7 Obstacles, accompagnement, visitation

L’Esprit-Saint n’est pas contenu dans une démonstration logique ou formelle, il n’est pas l’expression d’une éthique ou d’un ascétisme, d’une oeuvre humaine, il est un don gratuit, qui procède de Dieu et non des hommes, même s’il agit au travers d’hommes, qui témoigne du don gratuit qui est la voie par excellence par laquelle l’homme entre par la foi, dans la communion au règne de Dieu, dans l’intelligence du cheminement de l’alliance, de Noé à Jésus, en passant par Abraham, Moïse, David et les prophètes.

L’Esprit-Saint témoigne également selon une relation “Je -Tu -Il” dans l’espace d’une liberté.

Alexandre VINET (1797-1847), le réformateur, critique littéraire, suisse, eut cette expression bienheureuse : “la vérité sans la recherche de la vérité n’est que la moitié de la vérité “ 450 .

Il ajouta encore : “Là où l’incrédulité est impossible, la foi est impossible aussi” 451

Il nous semble tenir là comme un “fonds” certain pour l’entendement de la doctrine, si doctrine il y a, de la pédagogie biblique. Toute la Bible respire de cette liberté fondamentale.

La révélation n’agit pas par automatisme, elle appelle l’homme à se convertir, à changer de centre; à reconnaître Dieu dans la création, comme en témoigneront, entre bien d’autres choses, les fioretti d’un FRANçOIS D’ASSISE, ou les poèmes contemporains d’un Dom HELDER CAMARA; à reconnaître Dieu dans le prochain, le plus petit des hommes, comme en témoignent l’interminable cortège des oeuvres accomplies, au nom du Christ, au profit des plus pauvres et des indigents de toutes sortes, depuis la fondation du christianisme; à reconnaître Dieu dans le mystère de la rédemption, dont la croix, par la mort et la résurrection du Christ, est l’ accomplissement, et dont la cène fait mémoire; à reconnaître Dieu dans sa parole manifestée dans la Bible et dans ses répercussions dans l’hic et nunc que sont les prédications, homélies, les miracles et signes du Règne de Dieu, tous les dons les plus humbles de l’Amour gratuit.

Dieu pédagogue n’est donc pas l’ enseignant d’un savoir abstrait sur le mode conceptuel, mais un accompagnateur qui, tel l’esclave de l’antiquité, accompagnait son élève d’un maître à l’autre, devant répondre au besoin, devant ses maîtres, les parents de l’enfant ou les gardiens de la cité, par sa propre vie, de la vie de l’enfant qui lui était confié. Bien avant CALVIN, Saint Paul 452 puis CLÉMENT d’Alexandrie 453 (vers 150-215) avaient évoqué le mot pédagogue pour parler, le premier de la loi de Moïse, conduisant à la foi en Christ, le second, de Dieu lui-même, conduisant l’enfant et son maître adulte sur le chemin de la révélation.

Ce qui importe ici, selon cet accompagnement, bien plus que le savoir, le noûs, l’intellect, l’intelligible opposé au sensible, à la manière dont l’évoquèrent PLATON et les grecs, c’est la vie, c’est le passage de la mort à la vie, dont la foi en Christ exprime, pour le disciple à la fois, la révélation, la certitude et l’invitation.

‘“Dans la nuit de Noël, j’ai eu un songe. J’ai rêvé que je cheminais sur la plage en compagnie du Seigneur et que, dans ma toile de vie, se réfléchissaient tous les jours de ma vie. J’ai regardé en arrière et j’ai vu, qu’à ce jour où passait le film de ma vie, surgissaient des traces de sable: l’une était la mienne, l’autre était du Seigneur.’ ‘Ainsi nous continuions à marcher jusqu’à ce que tous mes jours fussent achevés. Alors je me suis arrêté et j’ai regardé en arrière. J’ai retrouvé qu’en certains endroits, il y avait seulement une empreinte de pieds. Et ces lieux coïncidaient justement avec les jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse , de plus grande peur, de plus grande douleur.’ ‘J’ai donc interrogé : “Seigneur, pourquoi m’as-tu laissé seul dans les pires moments de ma vie ?” Et le Seigneur me répondit : “J’ai dit que je serai avec toi, durant toute la marche et ne te laisserai pas une minute. Je ne t’ai pas abandonné. Les jours où tu as vu une seule trace sur le sable furent les jours où je t’ai porté.” 454

Ce songe de ADEMAR DE BORROS nous révèle la nature profonde de cet accompagnement. YHVH “ne joue pas aux dés “ avec son peuple. Cet accompagnement, s’il se revêt d’un mystère, est profondément marqué d’une visitation, d’un don absolu d’amour. Mystère de l’incarnation. Annonciation au coeur même de l’aujourd’hui d’une création nouvelle, d’une participation au Règne de Dieu qui s’exprime comme dans une mort à soi-même, ouvrant une perspective inversée des choses.

Sans la révélation de Dieu lui-même, le poète aurait-il compris qu’il n’a jamais été seul, que quelqu’un le portait au plus fort de ses souffrances et de son sentiment d’abandon ? Autrement dit, sa misère et ses souffrances ont été visitées, portées par Dieu lui même. C’est le sens de ses paroles déjà prophétisées dans l’ancienne alliance par le prophète Ésaïe et que Jésus accomplit sur la croix.

