2 Dieu incarné : représentations traversées

La révélation chrétienne est une révélation incarnée en ce qu’elle s’inscrit dans la vie quotidienne d’un peuple et des hommes, pour manifester l’émergence d’un Tout Autre qui se fait Tout Proche jusqu’à épouser la condition du plus petit des hommes. On pourrait certes reprendre ce terme d’incarné et le reporter à toutes les révélations, à toutes les religions révélées. Le mystère de l’incarnation est cependant poussé dans le christianisme jusqu’à son paroxysme, jusqu’aux noces entre l’époux et l’épouse, Dieu et l’église, Dieu et les hommes, en Jésus-Christ.

Le Coran par exemple ne reconnaît pas de la même façon ce cheminement de l’histoire, cette incarnation du verbe, s’il reprend des personnages de la Bible, il n’en garde pas les textes fondateurs, s’il se réfère à des prophètes c’est sans en reprendre les écrits, en ne reconnaissant pas le mystère de l’incarnation donc ce mouvement d’amour apparemment fou, sans mesure cette proximité extraordinaire qu’introduit le Christ, fils de Dieu 407 .

L’incarnation du Verbe, la vie parmi les hommes, de Jésus, fils de l’homme , fils de Dieu, tout à fait homme et tout à fait Dieu, accomplissement de l’ancienne alliance, ouvrant par le sacrifice sur la croix et sa résurrection au matin du troisième jour, le chemin d’une alliance nouvelle et éternelle, entre Dieu et les hommes, n’a cessé de soulever des questions, et, quoi que chacun en dise, qu’il en accepte, ou non l’augure, n’a pas cessé non plus de modifier donc, irrémédiablement, pour tous, sinon directement les représentations et de Dieu et de l’homme qui restent toujours mystérieuses et foncièrement singulières, et difficilement analysables, au moins, a minima, a renversé les références, explicites ou non, à Dieu et à l’homme.

Or, ces références implicites ou explicites, qu’on le veuille ou non, finissent par se répercuter sur les représentations intimes de chacun. Les représentations conscientes et inconscientes des hommes croyant ou non, s’en trouvent donc pour le moins visitées, traversées, imbibées.

L’incarnation déplace le regard. Elle fait reconnaître et chercher la présence du Tout Autre, au coeur du prochain, du semblable, de l’homme. L’homme se trouve dès lors investi d’une dimension nouvelle. Le quotidien des existences, les gestes, les mots, les pensées de tous les jours, ont été l’objet de la visitation divine, de son attention, de sa présence, de son amour absolu et gratuit. Voilà qui change bien des choses.

Notes
407.

L’Islam aplatit l’histoire de la révélation, il semble supposer que celle-ci fut spontanément totale, et simultanément répercutée. Ainsi voyons-nous Abraham en briseur d’idoles, spontanément idoloclaste reprenant ainsi en les exprimant autrement quelques thèmes de la tradition orale juives : des midrachim. ( Sourates ,37-39, 26-70, 19-43,43-25,21-53,29-16, 6-74, 80) chose dont la Bible ne rend pas compte, YHVH se révèle à Abraham lentement, sur une Parole à laquelle Abram obéit. Certes, Abram suit et obéit à un appel extérieur à lui-même, et marche par la foi et le dialogue, non par la convocation magique ou idolâtre, mais Abraham est transformé car Celui qui est celui qui est (sera) et marche avec lui.