5 Lecture chrétienne : partiale mais non partielle

Le livre de l’Apocalypse souligne à trois reprises “Je suis l’Alpha et l’Omega, le premier et le dernier, le commencement et la fin. ” 433 C’est cette lecture selon l’accomplissement en Jésus Christ que nous privilégions, sans ignorer des regards du côté du judaïsme. Mais si cette lecture de la Bible est certes inéluctablement partiale elle n’en est pas pour autant inéluctablement partielle.

Expliquons-nous encore sur le caractère inéluctablement partial de ce que l’étude présente se propose d’étudier. Il nous semble inhérent et incontournable à toute étude. L’absence de la prise en compte d’une partialité serait elle-même une partialité dont il faudrait bien rendre compte.

Pourrait-on demander à un chercheur travaillant, par exemple, sur les rapports entre marxisme et éducation de traiter de la pensée d' HEGEL sous prétexte que le marxisme semble se définir à partir de, et s’est greffé sur, la pensée de HEGEL ? On ne pourrait lui reprocher que de méconnaître l’influence ou les reflets de la pensée d’ HEGEL en ce qui concerne la pensée de MARX, l’interpellation réciproque des deux pensées.

Dans ce sens, l’interprétation chrétienne interroge le judaïsme et vice-versa. C’est cette interrogation que nous tachons de ne point occulter. Mais encore une fois notre fondement de lecture, ce à partir de quoi nous regardons cette interrogation même, est la perspective chrétienne.

L’interprétation biblique n’en est pas pour autant partielle. Le christianisme ne rejette pas, dès l’origine, l’écriture ancienne mais en propose une lecture renouvelée, ou plutôt revivifiante et accomplie en la personne de Jésus, verbe devenu chair ; lecture dégagée de la lettre de la loi qui enfermait l’homme et la vie dans ses préceptes, pour entrer désormais, par le Christ, dans la communion avec le regard et l’esprit de Dieu lui-même.

‘Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu? Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. 434 ’ ‘(...) ’ ‘Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire, comme la gloire du Fils Unique venu du Père. 435

Le sermon sur la montagne ouvre le signal de ce nouveau regard porté sur la loi, et le texte ancien.

Ce regard nouveau est le regard selon l’accomplissement en Jésus de la Parole. Il est simplement l’entrée désormais irrémédiable dans le regard de l’homme, du point de vue de Dieu, et l’invitation déjà à une communion avec lui, en lui.

Ce point de vue n’est nouveau que pour l’homme ; du point de vue de Dieu, il est sans doute le même depuis l’Éternité, puisque ce point de vue est justement le sien. Il est la révélation désormais accomplie de l’intention divine.

Et pourtant plusieurs fois la Bible exprime que Dieu revient sur une décision et va jusqu’à se repentir 436 .

L’expression de point de vue devient alors vraiment inadéquate surtout s’il veut exprimer une théorie, parlons de la communion en Esprit avec Dieu. Cet Esprit, cette intelligence de Dieu, ne peut se lire et se comprendre qu’à partir de cette histoire où YHVH a choisi de se révéler. C’est après avoir dit qu’il accomplissait la loi mais qu’il ne l’abolissait pas que Jésus l’annonce.

‘Car je vous le dis en vérité tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. 437

Le premier discours de Pierre à la Pentecôte, devant le peuple réuni à Jérusalem croyant avoir à faire à des gens ivres, parle de Jésus crucifié cinquante jours auparavant, selon une bonne nouvelle, sans aucune haine ni ressentiment, avec, au coeur, un esprit nouveau, l’esprit de la Pentecôte, mais en explicitant cette notion d’accomplissement de la parole des prophètes. 438

‘Dans les derniers jours dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair; vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes.”Oui sur mes serviteurs et sur mes servantes en ce jour là je répandrai mon esprit.” 439

Le second discours de Pierre qui succède aussitôt au premier, après la guérison de l’homme boiteux de naissance qui était devant la porte du temple et pour répondre aux interrogations diverses des gens de Jérusalem, reprend le même thème 440 .

‘Vous êtes les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a traitée avec nos pères, en disant à Abraham : Toutes les familles de la terre seront bénies en ta postérité. C’est à vous premièrement que Dieu ayant suscité son Fils Jésus l’a envoyé pour vous bénir, en détournant chacun de vous de ses iniquités.” 441

Le discours d’Étienne 442 devant le sanhédrin précédant sa mort comme premier martyr chrétien est encore symptomatique, caractéristique, et vient en confirmation, de ce que nous voulons dire. Étienne y redit toute l’écriture selon ce que l’Esprit lui révèle et lui exprime de dire, l’accomplissement en Jésus de tout le cheminement de l’alliance à travers l’histoire d’Israël.

Le christianisme, mais nous devrions dire plutôt, “euaggellion”, la Bonne Nouvelle, semble naître dans la rupture, alors qu’il annonce un accomplissement.

La Bonne Nouvelle chrétienne semble naître d’une rupture parce que cet accomplissement renverse les spéculations intellectuelles, des rabbins, pourtant centrées sur la révélation biblique. Cette Bonne Nouvelle, en effet, semble à beaucoup, parmi les Juifs contemporains des apôtres, naître d’une rupture, parce que, pour beaucoup, cet accomplissement est ressenti comme une violence faite à l’alliance que YHVH a dressée avec son peuple. Ils perçoivent davantage cette alliance selon une tradition dont il faut maintenir l’orthodoxie “humaine “, que comme une relation vivante.

Tout ne repose désormais plus que sur la foi qui, sans se fondre avec elle, n’en est pas moins pas totalement sans rapport avec une spéculation existentielle.

La foi n’engage plus seulement l’esprit, ni seulement les attitudes du corps, mais l’être dans sa vie, dans ses engagements, dans l’enjeu existentiel qui s’exprime non plus par la recherche de cohérence des concepts entre eux, ni dans la recherche de la cohérence du comportement à tenir devant les préceptes de la loi, mais dans un choix primordial et décisif, entre la vie ou la mort.

Bien que le chrétien le prononce, dans son baptême, une fois pour toutes, ce choix est toujours à recommencer dans les intepellations de l’existence, entre pensées et gestes, au quotidien des jours.

Notes
433.

Apocalypse XXII 13 ; on retrouve des paroles très proches dans : Apocalypse I 18 et II 8

434.

Jean I 1 à 5

435.

Jean I 14

436.

Nous pensons tout particulièrement à l’histoire de Jonas sur laquelle nous reviendrons lors du prochain chapitre au paragraphe “Le repentir de Dieu”. La concordance second en note seize fois la mention tout au long du texte biblique.

437.

Matthieu V 18

438.

Actes II

439.

Pierre cite Joël II 22 à 28

440.

Actes III

441.

Actes III 25 et 26

442.

Actes VII