L’axiologie transversale, face à la foi fondatrice

Cependant, il existe encore, selon les sciences humaines, un axe ordonné qui règle l’implicite et ne serait donc non plus, du niveau du seul discours, mais prendrait en compte la parole personnelle.

Cet axe se relierait donc à l'hypothèse de recherche. Il se distingue de l'idéologie en ce qu'il ne se formule pas de façon explicite mais constituerait le plus souvent l'implicite parfois inconscient de toute action recherche éducative.

L'étude de cette ordonnée constituerait ce que l'on appelle l'axiologie ou "la science des théories des valeurs de la science." 469

L'axiologie est donc une étude de l'axe ordonné en question, des conditions de son énonciation et de son développement mais il n'est pas l'axe lui-même ... Paradoxalement, lorsque cette dimension axiologique a tendance à disparaître derrière le discours prétendu objectif, elle n’en est pas moins présente.

Ainsi, lorsque nous mesurons, dans ce XX° siècle, et dès le XIX° siècle, marquant une brisure dans l’isolement par la maladie ou le handicap, les découvertes accomplies en ce qui concerne en particulier la pédagogie d’éveil des différents handicapés, qu’évoque entre bien d’autres exemples possibles, de Valentin HAÜY (1745-1822) à Louis BRAILLE (1809-1852), l’élaboration d’une technique de lecture adaptée puis d’un alphabet pour les aveugles leur permettant de lire à la vitesse et avec la dextérité d’un voyant, nous inclinons à attribuer celles-ci aux seuls progrès techniques et scientifiques, en oubliant souvent l’intention qui y a présidé. C’est pourtant bien, sans conteste, au niveau de cette intention que le message biblique agit de façon privilégiée et sans doute décisive.

La création nouvelle promise, dès l’Ancien Testament, annonce, aux sourds l’ouïe, aux aveugles la vue 470 , comme aussi une bonne nouvelle aux pauvres, une guérison pour ceux qui ont le coeur brisé, une délivrance aux captifs, la liberté aux opprimés, une année (un temps) de grâce en somme, que Jésus, avant d’en être chassé, dans sa propre ville de Nazareth, proclamera par lui même, désormais, ouverte et accomplie.

‘Jean ayant entendu parler dans sa prison des oeuvres du Christ lui fit dire par ses disciples: Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?’ ‘Jésus leur répondit :’ ‘Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.’ ‘Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute.” 471

Avant d’aller plus loin, remarquons que cette soif, “vide espérant”, peut orienter les recherches scientifiques, de la même façon que ces autres textes sur les déserts refleurissant 472 , qu’Israël a partiellement d’ores et déjà accompli, ou les armes de guerre transformées en soc de charrue. 473

Lorsque nous nous penchons sur les précurseurs des sciences de l’éducation, c’est à dire de la réunion de l’exigence de la science contemporaine avec la perspective éducative, nous trouvons très bientôt un autre exemple illustrant cette dimension axiologique certes bien entendu en Maria MONTESSORI (1870-1952), d’inspiration chrétienne, qui écrivit en 1909, “Pédagogie scientifique” , mais aussi, plus surprenant peut-être, en Alfred BINET (1857-1911). 474

Derrière la rigueur des méthodes scientifiques, la prétention à une pédagogie scientifique, Alfred BINET, auteur avec Théodore SIMON (1873-1961) de l’échelle métrique de l’intelligence (1905), fut tout au long de son existence, animé par des valeurs humaines, et morales, qui faisaient de ses recherches et de ses actions tout autre chose qu’une tentative de réduction des êtres à une classification. La part de son intention éminemment éducative ne cessa de croître au fur et à mesure de ses travaux.

Il voyait dans le test objectif, la distanciation, un moyen de rendre le dialogue possible, de faire tomber les idées préconçues, de se prémunir, entre autre, contre ce qui sera nommé plus tard, l’effet Pygmalion. 475

Comme le souligne Guy AVANZINI, l’entreprise scientifique de BINET visait à permettre un meilleur développement de la pédagogie, une meilleure action envers les enfants, une meilleure connaissance de leur développement.

