L’enchaînement de quatre obstacles : monopsychisme, métamorphose et métempsycose, orphisme

La notion de monopsychisme est généralement associée à la critique adressée par Saint THOMAS D’AQUIN (1228-1274), vis à vis d’AVERROÈS (1126-1198), pour qui l’homme ne pensait pas singulièrement, personnellement en tout cas. L’intellect agent était collectif, nous dirions aujourd’hui social, et séparé de la réalité incarnée. Notre objectif n’est pas ici d’entrer dans la polémique fort subtile parfois, toujours très savante et argumentée, entre averroÏstes et thomistes, sur l’interprétation la plus judicieuse d’ARISTOTE, qui secoua l’université parisienne au coeur du XIII° siècle 350 , et qui se répercute jusqu’à aujourd’hui, mais de constater à quel point le débat d’alors n’est pas sans retombées aujourd’hui, tant sur la forme même des sciences humaines dans lesquelles s’inscrit notre étude, que dans notre propre sujet.

Ce n’est pas ARISTOTE, en effet, qui nous importe ici, mais il s’agit de montrer combien, en effet, une réminiscence de la conception monopsychique, et de l’humanité, et de l’intelligence, se fait jour avec la modernité et ce en quoi cette réminiscence interdit une approche de la Bible selon elle-même, comme également, elle constitue en conséquence un obstacle à contourner.

Mais qu’entendons-nous par monopsychisme ? Une négation de la réalité personnelle de l’expérience et de la pensée au profit d’une valeur posée en terme d’idée collective, ou pour le moins, un assujettissement de ladite expérience et de ladite pensée à cette perception systémique, collective, en tout cas séparée de la réalité de l’expérience en soi. Que cette valeur soit d’inspiration religieuse ou non. Le monopsychisme n’est pas la pensée unique, même si celle-ci peut en exprimer une forme et y participerait.

Ce monopsychisme se retrouverait donc dans tout ce que nous pourrions appeler la gestion gaussienne des populations, 351 du logement à l’urbanisation, de l’école jusqu’à l’emploi, de la prolifération des instituts de sondage, à la progression incessante des techniques médiatiques, de la publicité de vente aux informations, des pouvoirs politiques, syndicaux, et autres, d’une conception technicienne d’un libéralisme économique, dont les fluctuations du marché sont la devise principale pour ce qui concerne les décisions à prendre, jusqu’à la conception marxiste de la lutte des classes, de la micro-économie jusqu’à l’économie des marchés à l’échelle mondiale.

À la télévision, un récent spot sur les ordinateurs Apple est significatif de ce que nous voulons dire : Un homme explique que ses collaborateurs sont répartis aux quatre coins du monde et qu’il est directement connecté avec eux, sans avoir lui même à bouger de place. Il lit alors cette phrase sur le petit écran muni d’un clavier et qu’il tient devant lui : “Je suis au centre de tout.” Double problème posé par l’évolution technologique, schizophrénie et monopsychisme menacent. Ce “Je suis au centre de tout” n’est-il pas objectivement schizophrénique, et par nature et définition, pure illusion de puissance, de toute puissance ? Enfin, une ambiguïté demeure, savamment maintenue dans la publicité : Qui est ce “je” ? L’homme ou l’ordinateur ?

Qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, ou des deux à la fois, la question de l’ambiguïté ne se résout pas pour autant et dans quel sens faut-il entendre les deux termes associés de “centre” et de “tout” ? Toute vision intégriste qui assimile chaque partie à un tout dont il dépend, qui broie la singularité au profit d’une vision généraliste, collectiviste est de l’ordre du monopsychisme. Il y a pourtant bien dans l’évangile une telle radicalité, nous revenons à la réponse que fait Jésus à Thomas, comme nous y reviendrons encore. “Je suis le chemin, la vérité, la vie. Nul ne vient au Père que par moi ...” 352

Mais cette radicalité agit bien plutôt comme à l’inverse d’un intégrisme; comme un intégrisme renversé, nous allons le montrer. Ce qui est réuni ici, dans une communion, est tout l’homme et tout Dieu en Jésus-Christ. La Bonne Nouvelle de l’évangile exprime une descente du ciel sur la terre dont Jésus accomplit le mouvement, avant de monter à nouveau au ciel, après sa mort et sa résurrection. Son "christo-centrisme" n’est absolument pas une référence à un monisme monopsychique. La lumière de l’Amour de Dieu est manifesté en Jésus. Par elle, en lui, le disciple, à son tour, devient lumière du monde 353 . Désormais, voici donc l’homme appelé à oeuvrer dans ce monde, sans être du monde 354 , à partir de sa perception à la fois propre et renouvelée des choses, Dieu a visité le monde. Norman GRUBB, évangéliste britannique, en 1946, l’écrivait en ces termes.

‘La vie spirituelle n’est pas quelque part “là haut”, elle n’est pas plus haut que le sol que vous foulez; Jésus vous a dit qu’il vous était avantageux qu’il s’en aille et soit élevé au ciel parce qu’alors il enverrait le Saint-Esprit ici bas pour nous rendre capable de faire le travail. Ainsi tandis qu’il s’occupe de nos affaires “là-haut”, il a laissé le soin au Saint-Esprit de s’occuper de ses affaires ici-bas.” 355

Norman GRUBB faisait allusion aux paroles prononcées par Jésus évoquant son ascension, dont le récit, corroborant ainsi le message, ouvre précisément le livre des Actes des apôtres. Comme si les apôtres passaient enfin aux actes, une fois Jésus monté au ciel.

‘Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’en allait, voici deux hommes vêtus de blanc leur apparurent et dirent : Hommes galiléens pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ?” 356

Comme une respiration, un dialogue, sont issus d’un double mystère, double étonnement. Double mystère, double étonnement, d’une présence absente, d’une absence présente, qui à partir du sentiment de tristesse, et de vide, ressenti par les disciples, agit comme un envoi. Comme en écho à Norman GRUBB, le pasteur réformé, Jean Pierre MONSARRAT exprime à son tour ce trouble et cette situation du chrétien dans le monde, en ces termes.

‘Jésus envoie les siens en mission. (...) Jésus ne se contente pas de donner un ordre il fait une promesse “Je suis avec vous tous les jours ...” Lorsque nous tentons de lui être fidèles, il est là pour nous secourir et nous guider dans notre vie quotidienne; Il est toujours l’Emmanuel. (Matthieu I 23) L’Ascension n’est pas le départ du Maître vers quelque lointaine galaxie ! Sa présence invisible habite notre existence, elle habite notre monde. Elle est notre assurance et notre espérance.” 357

Nouvelle traduction encore de ce mystère dans ce poème de Michel BOUTTIER, théologien réformé, qui exprime en ces termes le renversement de la donne habituelle, voici Dieu devenu serviteur, invitant à communier dans son amour.

