Doctrine et hérésies, la foi et les systèmes d’interprétation

Le “plérôme” scientifique est donc construit sur une virtualité, à partir d’un jeu dialectique reposant sur quatre variables à la fois dépendantes, si nous regardons les rapports qu’elles entretiennent entre elles, en cours de recherche, et indépendantes, si nous regardons la définition qu’en retient a priori le chercheur. Ces quatre variables sont : geste, pensée, théorie pratique.

Ce double jeu dialectique exprimé en dernier ressort sur le mode théorique c’est à dire le modèle conceptuel cohérent, se déploie, nous l’avons évoqué, selon deux axes, l’axe synchronique et l’axe diachronique.

L’axe diachronique répercute la constante structurelle.

L’axe synchronique répercute l’aspect fonctionnel selon un régime de cohérences causales, (ouvertes et fermées).

Tous ces discours et ces modèles se déploient à leur tour, selon le modèle virtuel théorique sur deux axes croisés représentant finalement quatre obstacles apparents à notre étude : fonctionnalisme et pragmatisme qui s’interrogent sur la diachronie, idéalisme et structuralisme qui interrogent la synchronie.

Le problème du dialogue entre Bible et sciences supposera à l’enchaînement de quatre obstacles à partir de quatre aspects du “plérôme” scientifique résultant du fait dont nous venons rapidement d’évoquer le lien mutuel et l’affrontement : pragmatisme et fonctionnalisme, idéalisme et structuralisme ...

Avant d’examiner cet affrontement et ce lien, ce dialogue, examinons en la source, c’est à dire : comment historiquement le problème semble se poser, à partir du texte néo-testamentaire et de la constitution de l’église primitive ?

Nous avons déjà signalé 485 que la Bible ne pose pas en priorité le dogme, mais l’expérience et la vie, l’expérience de la rencontre de la vie, la doctrine spécifique n’explicitant qu’a posteriori l’expérience de la foi, le sens du ministère du Christ, dans l’histoire, telle que les évangiles le relatent.

Historiquement, du côté du christianisme, les besoins d’explicitation plus théoriques ne vont être que réactifs. Pour citer les premiers que nous connaissions, dans les écrits de IRÉNÉE de Lyon 486 , dès le deuxième siècle, ils ne vont naître qu’en se proposant de faire face aux hérésies. Il s’agit de résister aux tentatives pour transformer l’enseignement du Christ en enseignement théorisable, mécanisable et, face à la science spéculative ou divinatoire que les gnostiques voulaient lui substituer, de rendre sa place première à la foi toute simple en l’amour de Dieu manifesté en Christ. 487 .

C’est à dire, pour faire face à des doctrines exogènes qui, tout en mentionnant le Christ, se détachaient des textes évangéliques néo-testamentaires de l’église primitive apostolique, de l’enseignement (ce qui étymologiquement correspond à doctrine) des apôtres.

Mais comment distinguer encore entre ce qui serait exogène de ce qui serait endogène ? Y a-t-il des éléments non arbitraires de distinction ?

On pourrait être tenté de considérer comme cela est fait parfois que l’hérésie n’est qu’une “interprétation historiquement minoritaire “ voire “une doctrine qui n’a pas eu de destin majoritaire” à un temps donné de l’histoire de l’église. Et, certes, dans ce sens, par exemple, la réforme fut, dans un premier temps, perçue comme une hérésie, au même titre, pour prendre un autre exemple parmi d’autres, que le catharisme. Mais contrairement aux cathares, les réformés se diront, envers et contre tout, exclusivement chrétiens et biblistes. Cette distinction, finalement générique, entre la doctrine réformée de la foi chrétienne et l’hérésie, ou opinion, cathare, sur la foi chrétienne, peut constituer un premier pas pour tenter de distinguer entre doctrines et hérésies.

Car, il reste bien, cependant, au delà des clivages confessionnels des communautés actuelles, un héritage commun assumé qui fait dire aux uns et aux autres qu’ils sont chrétiens, là où d’autres se disent tout simplement théistes ou déistes, se référant au christianisme ou à un “christ”, religions christiques, donc, se différenciant des chrétiens selon la perspective où le christ, en tout cas celui qui est révélé par les quatre évangiles, ne serait pas le centre de la médiation, et de la révélation mais une révélation parmi d’autres, comme c’est le cas de l’Islam, comme ce fut celui des cathares, comme c’est le cas, également, aujourd’hui encore, des mormons 488 qui adjoignent une révélation nouvelle à la révélation biblique, et, certes cependant, sans doute, à un degré moindre, des témoins de Jéhovah, 489 qui ne se disent pas vraiment chrétiens mais Jéhovistes bien que se réclamant de la Bible chrétienne 490 .

Dès lors, puisque nous pouvons d’ores et déjà, distinguer des religions se référant, entre autre, au Christ des évangiles, vu comme un prophète parmi d’autres, à celles qui se référent au texte biblique le reconnaissent comme seul et unique sauveur, la notion de minorité dans l’église n’est pas, ni bibliquement, ni rationnellement confirmée pour parler d’hérésie qui, redisons le, signifie étymologiquement “opinion”. Au contraire même tout dans la Bible montre que majorité ne signifie pas forcément vérité mais souvent au contraire l’erreur commune. 491

L’hérésie donc, pour les Pères de l’église qui en rendent familier le terme, est une opinion singulière qui juge de l’écriture par dessus l’écriture, c’est à dire à partir d’une référence autre que celle de l’écriture, qui juge du Christ par dessus le Christ, c’est à dire à partir d’une référence autre qu’au Christ tel que le révèle les quatre évangiles. Or, les quatre évangiles sont quatre témoignages, non quatre aspects d’une même théorie. Ce qui atteste selon leur texte, selon l’église primitive, selon l’église contemporaine, de leur authenticité, est un autre témoignage, celui de l’Esprit-Saint.

