La Passion n’est pas simple catharsis

La catharsis dont le terme émerge de la poétique d’ARISTOTE rejoint, dans le théâtre antique des grecs, la crise finale qui provoque une purgation des passions et le retour au sens civique, particulièrement dans le théâtre fondateur de ESCHYLE (-525 -456). Nous retrouverons, des tragédies de SOPHOCLE (-496 -406), EURIPIDE (-480 -406), aux comédies de ARISTOPHANE (-450 -386), cette poétique qui vise à questionner le civisme, la vie sociale, le sens du devoir, à démasquer les intrigues, à révéler les caractères des personnages, leurs intérêts cachés, leurs ambiguïtés, leurs sentiments contradictoires, face aux destins et aux oracles, aux crises et aux guerres, les jeux du pouvoir et des passions.

La passion du Christ est-elle catharsis ? Elle pourrait l’être si elle se présentait comme le fruit d’une spéculation humaine, qu’elle n’est visiblement pas, telle que le relate le texte évangélique lui-même, comme aussi telle que notre propre histoire humaine l’a faite sienne. Mais les évangiles ne se présentent pas comme des allégories.

La passion du Christ, n’est pas la catharsis du théâtre grec, en ce qu’elle n’est pas l’aboutissement d’un paroxysme passionnel qui débouche sur une morale de l’existence, un nouveau sens civique mais le commencement d’une alliance nouvelle qui transforme la vie de l’homme au quotidien.

Le théâtre des chrétiens comme le dirent les jésuites en leurs temps, c’est la vie. “Téatro mundo”.

Il nous faut semble-t-il cependant moduler cette expression mise au goût du jour, par le théâtre espagnol de la contre réforme du dramaturge baroque et jésuite CALDERÒN DE LA BARCA 306 . Qui dit théâtre dit représentation. Or nous avons vu que la révélation n’agit pas comme une représentation mais selon l’incarnation 307 .

Le terme de catharsis est d’ailleurs repris dans le langage contemporain par la psychanalyse 308 et la philosophie d’inspiration marxiste 309 .

La psychanalyse comme le marxisme sont tous deux en effet marqués par la dominante grecque du modèle explicatif, de la relation théorie pratique, de l’importance donnée au discours théorique explicatif, qui conduit à lire le monde et l’être aux travers de représentations qui ne seraient finalement pas si éloignées que cela de la représentation théâtrale.

Il s’agit toujours de poser devant soi une image de la vie, image théorique, et, de se positionner en rapport à elle.

Enfin, le théâtre suppose des répétitions, des maquillages, un décors et des coulisses qui se résument dans la notion de jeu. Le rapport à la parole qui se fait chair qui est au centre de la Bible est absolument récalcitrante à la notion d’un jeu relationnel entre Dieu et les hommes. Les hommes ne sont pas les instruments d’un destin à la manière du célèbre “deus ex machina”.

Et nous savons que pour les anciens, Jupiter, lui-même, était soumis aux caprices du destin qui finalement régnait sur lui. YHVH règne sur les temps les lieux et l’univers. Ces remarques ne signifient pas qu’il ne puisse exister de théâtre chrétien à l’instar des mystères du Moyen-Âge, mais ce théâtre revisité par la révélation serait moins représentation que mémoire ou évocation. Il serait louange et prière, en tout cas, témoignage toujours de la Bonne Nouvelle 310 . Et surtout ou encore il ne met plus en scène le héros ou le demi-dieu, mais le plus simple des hommes et les plus simples de ses gestes et pensées.

Notes
306.

CALDERÒN DE LA BARCA Pédro “Le grand théâtre du monde “ Klincksieck Paris 1957 ; (210 pages) 1° édition originale espagnole en 1654 environ.

307.

Telle semble avoir été l’intention de la démonstration du tout jeune KOMENSKY, frère morave, lorsqu’il écrivit, à tout juste vingt ans, bien antérieurement à CALDÉRON “Théâtre du monde “ (1612)

308.

En psychanalyse ce terme rejoint l’abréaction. Il signifie la résurgence brutale d ‘affects longtemps refoulés.

309.

Ce terme est utilisé assez fréquemment entre autres par exemple par CASTORIADIS qui parle de catharsis sociale. Mai 1968 en est un exemple typique. On le retrouve dans le courant de la pensée de HEIDEGGER où la catharsis signifie le retournement de l’être suite à une prise de conscience ontologique décisive.

310.

Nous songeons ici au “bal des exclus “ de l’abbé Pierre qui sort au moment même où nous écrivons ces lignes.