5 Théorie : non ... Doctrine : peut-être ...

Nous ne pouvons certes pas rejoindre la question éducative de la Bible sans la poser face aux théories et aux doctrines éducatives, mais il fallait bien auparavant commencer à préciser ces termes.

La question qui demeure est la suivante : Si nous avons assez clairement distingué la doctrine de la théorie, ne peut on pas dire à l’inverse que toute théorie participe d’une doctrine qui s’ignore ou qui feint de s’ignorer ? Autrement dit : le doute hypostasié qui sous-tend la pensée théorique n’est-il pas une croyance, ou, du moins, ne suppose-t-il pas une certaine croyance ? Le simple énoncé de la question semble conduire à la réponse évidente : oui.

Simple doctrine donc parmi les doctrines, les sciences humaines ont pour fonction la critique des doctrines selon des principes eux-mêmes doctrinaires, mais à l’évidence, elles supposent la reconnaissance d’un a priori de l’ordre de l’idéologie.

Nous pouvons dire que la formulation théorique, en dépit de la diversité des points de vue qu’elle peut sous-tendre, participe de la doctrine que nous pourrions qualifier globalement de doctrine du mode théorique sur fond de doute méthodologique.

L’ensemble des théories contemporaines participeraient ainsi d’une seule et même doctrine contenue dans le consensus admis par la plupart des chercheurs en sciences humaines et plus particulièrement en sciences de l’éducation.

Ce consensus ne se réduit pas à un seul acte de foi fondateur, mais vient se rajouter à l’a priori subjectif, le parti pris du chercheur. Il rejoint cependant tous les aspects d’une croyance cachée.

Cette mise à jour d’une croyance cachée fera dire à Nanine CHARBONNEL que toute pensée théorique en sciences humaines ne peut-être que métaphorique. Nanine CHARBONNEL montre que les discours les plus conformes aux modèles scientifiques regorgent en fait de métaphores 134 .

Il existe cependant d’autres recherches que des recherches modélisantes sur le plan théorique. D’autres chercheurs que des chercheurs concepteurs de modèles concepteurs.

Le “chercheur explorateur” à l’opposé du “chercheur concepteur” est celui qui cherche à recueillir pour transmettre avant éventuellement de concevoir pour modéliser. Cette définition rejoint l’étymologie. Ce chercheur est un disséqueur qui compare et range nomme, non pas tant à partir de modèles construits que d’analyses et comparaisons incessantes.

Si la première catégorie nous semble par définition interdite nous pourrions nous situer dans cette deuxième catégorie du chercheur explorateur. Il ne peut en être autrement, semble-t-il, après tout ce que nous avons déjà relevé comme distance entre les rapports entre Bible et éducation et la notion même de théorie.

Toute autre attitude manquerait a priori sa cible en proposant un modèle non seulement avant même d’avoir confronté celui-ci avec la Bible, mais aussi sans une reconnaissance de celle-ci, qui, tout au long d’un message se déroulant dans une histoire et ne se présentant pas comme une fixité théorique, se situe dans une autre logique, une autre perspective puisqu’ici le modèle, si modèle il y a, n’est plus dans la théorie, dans la pensée, mais se traduit dans les actes, mais s’incarne dans les personnes, pour s’accomplir selon une lecture chrétienne dans la personne du Christ qui doit accomplir l’écriture ancienne.

En effet, si nous regardons les théories ou doctrines éducatives sur le mode du modèle théorique les justifiant, nous pourrions en suivant Yves BERTRAND 135 dégager des modèles éducatifs correspondant chacun à des théories contemporaines de l’éducation.

Yves BERTRAND distingue donc sept types de théories : les théories spiritualistes, des théories personnalistes, des théories psycho-cognitives, des théories technologiques, des théories sociologiques, des théories sociales, des théories académiques. Il s’agit de grands groupes à l’intérieur desquels Yves BERTRAND fait une distinction importante.

Pouvons nous poser le christianisme biblique comme une doctrine faisant partie de ce type de classification sur le mode théorique ? Nous nous heurterions d’emblée, selon cette perspective, à deux obstacles insurmontables de types idéologiques, selon un rappel de l’effet Hawthorne 136 qui confond désir et réalité, induction et déduction, et cache une contrefaçon de l’observation scientifique.

Voici le premier obstacle :

Comment a priori classer la doctrine chrétienne suivant l’une des typologies citées alors qu’à l’évidence cette classification n’est construite qu’à partir d’une idéologie de la science théorique selon des a priori sinon masqués du moins extérieurs intégralement à la révélation chrétienne ? Une rapide analyse des constitutifs de chaque doctrine nous confirme dans notre analyse, si besoin est, lorsque nous voyons des pédagogues chrétiens être présents selon BERTRAND dans plusieurs types. Nous pourrions en trouver même probablement en chacun des types.

À supposer, à présent, compte tenu de cette remarque, que nous essayions de déterminer des types de pédagogies strictement chrétiennes, selon des pédagogues strictement chrétiens à références bibliques, un deuxième obstacle se dresserait encore.

Voici le second obstacle:

Une typologie selon des théories de l’éducation suppose dès l’initial une définition implicite de l’éducation selon une définition le plus probablement contemporaine. La question posée par la Bible à l’éducation, qui nous occupe ici, par définition, suppose certes un dialogue avec les notions contemporaines mais, également intègre une dimension d’historicité, de phylum historique, de justification historique. De plus, et surtout, rien ne dit et tout suppose même que la notion d’éducation que nous extrairons de la Bible ne recoupe pas forcément ce que les théoriciens contemporains ou non, nomment éducation.