‘“Je voulais aimer Jésus et c’est lui qui m’aime.
Je voulais servir Jésus et c’est lui qui me sert.
Je voulais m’agenouiller et le voici à mes pieds.
Au moment où je m’approche pour esquisser un geste de retour, il part et désigne
ceux dont je ne voulais pas.’ ‘Il vous est avantageux que je m’en aille ” 358

Cette dernière phrase exprime bien la distance entre le message de l’évangile et la notion romantique de HÖLDERLIN qui inspira HEIDEGGER. Le départ du Christ est un avantage pour le disciple, par le fait de l’Esprit-Saint, Esprit de Consolation, témoignage, d’un renversement d’une parole qui désormais passe par le coeur de chacun pour témoigner dans l’Amour du Père, d’une création nouvelle. Ici, la nostalgie cède à l’invincible espérance.

L’homme est invité à faire une place sur la terre à celui qui est venu au monde et l’a traversé pour le sauver. Cette place laissée est l’écho de la place que Jésus prépare au ciel pour ses disciples.

Cet espace s’ouvre sur tout l’opposé d’un monopsychisme, il s’agit de préparer et de reconnaître la place de Dieu dans le plus rejeté, le plus exclu des hommes. Il s’ouvre une communion.

Le monopsychisme, au contraire de la communion, suppose, ou produit, une altérité formelle, sur un fond, commun et unique. La métamorphose est une notion qui en découle. Le concept de métamorphose, en effet, suppose, selon l’étymologie même, nous y reviendrons, une action de l’intérieur, qui transforme l’extérieur, l’apparence, la forme.

Le poète latin OVIDE (- 43 ; 17), qui entreprit de conter la fabrication du monde, dans son ouvrage “ les métamorphoses”, écrivit donc, au commencement de son ouvrage :

‘J’ai formé le dessein de conter les métamorphoses, des êtres en des formes nouvelles. Ô dieux (car ces transformations furent elles aussi votre oeuvre ) favorisez mon entreprise et guidez le déroulement ininterrompu de mon poème depuis l’origine du monde jusqu’à ce temps qui est le mien.” 359

Tout le long poème de OVIDE répond d’ailleurs assez bien à son dessein, il y décrit son interprétation personnelle de l’histoire humaine qui va des dieux aux hommes. Certes, s’il y raconte bien autres choses que des métamorphoses, celles-ci semblent en constituer bien plus qu’un prétexte, mais la trame, et, comme le sous tendu, théologique et philosophique, dans la sorte de compilation des légendes antiques qui constitue son ouvrage. Pour OVIDE, il semble, à la manière de HÉRACLITE, y avoir, à la fois, une distinction fondatrice entre le physis, le monde, et l’âme immortelle, où siège le logos, et, une sorte de correspondance terme à terme, du type de celle qui associe une source de lumière à son reflet. Le monde n’est, en effet, que le reflet de cette réalité éternelle, strictement idéelle.

Qui dit le monde dit également son ordre, l’ordre du monde, qui, s’il n’est lui aussi qu’un pâle reflet, est donc, selon OVIDE, bien conforme à l’ordre de la raison. OVIDE terminera, en chantant les louanges de Rome du grand Jules CÉSAR (vers -101 ; vers - 44) et de son neveu, l’empereur AUGUSTE (vers -64 ; vers 14). Il conclut d’ailleurs, le dernier livre, le quinzième, de son long et ambitieux poème, en disant :

‘Partout où la puissance romaine s’étend sur la terre soumise, je serai lu par la bouche des hommes, et à travers tous les siècles, grâce à la renommée, si les pressentiments des poètes ont quelque vérité, je vivrai “ 360

OVIDE chante ainsi ici sa propre métamorphose, celle de sa propre nature, qui, par son poème, dépassera sa propre destinée charnelle.

Il y aurait donc deux sortes de métamorphoses, une première qui serait strictement idéelle, une seconde, le fait d’une action et naturelle comme celle qui provoque le passage de la chenille à la chrysalide, et, de la chrysalide au papillon. Ce qui fait se joindre les deux formes de métamorphose est le fait que le mouvement va de l’intérieur vers l’extérieur : la chenille tissant son cocon va produire un papillon, comme OVIDE, bien que prétextant que celle-ci est l’oeuvre des dieux, écrivant son poème, croit “produire” en quelque sorte son immortalité.

La création nouvelle, au contraire, dont la Pentecôte est le signe, vient d’une action toute extérieure qui transforme l’intérieur de l’être. Par exemple, les douze disciples sont douze personnes, de Thomas qui demande à voir pour croire, à Pierre, fougueux qui dit vouloir suivre Jésus partout, à Jean, que Jésus aimait, jusqu’à Judas l’ Iscariote, celui qui tenait la bourse, qui trahira avant de se pendre, rongé par le remords, sont chacun une personne, avec un caractère propre.

La transformation de tous, sauf Judas Iscariote, malheureusement déjà mort, à la Pentecôte, est-elle métamorphose, au sens que nous venons de donner à ce mot ?

Il ne ressort pas de leur expérience quelque chose qui ressemble à un monopsychisme mais tout le contraire, des caractères, des personnes, non pas anihilées, non pas seulement transformées, mais recréées.

Dès lors, nous sommes loin, dans les métamorphoses de OVIDE qui imagina CÉSAR rendu immortel par sa métamorphose en “astre nouveau, en comète “ (livre quinzième, 745), de la création nouvelle à laquelle invite l’évangile.

L’évangile invite a une création nouvelle, oeuvre de Dieu en l’homme, création nouvelle dont la conversion est signe.

La conversion, la nouvelle création qui l’accompagne, ne sont pas un changement de forme, un passage du corps à l’âme, à la manière des métamorphoses de OVIDE, mais un changement de centre, un changement de nature, d’Adam au Christ, de créature de Dieu, créée à son image, à fils de Dieu, participant de son Règne, à sa gloire.

Ce changement de l’ordre des choses ne provient pas du fruit de la spéculation humaine mais d’une révélation de Dieu lui-même, sur sa propre nature manifestée en une personne, Jésus, qui manifeste un don d’amour absolu et gratuit par sa mort sur la croix réconciliant l’homme et son créateur. Telle est l’origine de la foi chrétienne.

