthropologue, ou d’un ethnologue dans la dimension du texte sans l’atrophier outre mesure.
Pour cela nous allons dans un premier temps, par une rétrospection qui ne se contentera pas, ou ne se proposera pas, de redire ce qui a été dit comme le ferait par exemple un résumé, mais, qui tentera de regarder le chemin accompli, d’un point de vue présent, le point de vue de l’écriture présente, et, d’évoquer alors, comment nous en sommes venus au sujet qui nous préoccupe.
Cette apparente courte pause dans le texte, nous paraît indispensable pour extraire les bases de notre approche, voire de notre méthode.
Le message biblique est vraiment la révélation de Dieu comme Parole. Jusqu’à l’accomplissement en Jésus.
L’évangile de Jean le marque très fortement : Jean I 9 “ Au commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle; En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point reçues.”
Puis Jean I 14 “La Parole a été faite chair et elle a habité parmi nous pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.”
Le livre de la Genèse lors de la création du monde ( Genèse I et II ) montre Dieu qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Dieu se manifeste par ce qu’il crée.
Cette Parole par laquelle Dieu se manifeste se lie donc profondément à la notion d’incarnation, d’action concrète.
La loi révélée à Moïse est encore dans la tradition juive, telle qu’elle se présente dans le texte, parole de Dieu. “des ordonnances pour l’instruction du peuple. “ Exode XXIV 12
La Torah pour les juifs est aujourd’hui la Parole que le Talmud commente. Pour les chrétiens la Parole s’est faite chair en Jésus. L’ensemble des psaumes participant de la liturgie juive et chrétienne sont remplis de cette référence à la Parole de Dieu. Dieu se manifeste par une parole, par la Parole. “Je me glorifierai en Dieu en sa parole “ Psaume LVI 5
Les prophètes se réfèrent aussi de façon constante, à cette Parole.
Citons Ésaïe. “La parole de l’Éternel sortira de Jérusalem.” Ésaïe II 3
Citons encore, après la vision de Jérémie d’une branche d’amandier, la parole qui lui est alors adressée.
“Je veille sur ma parole pour l’accomplir (l’exécuter). “ Jérémie I 12
Citons enfin la conclusion du livre de l’Apocalypse qui peut être interprétée comme concernant le livre mais aussi la Bible toute entière.“Je le déclare à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre :
“Si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre; et si quelqu’un retranche quelque chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part de l’arbre de vie et de la ville sainte, décrits dans ce livre.”
Apocalypse XXII 18 à 19
Citons ici en résumé de cette constante du message biblique ce passage du livre d’Ésaïe souvent cité dans les liturgies chrétiennes “Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies, dit l’Éternel. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées. Comme la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir fécondé la terre, et fait germer les plantes. Sans avoir arrosé fécondé la terre, et fait germer les plantes, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui mange, ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : Elle ne retourne point à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli mes desseins (promesses). “ Ésaïe LV 8
”Repentez-vous car le Royaume des cieux est proche. “ Matthieu III 2. La prédication de Jean-Baptiste que Jésus définit comme les derniers des prophètes et le plus grand d’entre ceux de l’ancienne alliance, dont aucun de ceux qui est né de femme n’est plus grand que lui mais dont le dernier dans le Royaume est plus grand (Matthieu XI 2 à 15 ) , est de ce point de vue révélatrice. La nouvelle alliance, le nouveau baptême introduit par Christ, suppose une naissance nouvelle, (Jean III 3 ), un esprit nouveau dans un coeur nouveau ( Ézéchiel XI 19 ) , l’émergence et les prémices d’une autre création (Jacques I 18) , le passage du statut de créature de Dieu créée à son image, à celui de Fils de Dieu engendré.