En nous intéressant à l’action éducative de la Bible, notre travail précédent définissait l’éducation selon un champ bien plus large que les seules doctrines contemporaines de l’éducation. Le chercheur explorateur n’est donc pas simplement explorateur, il choisit, il distingue, il élude, retient, rejette, toujours certains éléments au détriment d’autres. Le chercheur, fut-il explorateur, plus que concepteur, n’est pas sinon sans idéologie implicite du moins sans a priori caché.

Tout explorateur est finalement concepteur ne serait-ce que des voies de son observation, et des conclusions qu’il tire. Comment sortir de l’ aporie ?

Si la théorie ne nous paraît pas par elle même pouvoir nous rendre compte de l’intériorité d’une doctrine, qu’en est-il de la doctrine vis à vis de la théorie ?

Théôria signifie vision ou contemplation en grec. Docere, la racine latine dedoctrine signifie enseigner 137 .

Le passage du grec au latin s’accompagne d’un changement de perspective. La doctrine rejoint l’enseignement alors que la théorie est purement projective et spéculative.

Cette remarque étymologique nous permet de distinguer entre recherche et enseignement. Toute théorie spéculative qui cesse d’être placée du stricte point de vue du chercheur pour être enseignée dans ces conclusions devient semblable aux autres doctrines fondées sur une certaine croyance explicite. Dès lors, lorsque nous voulons enseigner une théorie nous fabriquons la transposition didactique, nous fabriquons une distinction entre ésotérisme et exotérisme.

Cette distinction ne peut être dépassée que si la théorie savante se traduit dans l’enseignement de ce qui constitua sa méthode et ses hypothèses, ainsi que l’acte de foi qui les présupposait.

Regardons à présent du côté des doctrines dont les théories constitueraient un sous-ensemble, pour nous demander si nous pouvons envisager l’approche d’une doctrine chrétienne de l’éducation selon la révélation biblique ?

Peut-on directement sans risque d’amputation entrer dans ce schéma ?

Sans que la question ne soit totalement éludée, nous y reviendrons, nous pouvons déjà constater que les interprétations au sein même du christianisme et de la révélation biblique et de ses conséquences ne semblent pas unitaires sur un plan doctrinaire classique, c’est à dire du point de vue des pratiques, nous y revenons au cours du troisième chapitre de la thèse.

Elles sont davantage unies par un acte de foi fondateur qui les fait se réclamer ou simplement s’accommoder du christianisme 138 , et non à la manière d’une idéologie qui serait soutenue par un système ou une méthode, justifié par un acte de foi le plus souvent ésotérique.

Une caractéristique historique évidente et première de l’acte de foi, fondateur du kérygme, est justement à caractère public, partagé de la Bonne Nouvelle annoncée aux nations, à tous les peuples, toutes les races, tous les hommes.

Notes
134.

CHARBONNEL Nanine “Pour une critique de la raison éducative” Peter Lang Berne ; (193 pages).

CHARBONNEL Nanine “La tâche aveugle” Presses Universitaires de Strasbourg 1993.

tome 1 “Les aventures de la métaphore” ; (312 pages).

tome 2 “L’important c’est d’être propre” ; (280 pages).

tome 3 “ Philosophie du modèle” ; (250 pages).

135.

BERTRAND Yves “Théories contemporaines de l’éducation “ Chronique sociale Ottawa Lyon 1993 ; (235 pages).

136.

L’effet Hawthorne en sciences humaines se dit, lorsque informés de celle-ci, des “sujets” participants à une expérience donnent des résultats attendus ou non, par l’expérimentateur, en tout les cas différents, de ceux qu’ils produisent habituellement. La contrefaçon éducative (effet Pygmalion) qui fait que l’expérimentateur voit dans le résultat ce qu’il comptait y trouver, en induisant et amenant par là, la modification le niveau des résultats des élèves, peut-être considéré comme un aspect dérivant, ou proche, de l’effet Hawthorne. L’origine de la définition de l’effet Hawthorne se trouve près de Chicago de 1924 à 1929, auprès du psychologue australien immigré aux États-Unis, George Elton MAYO (1880-1940), lors d’expérimentations auprès d’ouvriers des ateliers Hawthorne, de la Western Electric Company. Bien que généralement utilisé pour l’expérimentation, nous proposons ici, d’élargir le champ de l’acception de l’expression, à toute contrefaçon au cours de l’émission d’une hypothèse scientifique, où, la mise en place protocolaire d’un type d’instrumentation analytique présuppose, présume, sinon de la réponse, du moins du type de celle-ci, et oriente alors cette réponse, sinon dans la direction implicitement induite, du moins en fonction d’elle. Cet effet est à vrai dire difficilement contournable, dans les sciences humaines, et, souvent, on se contente de le signaler en fin ou en début de démonstration, pour signifier les limites des conclusions tirées.

137.

D’après le dictionnaire Robert

138.

AVANZINI Guy “Qu’est-ce qu’une pédagogie chrétienne ?” variants et invariants” in

Colloque international francophone “Unité et diversité des pédagogies d’inspiration chrétienne : Théories et pratiques du passé à nos jours” Angers 28-29-30 Septembre 1995. Notes personnelles. Guy AVANZINI fait une distinction entre le pédagogue chrétien et le chrétien pédagogue. Le pédagogue chrétien ne fonde pas ses méthodes sur une conception chrétienne mais celle-ci est comme visitée par celle-ci. Le chrétien pédagogue qui fonde sa pédagogie sur la foi.