Lors d’une prédication donnée à Montauban en 1843, professeur de théologie dans cette même ville, le pasteur évangéliste réformé Adolphe MONOD (1802-1856), l’exprime sous une forme de parabole, à partir de la phrase tirée de l’épître de Jean.

‘“Dieu est amour “ 361 Dans une petite ville d’Italie que le volcan du mont Vésuve ensevelit, il y a dix huit cents années, sous un fleuve de lave, on trouve d’anciens manuscrits brûlés qui ressemblent plus à des charbons éteints qu’à des livres, et qu’on déploie par d’ingénieux procédés, péniblement, lentement, ligne après ligne, mot après mot. Supposons qu’un de ces rouleaux d’Herculanum renfermât un exemplaire de notre épître, et le seul qu’il y eût au monde. Parvenu au quatrième chapitre et au huitième verset, on vient de déchiffrer ces deux mots : “Dieu est,”et l’on ignore encore celui qui doit suivre. Quelle attente ! Ce que les philosophes ont tant et si vainement cherché, ce que les plus sages d’entre eux ont enfin renoncé à découvrir, une définition de Dieu, la voici donc et la voici de la main de Dieu lui même. Dieu est ... que va-t-on nous dire et quel est -il ? 362

Plus loin encore Adolphe MONOD écrira, citant toujours la même épître de Jean :“Voyez quel amour, le Père nous a donné” 363

‘“Le véritable amour ne se déclare pas seulement, il se montre; ou mieux encore selon une belle expression de saint Jean, il se donne.” 364

Le message de l’évangile est celui qui révèle cet amour, la mesure de cet amour, non dans une idée abstraite mais dans le don de Dieu lui-même, par la vie de son propre fils. Pour concrétiser encore cette originalité de l’évangile Adolphe MONOD, lors de sa prédication, citait alors l’exemple tout à fait historique celui-ci, disait-il, d’une certaine mission morave en terre de Groenland, menée avec la participation du missionnaire BECK. La mission morave resta, nous dit-il, pendant des années, stérile, tant que le message évangélique, n’en resta qu’aux généralités théoriques, en quelque sorte, et informatives, sur la religion chrétienne, parlant de l’obéissance aux lois du respect du devoir. Elle ne commença subitement à porter fruit qu’à partir d’un événement quasiment anodin, suite à une lecture dans un des évangiles du texte, justement, de la passion du Christ.

‘“(...) laissons les hypothèses et prenons un fait historique (...)’ ‘Ainsi s’écoulèrent quelques années durant lesquelles ils ne virent aucun fruit de leur travail. Un jour enfin, les voici qui hasardent de leur parler du Sauveur et de leur lire le récit de sa passion. Ils n’eurent pas plutôt achevé qu’un de leurs auditeurs, nommé Kajarnak, s’approche de la table où le missionnaire Beck était assis, et lui dit d’une voix forte mais émue : “Que nous dis-tu là? Répète tout cela. Moi aussi je veux être sauvé.” Et Kajarnak crut, vécut en chrétien et mourut dans la paix, prémices bénies d’une abondante moisson”. 365

Si notre propos n’est pas ici de faire un constat d’historien sur les missions moraves en Groenland, force est de constater combien l’enseignement qu’en tirait Adolphe MONOD semble être une constante de l’action évangélisatrice. La conversion n’est pas réductible à une métamorphose, même si des éléments d’une sorte de métamorphose se laissent voir, à partir d’elle, et, KAJARNAK, transformé,“vécut en chrétien jusqu’à sa mort”. Si une certaine métamorphose est bien une conséquence de la conversion, la prise de conscience, que le chemin de l’homme vers Dieu, est irrémédiablement renversé et inversé, en Jésus-Christ, par lui, est une constante de la conversion chrétienne, qui, déjà selon l’ étymologie, exprime un changement de centre, que toute métamorphose ne peut, par définition, contenir.

Une deuxième voie chrétienne semble s’ouvrir aux antipodes de la voie évangélique et de la transformation instantanée, la voie monastique. La “métamorphose” monastique qui fait plier l’homme à des règles, est-elle opposée à la transformation instantanée de KAJARNAK ? Malgré les apparences la règle monastique n’est pourtant pas ici un moyen, ni une fin, mais une coquille, un coquillage, qui ne prend sens que si elle est habitée par une conversion du coeur, tout comme la transformation de KAJARNAK ne prit sens qu’à partir de sa conversion. Cassià Maria JUST l’exprime parfaitement en commentant le soixante-treizième chapitre, épilogue de la règle rédigée vers 540, par saint BENOîT de Nursie, le “patriarche des moines d’occident”, ( 480-587) fondateur de l’ordre des bénédictins.

‘“Le chapitre 73 est un épilogue dans lequel l’auteur relativise la valeur de la Règle, tout en invitant les moines à aller plus loin, inspirés par la Parole de Dieu et la tradition des saints. C’est la justification chrétienne d’une Règle : qu’elle soit un apprentissage pour la liberté de l’Esprit qui nous a gagné au Christ! 366

Nous retrouvons ce même mouvement dans l’église grecque d’Orient et BASILE de Césarée (329-379), frère de GRÉGOIRE de Nysse (330-390),et qui fut fondateur du monachisme oriental. La Règle monastique est donc à la fois moyen pour chanter l’Esprit source de louange et de liberté dont elle est simultanément un fruit. 367 Dans tous les cas, c’est la conversion du coeur qui produit la sanctification chrétienne (terme préférable à métamorphose). Par ailleurs Saint BENOÎT oppose le zèle d’amertume qui conduit à l’enfer au bon zèle qui éloigne les vices et transporte vers Dieu et la vie éternelle.

‘“Que rien ne s’interpose, rien absolument rien au Christ.” 368

Du monachisme à l’évangélisation, des oeuvres, à la pure grâce il y aurait le même faux débat que celui qui voulut faire s’opposer les épîtres de Paul à celles de Jacques, n’oublions pas que les règles de BASILE comme de BENOÎT s’adressaient le plus souvent à des exclus du monde et qu’elles constituaient avant tout une évangélisation pour arracher certains hommes à des vies de misères et de souffrances. Nous y reviendrons lors du dernier chapitre de cette thèse.