” L’Éternel est vivant ! “ est une expression affirmative présente vingt fois dans l’Ancien Testament. (BIBLE (concordance second) ( de la) édition de la maison de Bible Genève. ) Remarquons déjà que Jésus reprend à son compte, la notion de vie pour se définir lui-même, particulièrement présente dans l’évangile de Jean : “Je suis la résurrection et la vie “ Jean XI 25 “ .. le chemin la vérité la vie ... Jean XIV 6 “... le pain vivant descendu du ciel “ Jean VI 53
“Personne ne m’ôte la vie, je la donne “ Jean X 18
L’Éternel est juste mais il ne se lasse pas de pardonner. ( Ésaïe L V 7 ) L’évocation de la compassion de Dieu, à laquelle la compassion de l’homme est invitée à faire écho est encore un point central de l’Ancien Testament, la justice de Dieu n’a d’égale que sa compassion. Avec le Nouveau Testament, cette notion du pardon, de la compassion, ne suppose plus de distance entre la vision de Dieu, et la perception du disciple. Ce qu’il pardonnera sera pardonné, et inversement.
L’expiation (Lévitique XX 8 à 10) précédent le Jubilé était de sept fois sept années. Jésus répond à Pierre qui lui demande s’il devait pardonner jusqu’à sept fois à celui qui avait péché contre lui. Jésus lui répondit : “ Non pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante dix-sept fois sept fois “ ( Matthieu XVIII 21 et 22)
Dans le symbole de la langue hébraïque cela pouvait signifier une infinité de fois.
Genèse IX 8 à 17
Genèse XII 1 à 3
En Genèse XVII : Lorsque YHVH rappelle son alliance avec Abram, celui-ci change de nom, et devient Abraham. Remarquons qu’il porte en lui désormais une lettre du nom de YHVH. Ce changement de nom d’Abram correspond avec le début de la pratique de la circoncision, qui marque l’alliance entre YHVH et son peuple.
Ceci est déjà présent dans l’alliance passée avec Noé. Il s’agit d’un nouveau départ pour la création nouvelle, elle concerne donc l’ensemble de la création, des plantes et animaux jusqu’aux hommes.
“ Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point.” Genèse VIII 22 Puis : “Dieu parla encore à Noé et à ses fils avec lui, en disant : Voici, j’établis mon alliance avec vous et avec votre postérité après vous; avec tous les êtres vivants qui sont avec vous et avec votre postérité après vous; avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, tant les animaux que le bétail et tous les animaux de la terre, soit avec ceux qui sont sortis de l’arche, soit avec tous les animaux de la terre. J’établis mon alliance avec vous: aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du déluge et il n’y aura plus de déluge pour détruire la terre. “ Genèse IX 8 à 13
Suit alors la présentation de l’arc-en ciel comme signe de l’alliance.
Nous retrouvons cette dimension d’universalité avec Abram devenu Abraham qui dès sa Chaldée natale s’entend dire que “ toutes les familles de la terre seront bénies “ en lui. (Genèse XII 3)
Conseillé par sa mère Rébecca, Jacob trompera son père Isaac. Son frère Ésaü lui vendra le droit d’aînesse pour un plat de lentilles. Et Jacob sera béni par Isaac, fils d’Abraham, qui en le bénissant crut bénir Ésaü. (Genèse XXVII)
Jésus lui-même fit cette réplique au jeune homme riche qui l’appelait “bon maître “.
“ Pourquoi m’appelles-tu bon, il n’y a de bon que Dieu seul ... “
(Matthieu XIX 17 )
Signalons ici que l’Ancien Testament Hébreux subdivise les prophètes en trois parties.
Les prophètes antérieurs : Des livres de Josué, Juges , Ruth, I Samuel, II Samuel I Rois, II Rois.
Les prophètes postérieurs (Ésaïe Jérémie Ézéchiel)
Les Douze Prophètes qu’on appelle aussi les petits prophètes (Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.
Les prophètes antérieurs n’ont pas forcément joués un rôle historique politique important, tels Élie et Élisée.
Les prophètes postérieurs ou grands prophètes ouvrent à une dimension d’annonce des temps messianiques, ou plus précisément encore parfois eschatologiques, spécialement pour Ézéchiel.
Les petits prophètes sont distingués par le caractère plus réduit de leurs actions et de leurs écrits par rapport aux grands prophètes.