‘Qui a cru à ce que nous avons annoncé ?’ ‘Qui a reconnu le bras de l’Éternel ?’ ‘Il s’est élevé devant lui comme une faible plante, comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée; il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer les regards, et son aspect n’avait rien pour nous plaire. ’ ‘Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui dont on détourne le visage, nous l’avons dédaigné et nous n’avons fait de lui aucun cas.’ ‘Cependant il a porté nos souffrances , il s’est chargé de nos douleurs ; et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu et humilié. Mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ces meurtrissures que nous sommes guéris.’ ‘Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait sa propre voie : Et l’Éternel l’a frappé pour l’iniquité de nous tous. Il a été maltraité et opprimé. Et il n’a point ouvert la bouche, semblable à un agneau que l’on mène à la boucherie, à une brebis muette devant ceux qui la tondent; il n’a point ouvert la bouche. 455

Ce mystère, traverse de part en part notre perception des choses.

Il n’a rien à voir avec le “pharmakos” 456 des grecs, ou la victime expiatoire d’un rituel humain, ou plutôt il en inverse la logique.

Ici le sacrifice est don de Dieu lui-même, il renverse toutes les spéculations humaines visant à s’attirer les faveurs des dieux.

Ce mystère traverse de part en part notre perception des choses, renverse nos certitudes et nos consolations construites.

Désormais, participer du Règne de Dieu c’est prendre part avec, et choisir la part du pauvre, c’est communier en elle au don d’Amour gratuit, c’est recevoir la consolation, non plus des autres ou de nous-même, mais directement de Dieu lui-même.

Il en résulte une liberté, puisque nul n’est plus tenu par l’opinion des autres.

Il en résulte aussi une souffrance, au coeur même de la joie, une misère au coeur de la richesse, une richesse au coeur de la pauvreté, une faiblesse au coeur de la force, une force au coeur de la faiblesse.

Ce mystère, Paul le vivra dans sa chair, et l’exprimera ainsi.

‘Et pour que je ne sois pas enflé d’orgueil à cause de l’excellence de ces révélations, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m’empêcher de m’enorgueillir. Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans ta faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses afin que la puissance de Christ repose sur moi. C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses pour Christ; car quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. ” 457

Ajoutons encore que déplacement de la résolution ou plus simplement même encore de la simple déclinaison de la question du sens, au principe du bouc émissaire, à celui du combat au coeur de chacun, est sans aucun doute, la voie par excellence qui fonde, dans nos sociétés, l’égalité des hommes devant la loi, et devant Dieu, ou la transcendance, devant les principes de l’éducation, les droits et les devoirs, de la justice, la liberté de chacun devant ce combat qui consiste à donner un sens propre à sa vie, la fraternité de tous devant cette valeur posée.

Quelle étrange chose de retrouver là les trois principes fondateurs de la République Française : liberté, égalité, fraternité. Ces trois principes sont aussi fondateurs au-delà de toute démocratie moderne, comme du droit international contemporain. Comme si l’annonce christique avait par une sorte de visitation, de voie négative retournée, transformé les principes de la république grecque à partir de ces arguments bibliques le plus souvent implicites et enfouis.Preuve supplémentaire s’il en est, qu’il ne s’agit pas dans ce texte, par cette annonce, par ce phylum, de prosélytisme au sens étroit du terme, mais bien d’une oeuvre de transformation radicale de la condition humaine.

Alors, l’abolition de l’esclavage, l’égalité des sexes devant la loi, le droit à l’éducation et au travail pour tous, les droits de l’enfant, comme ceux de l’homme et de citoyen, le droit d’exprimer son opinion, la suppression de la peine de mort, entre bien d’autres conquêtes récentes du droit international, lui seraient, certes indirectement, mais de façon néanmoins décisive, redevables.

Notes
450.

VINET Alexandre “ Essai sur la manifestation des convictions religieuses et sur la séparation de l’église et de l’état “ (1842) Les éditeurs de la rue de Rivoli ; Paris 1858 ; à la page 174.

Cité par GAGNEBIN Louis et GOUNELLE André “Le protestantisme “ ce qu’il est - ce qu’il n’est pas “ La Cause Carrières sous Poissy 1987 ; (à la page 55)

451.

Ibidem page 216 ; cité par ibidem page 57

452.

Galates III 25 à 28 “ La loi a été un pédagogue pour nous conduire à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi. La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce pédagogue. Car vous êtes tous Fils de Dieu par la foi en Jésus- Christ ; vous tous qui avez été baptisés en Christ , vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Et si vous êtes à Christ vous donc la postérité d’Abraham, héritiers selon la promesse.”

453.

CLÉMENT d’Alexandrie “Le pédagogue” .

Livre 1 Introduction et notes Henri-Irénée MAROU et traduction de HARL Marguerite Cerf Paris 1960 ; (295 pages).

Livre 2 notes Henri-Irénée MAROU et traduction de MONDÉSERT Claude éd. Cerf Paris 1965 ; (243 pages).

Livre 3 notes Henri-Irénée MAROU et traduction de MONDÉSERT Claude et MATRAY Chantal éd. Cerf Paris 1970 ; (250 p.).

454.

“La trace” du poète brésilien ADEMAR DE BORROS. Cité in “Imagine “ numéro 2 “Dieu s’est fait homme... et aujourd’hui ?” (Mai 1996) à la page 41

455.

Ésaïe L III 1 à 7

456.

“Athènes entretenait à ses frais un certain nombre de malheureux et, quand une calamité s’abattait ou menaçait de s’abattre sur la ville (épidémie, famine, invasion étrangère ou dissensions intérieures), elle choisissait parmi eux une victime expiatoire, le pharmakos, qu’elle immolait pour conjurer le mal.”

Claude CHRÉTIEN in PLATON “L’apologie de SOCRATE “ Hatier Paris 1995 ; (à la page 20).

René GIRARD analyse plus particulièrement ce phénomène “La violence et le sacré” Ed. Grasset 1972 Chapitre IV

457.

Galates XI I 7 à 10