Ce qu’il ne faut point confondre donc est le fond et la forme. la métamorphose visible d’un homme converti n’est qu’un fruit dont la conversion est le fond et le véritable miracle, le signe. Dans l’évangile de Marc, Jésus à Nazareth, chassé de sa propre patrie, l’exprime de façon condensée, le miracle de Jésus ce n’est pas la guérison des malades, mais la conversion des coeurs :

‘Il ne put faire là aucun miracle, si ce n’est qu’il imposa les mains à quelques uns et les guérit; et il s’étonnait de leur incrédulité. 369

Comme l’écrira Antoinette BUTTE : “L’oeuvre vient de l’être et c’est un fruit.” 370 C’est ce mouvement créateur inversé de Dieu vers l’homme qui donne le sens de ce fruit. Le fruit c’est le Christ, premier né d’une création nouvelle, premier né de toute créature, premier né d’entre les morts.

‘Il est l’image du Dieu invisible, le premier né de toute la création. Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités dominations, autorités. Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et toutes choses subsistent en lui. Il est la tête et le corps de l’Église; il est le commencement le premier né d’entre les morts afin d’être en tout le premier 371

La régénération chrétienne produite par la conversion, la nouvelle naissance (du grec palingenesia) 372 est une participation à la création nouvelle dans l’église, corps vivant du Christ, en communion avec lui. Le nouveau lien entre les hommes n’est pas de l’ordre de la cohérence conceptuelle, systémique, mais de l’ordre de l’amour. Comme Jésus a aimé le premier. Saint Jean l’exprime ainsi.

‘Quiconque aime est né de Dieu 373

Du monopsychisme à la métamorphose, le glissement est, nous l’avons montré, comme naturel et inévitable, il l’est tout autant, de la métamorphose à la métempsychose, dont PYTHAGORE (environ - VI siècle) fit sa doctrine philosophique. PYTHAGORE voyait dans les nombres les principes de toutes choses et les lois de l’univers. La loi de la perpétuelle renaissance dans la transmigration des âmes qui fournissait déjà le principe premier de la mystique de la vieille Égypte et que nous retrouvons dans les religions orientales dont il constitue le dogme fondamental, suppose une référence religieuse dominante de la représentation d’une essence divine assimilable à une énergie source de la réalité matérielle, spirituelle, voire géométrique ou numérique.

Le ou les dieux sont assimilés au fabricateur, à l’alchimiste, au grand architecte de l’univers, thème que reprendra, entre autres, la tradition maçonnique comme une représentation dominante. Cette notion de métempsychose, issue de celles du monopsychisme et de la métamorphose, bute également tout aussi radicalement que celles-ci, et se brise, tout aussi irréversiblement qu’elles, sur le mystère de l’incarnation, et de la résurrection, tel qu’il se révèle dans la personne du Christ, comme au travers de toute l’histoire biblique.

Le terme de “psychikos” (psyché), chez les grecs, signifiait la pensée naturelle, Paul 374 Jacques 375 et Jude 376 l’utilisent dans leurs épîtres dans ce sens.

À cette notion, le Nouveau Testament oppose celle de “pneumatikos” Pneuma Hagion (l’Esprit-Saint).

La résurrection est une participation de la vie du ” Pneuma Hagion”, la vie d’en haut. La métempsycose serait une pérégrination terrestre de la psyché “la vie naturelle” aux travers de corps divers.

‘Contrairement à psychikos qui désigne le charnel, le sensuel, la nature humaine privée de l’Esprit de Dieu, pneumatikos indique que le Saint-Esprit est maître souverain de l’homme lequel n’est plus dominé par la chair. 377

Il nous faut entendre par le mot chair tout ce qui est de l’ordre de la condition humaine telle qu’en elle même, naturelle, de sa finitude, qui va de la vie vers la mort.

Jésus intègre en sa personne toute la souffrance humaine, la réalité corporelle, et toute la dimension divine.

Écoutons Bernard TURQUET prêtre ouvrier de la mission de France victime en Octobre 1992 d’un grave accident corporel, travaillant dans les favellas de Volta Rotonda au Brésil...

‘À l’hôpital, j’ai mieux compris que mon corps n’est pas une enveloppe extérieure, ni un support de mes pensées et de ma conscience. ’ ‘(...)’ ‘Les séjours au Brésil à l’hôpital m’ont invité à relire l’évangile en portant plus d’attention à l’affectivité de Jésus et à la place qu’il donnait au corps. ’ ‘(...)’ ‘Il s’agit pour moi, de repérer dans les évangiles quand Jésus était fatigué, comment il a eu faim et soif, comment il n’a pas refusé les gestes de tendresse, comme celui de la femme qui lui verse du parfum sur les pieds et les essuie avec ses cheveux (et non avec un linge!).’ ‘Comment ne pas voir Jésus prêtant attention au corps des autres, soulageant les souffrants, montrant sa tendresse et exprimant son désir de la tendresse de la présence de l’autre. Je vois alors “le disciple que Jésus aimait” se pencher sur sa poitrine; je vois le corps souffrant de Jésus pendant la passion, dans la déréliction et même le délire du supplice inimaginable de la croix ... Oui, Jésus a vraiment habité notre corps. Ce corps avec sa souffrance, sa vitalité et sa sensibilité, il l’a partagé avec nous. ’ ‘(...) ’ ‘D’étape en étape, des chantiers du bâtiment aux favellas du Brésil et après ces trois années de fréquentation des hôpitaux, Jésus m’a fait comprendre toute l’épaisseur de son incarnation. Car, en fin de compte, un Dieu qui n’aurait pas vraiment la condition d’homme, qu’aurait-il à nous dire qui puisse nous toucher au plus profond? 378

Il reste que l’histoire chrétienne n’en a pas fini avec ce mystère né de l’irruption de l’Esprit-Saint au coeur de la psyché. 379 Le mystère du Christ “tout à fait homme” et “tout à fait Dieu” reste, toujours profondément réfractaire à toute réduction au modèle, à l’objet. Or, la psyché est toujours tentée de modéliser. Il ne semble pourtant possible d’en parler qu’à partir du seul témoignage, selon l’Esprit-Saint, bibliquement assimilé à un souffle, un vent, un feu ... insondable et imprévisible témoin . 380

Tout au long du message biblique, le chemin est encore ici inversé, ce n’est plus l’âme de l’homme qui transmigrerait, depuis on ne sait quel éther, vers quelque enveloppe terrestre, pour atteindre la divinité, mais Dieu qui est venu partager la condition de l’homme, visitant et sanctifiant son propre corps, jusqu’à prendre chair humaine en Jésus, transfigurant désormais la condition humaine, ouvrant lui même le chemin renversé, inversé, de la mort à la vie. Selon l’expression même de Paul dans sa lettre aux Corinthiens, désormais le corps est “le temple du Saint-Esprit.”