L’hérésie chrétienne ne serait donc pas historiquement l’opinion sur le fait chrétien en soi, mais l’opinion traduite en système qui, pour parler du Christ, ou surtout en son nom, ne se réfère pas au Christ Jésus tel qu’il est révélé dans les écrits néo-testamentaires et l’enseignement des apôtres.

Au contraire, la doctrine chrétienne est une interprétation du mystère chrétien qui prend en compte en premier l’écriture néo-testamentaire et le fait central : Dieu se fait homme en Jésus, médiateur exclusif d’une vie nouvelle. Il reste que la frange entre l’opinion et l’interprétation peut ne pas être simple à première vue.

Il reste un point objectif : certains se disent chrétiens d’autres pas. Mais cela suffit-il encore pour distinguer entre hétérodoxie et orthodoxie, hérésie et foi ?

Aujourd’hui, par exemple, la secte du révérend MOON 492 n’est-elle pas explicitement un mouvement pour l’unification du christianisme mondial ? Remarquons que la secte évoque le christianisme, et non le Christ ou encore son église en tant que corps. C’est à dire que la secte évoque une projection virtuelle idéale, théorique, et non le mystère de l’incarnation, le corps. Dès lors, il est évident qu’une telle secte ne s’intéresse pas vraiment au texte biblique, qui, justement, révèle le mystère dans l’incarnation.

Le rapport au texte biblique, au mystère de l’incarnation, à l’exclusive médiation du Christ fournit dès l’église primitive un autre moyen de distinguer entre doctrine chrétienne et hérésie. Il le constitue encore aujourd’hui dans le conseil oecuménique des églises.

Notes
485.

Du chapitre précédent (T1 ) nous pouvons résumer ainsi une des conclusions fortes ; (pp 71 à 73).

486.

Si nous en croyons le cardinal DECOURTRAY, IRÉNÉE successeur de POTHIN, vers 150, comme évêque de Lyon, mourut en martyr lors la persécution de 177. Le Petit Robert indique le début du troisième siècle, pour sa mort. 177 serait l’année de la mort de POTHIN, lors de la mort des premiers martyrs chrétiens connus en Gaule. Parmi ces premières victimes de Lyon et de Vienne, au nombre de quarante-sept : sainte BLANDINE. Les deux sources s’accordent cependant sur le point que IRÉNÉE soit très probablement mort en martyr.

487.

Saint IRÉNÉE de Lyon critique entre d’autres les points de vue d’un certain Marc le Magicien adepte de grammatologie (Lecture à partir de supposées significations secrètes des signes alphabétiques du texte biblique et de l’arithmologie superposition d’un système numérique par dessus la révélation) .

Mais cette critique vaut, selon IRÉNÉE en fait pour toutes les gnoses, qui succèdent à VALENTIN originaire d’Égypte, installé à à Rome vers 140, mort en vers 161), qui définissait lui même un “plérôme” constitué d’éons, c’est à dire une entité spirituelle, temporelle (sens de éon), intellective, désincarnée, au-dessus du Christ et de Dieu lui-même. C’est la gnose.

IRÉNÉE de Lyon “Contre les hérésies - Dénonciation et réfutation de la prétendue gnose au nom menteur” Cerf Paris 1984 -1991 ; ( page 78 ). XIV 1

488.

L’église des mormons, s’appelle aussi l’église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Elle adjoint aux deux testaments un troisième livre : le livre des mormons. Joseph SMITH ( 1805-1844) dit avoir une révélation sur le fait que les indiens d’Amérique constitueraient la tribu perdue d’Israël. Le livre des mormons relate cette révélation. Dieu aurait donc transmis par l’Amérique un message pour l’humanité.

489.

Les témoins de Jéhovah furent fondés en 1872 par Charles Taze RUSSELL (1852-1916) à Pitsburg en Pennsylvanie. Le mouvement se fonde sur l'annonce de la fin des temps. Jésus est un “agent “ de Dieu qui reviendra établir la théocratie à laquelle n’auront part que les quelques élus. Appelés dans un premier temps “Zion’s watch tower society “ , le mouvement ne prit son nom définitif qu’en 1931 sous la direction du successeur de RUSSELL, Joseph Franklin RUTHERFORD.

490.

La Bible des Jéhovistes serait légèrement modifiée sur certains termes, particulièrement ceux qui concernent la relation de Père à Fils entre Jéhovah et Jésus, ou encore le nom de YHVH (Jéhovah). Cette vocalisation du tétragramme YHVH est employé dans la Bible, mais est en fait arbitraire, elle reste cependant un fait de reconnaissance des témoins de Jéhovah

491.

Songeons à Jean-Baptiste dernier prophète “ La voix qui crie dans le désert ...” à la parabole de la brebis perdue, aux prophètes souvent martyrs, jusqu’au Christ sur la croix” nous revenons sur cette originalité où l’universel, bibliquement selon la révélation épouse le singulier et le recrée selon une démarche inversée.

492.

INTROVIGNE Massimo “Moon et l’église de l’unification : enquête sur un mouvement controversé” Claire Vigne Paris 1996 ; (256 pages).

BOYER Jean François L’église Moon “ La découverte Paris 1986 ; (432 pages).