11 Quatre voies pour une apologétique christologique

Si, entre théocentrisme et anthropocentrisme, le mouvement de la pensée semble osciller, il en reste et revient toujours inexorablement à l’anthropocentrisme, puisque le théocentrisme n’est qu’une projection d’un regard de l’homme porté sur Dieu, encore et toujours, donc, une représentation du point de vue de l’homme de ce qu’il suppose être le point de vue de Dieu.

La raison spéculative, par elle-même, nous l’avons dit, ne peut échapper à cette interrogation existentielle, à cette contradiction, à la distance ontologique.

Le mystère de l’incarnation révèle en même temps qu’il résout cette question de la distance de façon singulière. S’ouvre dès lors un dialogue entre christologie et le nouveau Logos, le verbe fait chair, que la révélation découvre en la personne de Jésus; ce dont l’évangile de Jean montre, dès l’ouverture, l’irruption.

La christologie, c’est à dire, l’argumentation de la justification chrétienne, repose sur le fait d’une rencontre en Christ, de Dieu et de l’homme.

Quatre voies, désormais, selon cette voie christologique, nous semblent possibles comme des voies d’explication et d’argumentation christologique. Elles sont, semble-t-il, partie prenante de la pédagogie divine ou simplement humaine chrétienne, mais ne la constituent cependant pas intégralement, nous y reviendrons.

Avant de les aborder et de les définir, notons qu’elles rejoignent, du moins en partie, les quatre voies que les Pères de l’église définirent comme étant celles qui président à la compréhension des écritures

telles qu’ils semblaient les reconnaître implicitement dans la lecture du Nouveau Testament et ses références à l’Ancien.Telles donc que, d’après eux la Bible fait référence à elle-même. Nous retrouvons cette approche dans l’exégèse juive médiévale.

Ces quatre sens qui firent autorité dans l’exégèse et l’herméneutique, jusqu’à la renaissance, étaient les suivants :

Les Pères de l’église voyaient en ces quatre voies, le moyen de comprendre et de recevoir le message biblique en lui-même.

La première voie, nous l’avons définie, est fondatrice, il s’agit de l’argumentation de l’écriture elle-même, et même davantage encore que l’argumentation, la révélation qu’elle revêt. “Sola Scriptura” disent les réformés. La parole de Dieu, donnée par la Bible, est fondatrice car elle détermine les trois autres que nous allons essayer d’envisager et de définir, également.

C’est bien, en effet, au travers de la Bible que nous avons la révélation de Jésus-Christ, et de la foi chrétienne, c’est bien elle qui constitue la source essentielle, indiscutable et finalement non discutée en dehors de quelques questions secondes concernant des livres jugés eux-mêmes le plus souvent secondaires, par les chrétiens de toute tendance. Ce qui est et fut discuté est la forme (et le fond) de la lecture adoptée, mais jamais le centre qu’elle représente, et cela même, nous semble-t-il, au coeur, ou à la suite du concile de Trente (ouvert en 1545) et de la réforme catholique (contre-réforme). S’il est vrai que, suite à ce Concile, comme le souligne Jean BERNHARDT 511 , on trouva, pour un temps, sur l’autel, à côté des écritures, la somme théologique de Saint THOMAS D’AQUIN ce n’est encore qu’au nom d’une interprétation aristotélicienne, certes, de celles-ci. Mais, qui dit interprétation ne dit-il pas encore reconnaissance centrale ? Ce qui divisa, pour un temps, et sépare, sans doute, encore aujourd’hui, parfois, réformés et catholiques, dans le rapport à l’écriture, fut, la priorité donnée à la lecture et l’interprétation individuelle et personnelle de l’écriture, au nom de la liberté de l’esprit suscitant une rencontre personnelle, pour les uns, et, pour les autres, la priorité accordée à l’interprétation temporelle, officielle et ecclésiale, au nom de l’unité institutionnelle et apostolique. Cette position justifia, entre autres, qu’on maintint, jusqu’au dernier concile de Vatican II, la messe en latin, et, que l’on ne privilégia pas, jusqu’à un passé tout récent, dans l’enseignement catholique, le rapport direct à l’écriture biblique. La première Bible reconnue par la hiérarchie catholique, et qui en langue française, ne soit pas traduite à partir de la Vulgate, mais des textes originaux en hébreux et grec, est la célèbre Bible de l’abbé CRAMPON qui n’apparaît qu’en 1904, pratiquement quatre siècles après la réforme, elle sera ensuite suivie au XX° siècle par deux autres traductions majeures dans l’univers catholique : la Bible des moines de l’abbaye de Maredsous, et, par la très prestigieuse Bible de Jérusalem de l’École biblique de Jérusalem. Ajoutons que la “révolution” de Vatican II, vieille d’à peine trente ans, en rapport à la langue dans laquelle se lit l’écriture au cours de l’office, modifie, de notre point de vue, tout aussi objectivement que l’on puisse le considérer, considérablement, les rapports, non seulement entre catholiques et protestants, mais au sein même de l’église catholique, les rapports, au quotidien, des fidèles, avec l’ écriture, et, donc, des conceptions de la foi, et de la vie en et par elle. Elle ouvre une brèche dans la scission toute aristotélicienne et non chrétienne, dans sa source en tout cas, d’une différenciation entre ésotérisme et exotérisme, dans l’enseignement et la catéchèse. Elles permettent, enfin et surtout, à la suite de la Pentecôte, le travail de l’Esprit-Saint, au coeur même de la parole biblique.