‘Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous mêmes. Car vous avez été rachetés à un grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui appartiennent à Dieu. 381

En restaurant donc le corps comme temple, sanctuaire de l’esprit, en ouvrant un chemin à partir de Dieu vers l’homme le message biblique a libéré l’homme de son attraction pour le mystère de la mort. Le mot même de mystère change de sens, il exprime moins le secret que l’émerveillement. Le mystère est dans la vie au quotidien, l’Esprit-Saint venant habiter l’homme au quotidien de ses gestes, pensées, actes, aux extrêmes antipodes des mystères orphiques et de l’attraction pour l’au-delà auxquels invitent les spiritistes.

Le père Michel ANGLARÈS 382 montre par ailleurs combien est large le fossé qui sépare les spiritualités orientales et le cycle des réincarnations qui attirent particulièrement le mouvement du Nouvel-Âge de la foi chrétienne. Il l’exprime très synthétiquement, lors d’entretiens avec Jean Pierre MANIGNE.

‘- “Les Occidentaux me semblent parfois mesurer mal ce qu’à d’absolument désespérant la vision de la réincarnation dans les traditions orientales. Pour l’hindouisme, berceau de ce qu’il vaut mieux appeler la transmigration des âmes, on peut monter et descendre quasi indéfiniment l’échelle des êtres (une échelle qui inclut même les divinités) en fonction des vies antérieures. Chacun des cycles de cet enchaînement dure un kalpa, le temps qu’il faut à un mouchoir de soie pour effacer l’Hymalaya en l’effleurant une fois tous les trois siècles. Les hindous espèrent, certes, se fondre dans le principe divin, mais concrètement, ils se voient engagés dans un processus infernal et interminable.’ ‘Bouddha a cherché une voie pour en sortir. C’est le chemin des quatre vérités : impermanence de toute chose, souffrance de l’homme lié par le désir à ce monde fluent, nécessité de renoncer à tous les désirs, possibilité d’entrer ainsi dans le nirvana, où nous voyons une image du néant, mais qui est plutôt l’extinction de tous les désirs, un état indescriptible où l’on cesse enfin de migrer.’ ‘La vision orientale est profondément marquée par la notion de karma, ces actes de la vie antérieure qui nous enchaînent au cycle des recommencements et de la souffrance. Les Occidentaux reprennent cette théorie du karma, mais dans une perspective optimiste, ça ne peut aller qu’en s’améliorant: l’élan donné, la vie suivante sera encore meilleure.’ ‘(...) ’ ‘Pour les tenants de la réincarnation c’est l’homme qui fait son salut. Pour les chrétiens, Dieu est notre salut. Encore faut-il bien s’entendre : contrairement à des opinions trop répandues, la Résurrection n’est pas une récompense après la mort. Comme le dit Paul, la vie éternelle est “déjà”commencée.” 383

L’orphisme, religion réformatrice de la Grèce, apparue au sixième siècle avant Jésus Christ, à partir de la légende d’Orphée, aède mythique, recherchant, jusqu’aux enfers, son épouse Eurydice qui, poursuivie par Aristée, mourut piquée par un serpent, fut particulièrement accréditée par EURIPIDE et ARISTOPHANE, les néo-platoniciens et les néo-pythagoriciens.

Lorsque, contre sa promesse, Orphée se retournera pour regarder Eurydice, avant qu’elle ne soit sortie du royaume de Hadès, le dieu grec des morts, celle-ci disparut aussitôt et à jamais, dans les ténèbres. L’orphisme fut donc une religion initiatique dont la préoccupation principale pouvait être, à la manière d’Orphée, d’entrer en contact avec le royaume des morts. Toute l’histoire d’Israël est une mise en garde contre la consultation des oracles, astrologues, devins, médiums, qui constituaient le lieu commun des contrées voisines 384 .

Mais sur quoi donc pouvait bien se fonder une telle singularité radicale et, pourquoi ce qui était permis voire toléré pour d’autres nations, était considéré comme suspect, voire interdit, pour Israël?

Il nous semble encore une fois trouver la réponse dans le mystère de l’incarnation en route donc, dès l’Ancien Testament.

Tout va dans le sens d’un envoi sur la terre, de la promesse faite à Abram d’une terre réelle et non mythique, d’une postérité bien réelle et non mythique, dont Isaac préfigure la venue, jusqu’à la loi qui reprend les détails de la vie quotidienne pour y manifester les signes de la présence de Dieu, de sa volonté.

Aujourd’hui encore, la tradition juive vit le deuil à partir de la mémoire des paroles de Job.

‘Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je retournerai dans le sein de la terre. L’Eternel a donné l’Eternel a ôté. Que le nom de l’Éternel soit béni. 385

Aujourd’hui encore, chez les juifs, les cérémonies funèbres sobres, sans fleurs ni couronnes, comme le deuil que l’on garde une semaine, ou la prière des morts “ le Kaddish” que l’orphelin récitera, pendant onze mois, sont destinés à la consolation des vivants, à la mémoire des anciens. Mais point ici de cultes des ancêtres au contraire de la tradition de l’Extrême Orient.

Avec le christianisme, ce mystère de l’incarnation, trouve son accomplissement, en Jésus dont la mort est chemin vers la vie.

Les premiers chrétiens vont subir deux grands types de persécutions : dans un premier temps, celles provenant, parmi les juifs, de ceux qui se voulaient les gardiens orthodoxes de la religion juive, ou de la paix politique, et nous trouvons ici une coalition presque contre nature entre Hérode, pharisiens, et le sanhédrin, et, dans un deuxième temps surtout, celles provenant de Rome, s’amplifiant à partir de NÉRON et de l’épisode de l’incendie de Rome (64).

Au “martyr” du Christ, suivant celui de Jean le Baptiste, sous le règne d’HÉRODE ANTIPAS, (Luc VII 18 à 35 et Marc VI 17 29) par Hérode, vont succéder les martyrs des apôtres et disciples. Étienne, ayant montré la voie, Jacques, fils de Zébédée, l’apôtre, mis à mort sur l’ordre d’ AGRIPPA I°, en 44 env, (Actes XII 2), Pierre, ( probablement crucifié entre 64 et 68 à Rome), Paul (en 67 en Espagne, ou à Rome ?), et Jacques “le juste”, mort en martyr à Jérusalem entre 62 et 66), le frère de Jésus et l’auteur des épîtres, , parmi tant d’autres, suivront. L’église primitive naît donc du martyr, mais le martyr n’y est pas recherché. Il se distingue ainsi du kamikaze, ou des bonzes qui se brûlaient vifs lors de la guerre du Vietnam. Au contraire, les premiers chrétiens, à l’image de Paul, se cachant dans une corbeille, 386 pour échapper, à Jérusalem, à ceux qui venaient pour le lapider, ou encore, de Pierre libéré miraculeusement de la prison 387 , font tout pour fuir les persécuteurs.

