La pensée crucifiée

Désormais donc la propre pensée se trouvera être “crucifiée”, à chaque instant de son cheminement avec celui, auprès de celui, et à la suite de celui de qui elle se réclame et auprès de qui elle ne cesse de soupirer, de qui enfin elle tient le moindre de ses avancements. Cette “crucifixion”, ou circoncision, de la pensée est donc le prix payé, au témoignage dont elle ne peut faire l’abstraction lorsqu’elle s’emploie intégralement à l’annonce du Règne dont elle se fait l’écho.

Nul autre que Maurice BLONDEL ne nous semble, dans la philosophie contemporaine, avoir exprimé et comme scellé cette dimension crucifiée au coeur même de sa pensée.

‘Bref, sous l’identité des formules et des notions, il y a une distance infinie entre ceux qui s’attachent à leurs concepts, à leur raison, comme leurs, comme suffisants et satisfaisants, et ceux qui reconnaissent à fond leur indigence, leur déficience propre, l’impossibilité où ils sont d’être à eux-mêmes leur propre lumière, leur propre fin. Voilà l’abîme qui sépare toutes les philosophies fausses, quelles que soient les vérités multiples qu’elles offrent en détail, de cette philosophie qui, à la la fois confiante en la raison et défiante d’elle, met l’homme dans l’assurance et l’attente, le prémunit contre le découragement sceptique et contre la présomption ruineuse. ’ ‘(...)’ ‘Ni dépendance ni indépendance ni simple juxtaposition de l’ordre rationnel et de l’ordre chrétien ; mais une sorte d’hétérogénéité dans la compénétration et de symbiose dans l’incommensurabilité même, c’est là ce que déjà Clément d’Alexandrie cherchait à préciser sous le nom de philosophie nouvelle selon le Christ, ce que les développements ultérieurs de la spéculation enrichissent et éclairent peu à peu. 510

L’objet constant de cette philosophie chrétienne, catholique, au sens premier du terme, se déployant donc dans l’histoire, nous dit BLONDEL, n’est pas très éloigné, et rejoint, bien que sur un autre substrat non plus sur celui du spéculatif, mais sur celui du justificatif, le combat permanent de la christologie dont l’objet est bien de justifier rationnellement du Christ.

La christologie nous semble, en effet, également se mouvoir entre les concepts chargés de la définir et Celui dont elle se réclame et qui n’est pas concept, le Logos chrétien, le Verbe fait chair, Christ lui-même.

Notes
510.

BLONDEL Maurice “Le problème de la philosophie catholique” Bloud &Gay Paris 1932 (8° édition ); (à la page 144).