L’obstacle éthique de l’idéologie herméneutique

D’autres obstacles des représentations contemporaines de l’évangile restent à déjouer encore, l’évangile n’est pas une représentation du monde. Selon l’étymologie grecque, éthique se rapporte à “ethos” qui signifie “moeurs”, et évangile se rapporte à “euaggellion” qui veut dire, soulignons-le encore, “ Bonne Nouvelle”.

Dans l’actualité, il semble qu’une confusion se fasse entre les deux termes, et, bien souvent, il est seulement question, jusqu’en théologie, de l’éthique, au sens de questions de moeurs et de coutumes, en guise d’évangile.

N’est-il pas davantage fait une lecture de l’évangile considéré dès lors comme une religion réductrice, par les “lunettes” de l’éthique, alors que le message biblique nous porterait davantage à lire l’éthique aux yeux de la Bonne Nouvelle de l’alliance nouvelle ?

L’évangile est Bonne Nouvelle et s’est déployé comme telle. Cette Bonne Nouvelle ne s’est pas développée comme une éthique mais selon une histoire au quotiden des gestes, dans l’expansion d’un temps qu’elle domine et sans lequel elle s’inscrit 311 .

Elle ne s’est pas appuyée sur une herméneutique spéculative. Elle ne s’est pas confondu avec un système métaphysique débouchant sur une idéologie. La Bonne Nouvelle n’est pas pure éthique, pas plus qu’elle n’est pure herméneutique ou pure idéologie.

Le triangle éthique avec ces trois pôles “je”, “tu” “il”, dont parlera RICOEUR, ne donne pas de lui-même la communion du royaume. Il n’équivaut pas au Père Fils et Saint-Esprit. Trois personnes en communion parfaite, en parfaite altérité pourtant, ne sont pas directement assimilables aux trois personnes du singulier.

Le cercle herméneutique “croire pour comprendre, comprendre pour croire” qui se développera à partir de la philosophie d’HEIDEGGER ne donne pas non plus d’emblée l’intelligence du témoignage intérieur de l’Esprit-Saint qui révèle l’écriture comme parole de Dieu. Ce cercle s’adapterait tout autant à toute croyance.

Or, nous l’avons dit, la foi n’est pas croyance, elle est l’expression d’un témoignage, qui ne contredit pas la “spéculation existentielle” qu’elle soit explicitée ou pas.

CALVIN insistera beaucoup sur une autre dimension “la foi est une connaissance”. 312

‘Quand nous l’appellerons connaissance, nous n’entendons pas une appréhension 313 telle qu’ont les hommes des choses qui sont soumises à leur sens : car elle surmonte tellement tout sens humain qu’il faut que l’esprit monte par dessus soi pour cette connaissance. ’ ‘Et même y étant parvenu, il ne comprend pas ce qu’il entend : mais ayant pour certain et tout persuadé ce qu’il ne peut comprendre, il entend plus par la certitude de cette persuasion, que s’il comprenait quelque chose humaine selon sa capacité. Ainsi Saint Paul parle très bien disant qu’il nous faut comprendre quelle est la longueur, largeur, profondeur et hauteur, de connaître la dilection de Christ, laquelle surmonte toute connaissance (Éphésiens III 18-19). ’ ‘Car il a voulu ensemble signifier l’un et l’autre : à savoir, que ce que notre entendement comprend de Dieu par la foi, est totalement infini, et que cette manière de connaître outrepasse toute intelligence. 314 ” ’

Le texte de la lettre aux Éphésiens de saint Paul, persécuté, prisonnier des hommes à cause de son témoignage, que mentionne CALVIN, est clair et plus explicite encore :

‘Ainsi, je vous demande de ne pas perdre courage à cause de mes tribulations pour vous: elle sont votre gloire. À cause de cela, je fléchis les genoux devant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, duquel tire son nom toute famille dans les cieux et sur la terre, afin qu’il vous donne, selon la richesse de sa gloire d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur, en sorte que Christ habite dans vos coeurs par la foi; afin qu’enracinés et fondés dans l’amour vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et connaître l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu. ” 315

L’idéologie, système d’idées, théorique, clos, qui suppose une croyance foncière en elle, interdit carrément l’intelligence de la révélation, et est loin de l’évangile. L’évangile est bonne nouvelle où la vérité ne s’y construit pas mais s’y accueille gratuitement.

Chemin, vérité, vie, sont révélés dans une seule personne et la gratuité absolue d’un Amour 316 .

Cercles herméneutiques, triangles éthiques, tous les systèmes idéologiques, ne sont désormais que des dérives qu’il nous faut contourner encore pour notre entrée selon l’invariance du message.

Ces dérives modélistes induisent la perception de Dieu à partir des représentations que l’on s’en fait. À la manière de PLATON , ils semblent présupposer la seule réalité véirtable dans l’abstraction, alors que la BiIble nous interpelle au coeur de nos actes, de ce que BLONDEL appellle l’action.

Cette voie modélisante est donc aux antipodes de celle de la révélation biblique qui visite les rieprésentations des hommes, mais surtout les bouscule et les renverse.

Notes
311.

Note connexe numéro 7 adjointe à ce chapitre “Le temps de la Bible et le temps des grecs”

Extraits de :Antoine CABALLÉ op. cit. ; 1994; “ en annexes du document ” ; (des pages 301 à 303).

Note connexe numéro 15 adjointe au prochain chapitre: “Introduction à une entrée selon l’histoire” Extraits de : Antoine CABALLÉ 1994 ; op. cit. ; 1994 ; (des pages 90 à 95 )

312.

L’institution de la religion chrétienne Livre III chapitre 2 point 14.

313.

Compréhension, conception (Note du traducteur)

314.

CALVIN Ibidem

315.

Éphésiens III 13 à 16

316.

Jean XIV 6 op. cit.