Lorsqu’il devient inéluctable, incontournable, le martyr est subi, sans haine, avec amour, mais intégralement subi, à l’instar du Christ sur la croix, tel Étienne lapidé, le regard est tourné vers la vie, en communion en Christ.

Aux paroles de Jésus au moment de la croix “Père pardonne leur ils ne savent pas ce qu’ils font “ 388 répondent celles d’Étienne les yeux fixés vers son Seigneur.”Seigneur ne leur impute pas ce péché” 389

Soulignons que le livre des actes, comme les épîtres, parlent mais ne développent pas outre mesure les persécutions dans lesquelles pourtant on devine le plus souvent que les différents auteurs ont écrit.

Il n’y a donc pas à l’origine d’apologie du martyr. Le martyr semble bien plutôt aller de soi, s’il contribue à manifester la gloire de Dieu, en communion avec les souffrances du Christ sur la croix, il ne constitue pas une fin en soi 390 .

Il faudra attendre BONIFACE IV en 610, puis GRÉGOIRE IV en 835, pour que soit instaurée, en chrétienté, la fête de la Toussaint en la mémoire de tous les martyrs et de tous les saints, dans un premier temps, avant de se généraliser pour tous les disparus. La Toussaint Orthodoxe est célébrée le dimanche qui suit la Pentecôte. Le jour des morts le deux Novembre, fait suite à une initiative des moines de Cluny au XI °siècle. Il semble ici que le christianisme s’aligne, en partie, sur les religions antiques ou païennes, plutôt qu’elle ne puise dans son propre caractère, sa propre source.

Les protestants, plus biblistes, n’ont pas de fête spécifique destinée aux morts.

La spécificité chrétienne est bien dès l’origine cette victoire sur la mort, ce regard tourné désormais vers la vie.

Reprenons, pour l’illustrer, où nous l’avions laissée, la lettre de Paul au Colossiens.

‘(...) il est le commencement, le premier né d’entre les morts afin d’être en tout le premier. Car Dieu a voulu que toute plénitude habitât en lui; il a voulu réconcilier par lui tout avec lui même, tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix avec lui avec le sang de sa croix.” 391

Au moment de la résurrection, le tombeau est vide, aux femmes venues portant les aromates qu’elles avaient préparées, deux hommes aux habits resplendissant apparurent et dirent :

‘“Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? “ 392

Jésus a traversé la mort. Le disciple est invité à regarder vers la vie. Orphée n’était revenu de la mort que vaincu, meurtri à jamais, en quête d’une bien aimée à jamais perdue, alors que Jésus, au contraire, en est revenu vainqueur. La mort n’a plus d’intérêt, elle “a rendu sa proie”. Jésus, au cours de son ministère, l’avait déjà manifesté et enseigné à ce disciple qui voulait ensevelir son père avant de le suivre.

‘Un autre d’entre les disciples lui dit : Seigneur, permets-moi d’abord d’aller ensevelir mon père. Mais Jésus lui dit : “Suis-moi et laisse les morts ensevelir leurs morts.” 393

“Spiritualistes spiritistes” et “matérialistes rationalistes” sont d’ailleurs, d’une certaine façon, renvoyés dos à dos par cet accomplissement de l’alliance ancienne, mystère de l’incarnation du verbe divin, passage ouvert de la mort vers la vie, manifesté par Jésus.

Écoutons encore Jésus répondre à une question insidieuse des sadducéens qui ne croyaient pas à la résurrection.

‘Pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ? Dieu n’est pas Dieu des morts, mais des vivants.” 394

Ce chemin de la mort à la vie sera accompli par Jésus, lors de sa mort et sa résurrection. Le regard du disciple, comme l’y invitait déjà le sermon sur la montagne, initiant le ministère du Christ, en est retourné. Il ne regarde plus à partir du point de vue de l’homme qui est celui qui va de la vie vers la mort, mais du point de vue de la résurrection, point de vue de Dieu qui va de la mort à la vie.

Pierre VAN BREEMEN exprime en ces mots ce même mystère qui fait entrer dans une dimension transfigurée, la vie naturelle n’est pas la vie en Christ, et la vie en Christ n’est pas seulement pour demain, elle est victoire sur la mort, aujourd’hui.

‘Nous mourrons tous. Nous appelons cela la vie, mais la mort en fait partie; la mort a pouvoir sur elle. Le Christ connaît une vie sur laquelle la mort n’a plus le moindre pouvoir. C’est cela la vraie vie, la vie pure, une vie qui est hors de notre portée. 395

La mort n’est plus dans la vie, mais pour la vie, avec la vie, vaincue par la vie. Elle n’est ni une recherche du morbide, ni celle du sacrifice pour le sacrifice, mais comme déjà dépassée par la vie transfigurée en quête de communion en Dieu. Elle fait cependant encore partie de la condition du chrétien, envoyé dans le monde, sans être du monde, citoyen des cieux dans la cité terrestre, porteur témoin d’un royaume qui vient et qui est déjà là, sans être encore perçu de tous les hommes.

À Pâques 1996, frère Roger SCHUTZ de Taizé, faisait cette prière, qui exprime ce radical renversement du point de vue, à partir de la résurrection du Christ, dont l’Esprit-Saint rend témoignage. En effet ce qui était “hors de notre portée” est rendu désormais accessible par l’Esprit-Saint.

‘Jésus le Christ, tu es ressuscité, et jamais tu ne veux pour nous les secousses de la désolation intérieure. Quand nous comprenons que personne n’est exclu de ton pardon, ni de ton amour, alors notre coeur change et s’apaise. Nous te demandons : qu’attends-tu de moi ? Et l’Esprit-Saint peut répondre : je prie en toi, ose le don de ta vie, ose aller jusque là. 396

Dès lors, tout ce que l’esprit échafaude, les représentations que l’on se fait des hommes, de soi et de Dieu ne sont pas la vie, c’est dans le pain rompu, le don de soi, réponse au don du Christ que se trouve la vie. CALDERÒN DE LA BARCA exprima ainsi, cette rupture.

‘Y pues representaciones
es aquesta vida toda
merezca alcanzar perdòn
de las unas y las otras. 397
Notes
350.