Il n’est pas anodin de remarquer cette intention présidant à l’oeuvre d’un des pionniers des sciences de l’éducation, 476 lorsque nous songeons, en parallèle, au nazisme, à la purification ethnique. On pourrait donc utiliser des tests d’intelligence en vue d’une discrimination. La dimension axiologique est bien essentielle. Alors comment définir cet axe ? Il rejoint l'acte de foi ... ou de confiance nécessaire à l'avancée de chaque postulat.

Mais si l’axiologie suppose une croyance, qu’en est il de la foi ? À ce niveau, il convient de distinguer entre croyance et foi. La croyance est formelle et figée dans les mots qui l’explicitent, elle est donc a priori immobile et ne suppose pas obligatoirement de mise en route de la personne. La foi, mot venant du latin fides, synonyme donc de confiance, est au contraire toujours un vecteur d'existence. Elle ne se met pas tant en formule qu’elle se met en jeu, elle ne se met pas tant en jeu qu’elle “se met” en vie, elle ne “se met” pas tant en vie qu’elle donne la vie.

La foi appelle une lecture critique et dynamique dans la même mesure où la croyance peut l'interdire. Puisque par nature toute croyance serait destabilisée par les éléments objectifs la remettant en cause, la foi est donc seule fondatrice de toute attitude de recherche ou même d'éducation et de l'émission même de l'hypothèse qui conditionne cette recherche.

“Chercher comme celui qui doit trouver ; trouver comme celui qui doit chercher encore” est la formule souvent citée pour résumer toute l’attitude théologique et philosophique de saint AUGUSTIN mais sans doute aussi depuis saint Paul des Pères, des premiers siècles de l’église, jusqu’à saint ANSELME. Cette formule n’est pas de nature à contredire la démarche scientifique mais au contraire même peut-être, sinon à la fonder, du moins à l’accompagner, à la féconder, à la diriger au moins dans les axes et les motivations de ses objectifs comme de ses lieux d’investigation.

Si la foi première, son besoin d’élucidation, peut donc s’ouvrir sur une croyance, l'inverse est par définition impossible. Puisque toute croyance est une des expressions de la foi première, elle ne peut pas, dans la mesure où elle cherche à dire ce qui la fonde, ce qui fonde au-delà des arguments son existence, en tant que croyance, rejoindre, non la foi, mais seulement une quête propre à celle-ci.

Reste encore à prendre la mesure de cette foi. Est-elle d'ordre théologique? Est-elle plus simplement existentielle ? Il ne semble pas qu'il y ait lieu d'opposer les deux, ici ...

Il conviendra simplement de fonder la croyance sur la foi et non la foi sur la croyance pour permettre à la recherche et à l'action éducative de se nourrir de leurs propres existences et du regard critique que suppose l'analyse des données. L'hypothèse cache l’ acte de foi qui est en réalité non seulement le point de départ de toute recherche; mais en constitue à chaque étape de la démarche, à chaque instant, l'incontournable condition à sa remise en jeu. Dans ce sens, l'hypothèse est en évolution constante quant à la confiance qui la sous-tend et à la formulation qui l'exprime.

Notes
469.

Définition du Petit Robert.

470.

Ésaïe XL II 16 à 20 “Sourds écoutez Aveugles regardez et voyez “ (verset 18)

471.

Luc IV 16 à 20 Jésus dans la synagogue de Nazareth lit le texte de Esaïe XLI 1 à 2.

Voir aussi Matthieu XI 2 À 6

472.

Ésaïe XXXII 15 ; XXXV 1 ; XXXV 6 . XLI 19 ; LI 3

473.

Ésaïe II 4

474.

AVANZINI Guy “Alfred Binet et la pédagogie scientifique - La contribution de Binet à l’élaboration d’une pédagogie scientifique“ Vrin Paris 1969 ; ( 266 pages).

BINET Alfred “Les idées modernes sur les enfants” (1909) Flammarion Paris 1973. (préface de Jean PIAGET) ; (284 pages).

475.

ROSENTHAL Robert, JACOBSON Léonore “Pygmalion à l’école “ Casterman Paris 1972 ; (293 pages). op cit.

476.

BINET organisa en 1906 le comité international de pédagogie pour réfléchir sur l’utilité de créer une commission internationale et permanente de pédagogie.

Guy AVANZINI voit là un événement précurseur de la naissance des Sciences de l’Éducation (1968 en France).

Aujourd’hui encore la société BINET SIMON sous la présidence de Guy AVANZINI poursuit selon cette direction fondatrice.