SIGER DE BRABANT (1235-1281), disciple parmi d’autres d’AVERROÈS, affirmait à l’Université de Paris dont il était professeur, suivant les thèses de AVERROÈS, l’unité de l’intellect “anima intellectiva” et l’éternité du monde. Il fut ainsi que tout le courant fort à la mode qu’il représentait, âprement combattu par saint THOMAS D' AQUIN.

351.

CASTEL Robert “La gestion des risques -de l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse “ Les éditions de minuit” Paris 1984 ; (227 pages). S’intéressant à l’évolution de l’univers psychiatrique dans ses liens au monde social, Robert CASTEL note une évolution gestionnaire de plus en plus complexe, qui trouve dans la quête de programmation de sa propre efficience par le sujet, la raison nécessaire et suffisante, et culminante, pour justifier la quête cachée d’efficience sociale qui en fait seule prévaut. Les populations gérées sur le modèle généraliste des courbes de Gauss, subissent chaque jour davantage, des activités de plus en plus complexes, d’expertises, d’évaluations, d’assignations et de distributions sur le territoire, ce à quoi de manière masquée, participe de fait le travail de la psychiatrie de plus en plus médicalisée. À une gestion technocratique centralisée qui seule fournit et légitime la norme chaque jour plus pressante, il viendrait, dans le travail social médical et psychiatrique, se greffer, une incitation centrale à la quête de convivialité à l’échelle locale, permettant ainsi au système de tenir.

352.

Jean XIV 6 op cit

353.

Jean VII 12 ; IX 5 “Je suis la Lumière du monde”

Matthieu V 14 “Vous êtes la lumière du monde “ I Thessaloniciens V 5 “Vous êtes les enfants de la lumière “

354.

Jean XVII 13 à 17 (prière dite sacerdotale, de Jésus).

355.

GRUBB Norman “La loi de la foi “ traduit de l’anglais ; 1° édition anglaise 1947 Lutterworth Press London ; Mission prière et réveil Pierrefitte 1969 ; (à la page 210). Dans le texte précédant la prière sacerdotale, selon l’évangile de Jean XVI versets 5 à 7 :“ Jésus dit aux disciples : “”Maintenant je vais vers celui qui m’a envoyé et aucun de vous ne me demande : Où vas-tu ? Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli vos coeurs.

Cependant, je vous dis la vérité : Il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le consolateur ne viendra pas vers vous, mais si je m’en vais je vous l’enverrai.”

356.

Actes I 9 à 12

357.

“Parole pour tous” 1996 Rédacteur en chef : le pasteur Jean-René PFENDER ; SNNP Caluire ; en date du Jeudi 16 Mai.

La référence dans l’évangile de Matthieu est la suivante, faisant suite à la conception miraculeuse de Jésus par le Saint-Esprit, conception dont Joseph est prévenu par un ange : “elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus ; et c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. ” Tout cela arriva afin que s’accomplit ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète : Voici la vierge sera enceinte, elle enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous”.

Ce texte répond donc à Ésaïe VII 14 : “C’est pourquoi le Seigneur lui même vous donnera un signe, voici une vierge deviendra enceinte, elle enfantera un fils, elle lui donnera le nom d’Emmanuel.” Enfin, et d’autre part, la citation restée inachevée de MONSARRAT fait référence aux dernières paroles de Jésus à ses disciples le découvrant ressuscité, dans l’évangile selon Matthieu, en fin de cet évangile (XX VIII 20 ; nous citons les verset 18 à 20). “Jésus s’étant approché, leur parla ainsi : “Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit. Et voici je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.”

358.

BOUTTIER Michel ” Quêtes & requêtes “ Cahiers de Pomeyrol numéro 5 ; WISSEMBOURG Strasbourg 1980 ; ( à la page 31). Le poème s’intitule “Devancé”. Michel BOUTTIER invite à lire Jean XIII. Jésus y annonce aux disciples qu’il sera trahi, après leur avoir lavé les pieds. Nous savons tous que cet épisode du lavement de pieds dans l’évangile de Jean prend le sens et la place du récit de la cène dans les synoptiques.

359.

OVIDE “Les métamorphoses” traduction de Joseph CHAMONARD Garnier Paris 1953 (t 1 Livre premier ; à la page 3).

360.

OVIDE “Les métamorphoses” Traduction de Joseph CHAMONARD Garnier Paris 1953 t 2 ; livre 15 ; p 373

361.

Première épître de Jean IV 8

362.

MONOD Adolphe “ Sermons choisis” Fischbacher Paris 1902 ; ; (à la page 28)

363.

première épître de Jean III 1 (L’éditeur ajoute traduction littérale)

364.

MONOD Adolphe Ibidem ; à la page 30.

365.

Adolphe MONOD ibidem page 32

Adolphe MONOD tire son exemple d’un livre contemporain de son écriture qu’il cite :

CRANZ “Geschichte von Groenland” ; (à la page 490) ; (en français “Histoires du Groenland” )

366.

JUST Cassià Maria, abat de Montserrat “Regla de Sant Benet amb proleg i glosses per a una relectura ”

Publicacions de l’abadia de Montserrat - Montserrat (Catalunya - Espanya) 1981 ; ( page 7). Traduction par nos soins de la langue catalane. Dans la soixante-treizième règle de Saint BENOÎT celui-ci montre effectivement les limites de sa règle.

367.

Saint BASILE rédigea deux règles monastiques en langue grecque qui influencèrent considérablement l’église d’Orient ...

368.

Chapitre 72 ( 12 ) de la règle in ibidem à la page 148, retraduite du catalan par nos soins.

369.

Marc VI 5 ,6

370.

BUTTE Antoinette “Le chant des bien aimés” Édition Oberlin Strasbourg (2° édition ) 1984 ; à la page 200

371.

Colossiens I 15 à 18

372.

Éphésiens IV 22-24 Colossiens II 9 10 II Corinthiens V 19.

373.

I Jean IV 7 (op cit)

374.

I Corinthiens II 14 ; D’après le Nouveau Dictionnaire Biblique; éd EMMAÜS Saint Légier sur Vevey Suisse 1975; (p 29)

375.

Jacques III 15 ; d’après Ibidem

376.

Jude 19 ; d’après Ibidem

377.

Nouveau Dictionnaire Biblique éditions EMMAÜS Saint Légier sur Vevey Suisse 3° édition revue de 1975; (page 29)

378.

TURQUET Bernard “Le corps, un lieu de sa présence” in “Imagine “ numéro 2 “Dieu s’est fait homme... et aujourd’hui ?” Mai 1996; pages 40 à 42.

379.

Citons ici deux formes opposées de la vision des choses.

1/ Le nestorianisme dont il reste en Iran, Irak et aux États-Unis, environ 80 00O adeptes, fut condamné au concile oecuménique de Éphèse (431), qui proclama Marie mère de Dieu . NESTORIUS (380 - 451) patriarche de Constantinople de 428 à 431 séparait en Jésus la nature humaine et la nature divine. Selon NESTORIUS la Vierge pouvait être à la rigueur mère du Christ “Christotokos” mais non mère de Dieu “Théotokos”

2/ Autour de EUTYCHÈS (378-454) se développa contre NESTORIUS, une position à l’extrême opposé que l’on a nommée le monophysisme. Le Christ incarné n’a plus qu’une seule nature : la divine.

EUTYCHÈS fut d’abord condamné en 448 par le “tome à Flavien” de Léon I° le grand. Il fut réhabilité pour un temps lors du “brigandage de Éphèse”(449) avant d’être à nouveau condamné lors du Concile de Chalcédoine (451).

Les Coptes d’Égypte sont encore aujourd’hui monophysistes ainsi que d’autres églises en Arménie, en Syrie, en Éthiopie.

380.

Voir à ce sujet deux récits de la Pentecôte : Jean XXI 22 ( Jésus souffla sur eux .. ) ; Actes II 3 (Des langues de feu séparées les unes des autres ....) Et l’entretien avec Nicodème Jean III 8. (”Le vent souffle où il veut...)

381.

I Corinthiens VI 19 20

382.

ANGLARÈS Michel “ Nouvel Âge et foi chrétienne” Centurion Paris 1993

383.

ANGLARÈS Michel “la vie au pluriel”

Entretiens avec Jean Pierre MANIGNE in “La vie “numéro 2644 2 Mai 1996 ; ( page 63 ).

384.

Pour Israël évoquer les morts ou les esprits équivalait à apostasier. Citons simplement trois moments forts.

1- Dans la loi de Moïse :

“Ne vous tournez point vers ceux qui évoquent les esprits, ni vers les devins ; ne les recherchez point, de peur de vous souiller avec eux. Je suis l’Éternel, votre Dieu ( Lévitique XIX 31)

La loi de Moïse condamnait d’ailleurs, celui ou celle qui consultait les morts ou les esprits à la lapidation. (Lévitique XX 17)

2- Du temps du roi Saül.

Un épisode étrange est relaté dans le livre de Samuel. (I Samuel XX VIII 4 à 25) Le roi Saül inquiet pour son avenir alla consulter une nécromancienne d’En Dor. Il voulut rencontrer le prophète Samuel qui venait de mourir et qui lui apparut effectivement. Le fait est que Saül désobéissait sciemment à la loi de Moïse. Cet épisode, sorte d’exception confirmant la règle, fit l’objet d’interprétations diverses.

D’après le Nouveau Dictionnaire Biblique (op. cit.) Luther et Calvin virent dans l’apparition de Samuel une origine satanique . D’autres commentateurs des courants réformateurs ultérieurs, sur la constatation que la prédication de Samuel s’est effectivement réalisée ( Mort de Saül et de ses fils le lendemain même) pensèrent qu’il s’agissait vraiment de Samuel, prétextant qu’à la transfiguration Moïse et Élie apparurent bien à Jésus également.

Tous soulignent cependant que la désobéissance de Saül à la volonté de Dieu est flagrante, et il ne tire aucune édification personnelle de sa rencontre surnaturelle, ce qui renforce encore cette idée de désobéissance, et d’erreur de Saül.

3 -Chez les prophètes :

“Si l’on vous dit: Consultez ceux qui évoquent les morts et ceux qui prédisent l’ avenir, qui, poussent des sifflements et des soupirs. Répondez: Un peuple ne consultera-t-il pas son Dieu ?

S’adressera-t-il aux morts en faveur des vivants? “ ( Esaïe VIII 19 )

385.

Job I 21

386.

Actes IX 25 “les disciples le prirent et le descendirent par la muraille dans une corbeille”.

387.

Actes XII 8 à 9 “”L’ange lui dit encore : Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi. Pierre sortit et le suivit, ne sachant pas que ce qui se faisait par l’ange fût réel, et s’imaginant avoir une vision.”

388.

Luc XX III 24

389.

Actes VII 60

390.

Citons ici les paroles de Dom Christian Marie DE CHERGÉ prieur de Notre Dame de l’Atlas l’un des sept moines assassinés en Mai 1996 par le GIA, en terre algérienne, dans son testament spirituel daté du 1° Novembre 1993.

S’il m’arrivait un jour, et ça pourrait être aujourd’hui, d’être victime du terrorisme, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille , se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. “ (...) Je ne saurais souhaiter une telle mort (...) Il concluait, à l’adresse de son assassin :“Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi, je le veux ce merci À-Dieu” envisagé de toi . Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis.”

in “La croix “ du 28 Mai 1996 reproduit pas “La Tribune le Progrès du 29 mai 1996. N° 46 091 Page 1

Ce texte fut écrit entre le 1° décembre 1993 et le 1° janvier 1994 . à Alger à Tibhirine.

391.

Colossiens I 18 à 20

392.

Luc XXIV 5

393.

Matthieu VIII 22

394.

Matthieu XXII 32 Les sadducéens reprennent un passage ( Deutéronome XXV 5) de la loi de Moïse qui dit que lors de la mort de son mari, une femme sans enfant épousera son frère. Or, sept frères moururent successivement après avoir épousés la même femme. De qui celle-ci serait-elle la femme à la résurrection puisque toutes l’ont eu. Jésus répond qu’à la résurrection, il n’y a pas pour les femmes de maris et pour les maris de femmes car tous sont comme des anges. ( Lire Matthieu XXII 23 à 33)

395.

Pierre VAN BREEMEN “ Comme le pain rompu” Fayard Paris 1978 ; ( à la page 176).

396.

“Lettre de Taizé “ bimestriel numéro 3 Juin Juillet 96 ; (à la page 1)

397.

CALDERÒN DE LA BARCA “El gran téatro del mundo” in

“ Autos sacramentales” prolog edicion y notas de Àngel Valbuena-Calpe, S A Madrid 1957 ; (195 pages) à la page 124

Nous traduisons ainsi ce texte du castillan. Il s’agit de la dernière réplique du “monde” qui conclut la pièce.

“Et puisque toute cette vie n’est que représentations, cela mérite que nous saisissions le pardon pour les unes et pour les autres.”