‘Ils étaient dans l’étonnement et la surprise, et ils se disaient les uns aux autres : Voici, ces gens qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens? Et comment les entendons-nous parler dans notre langue maternelle ?” Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Egypte, le territoire de la Lybie, voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs et Prosélytes, Crétois et Arabes, comment les entendons-nous parler dans nos langues des merveilles de Dieu?” 512

La rhétorique cède au témoignage, à la louange, dans et par cette parole vivante dont l’action se fait concrète, objective. L’habilitation des langues des peuples, langues parlées, langues vivantes, désormais visitées par la bonne nouvelle, visitées par l’Esprit de Pentecôte, répercute la visitation même de Dieu parmi les hommes, et les plus humbles, en Jésus. La diffusion du christianisme ne se définit donc pas sans la prise en compte de cette action concrète, dont le développement des langues relié à celui de la mise en valeur, “en prix”, de l’expérience quotidienne et commune en place des envolées lyriques ou littéraires. Les évangiles écrits, dès la fin du premier siècle, ou au commencement du second, en langue grecque orale, koiné, confirmeront cette mise en valeur de la langue parlée, dès les premiers témoignages. Ce qui est mis en valeur, par le texte biblique lui-même, ce n’est pas le prestige des lettres, la littérature, mais la parole, le sens du message.

Remarquons encore comment, dès les premiers siècles, les évangiles se traduisent très tôt en plusieurs langues 513 , même si la version latine de saint JÉRÔME finira par s’imposer, historiquement, pour un temps. Le développement des langues vernaculaires, le passage du statut de dialecte oral à celui de langue écrite, s’origine parfois, souvent, dans l’étude ou la traduction des textes bibliques. Ainsi, nous citons dans le désordre, la langue slave à partir de saint CYRILLE 514 le philosophe (827-869), la langue catalane, à partir de Ramon LULL (1235-1315 ), ou, dans une moindre mesure, le provençal ou le roman, à partir d’une demande de traduction de Pierre VALDO, (1140 - 1206 ), mais aussi la langue anglaise, à partir de BÈDE LE VÉNÉRABLE ( vers 672 - 735 ) et WINFRID ou Saint BONIFACE (675-754 ) ou John WYCLIF (1320 -1384), traduisant la Bible entre 1378 et 1382, la langue tchèque à partir de Jan HUS 515 (1371-1415), la langue allemande à partir de LUTHER (1483-1546). Peut-être pour une moindre part, mais néanmoins tout aussi évidemment, la langue française trouva son essor, à partir de du dictionnaire biblique de Reichenau publié en 768, considéré comme le plus ancien monument de la langue, ou des traductions bibliques de LEFEVRE D’ETAPLES (1450-1537 ) en 1530, à partir de la Vulgate, de OLIVETAN (1506-1538), à partir de l’hébreu et du grec, reprises par CALVIN (1509-1564) et Théodore DE BÈZE (1519 -1605), traduction remodelée en 1744 par le pasteur de Neuchâtel, OSTERWALD, voire les écrits de CALVIN. Mais nous ne citons ici que bien rapidement parmi bien d’autres 516 exemples possibles.

Remarquons enfin, pour en venir aux pédagogues biblistes et chrétiens, que, la première oeuvre du, encore tout jeune pédagogue morave, COMÉNIUS (1592-1670), commencée en 1612, fut le “Trésor de la langue Tchèque”. Puis, Jan Amos KOMENSKY (autre nom de COMÉNIUS) écrira “la porte ouverte des langues”, 517 entre 1628-1631, comme la première de ses oeuvres pédagogiques. Initialement conçue pour enseigner le latin, l’oeuvre, va paradoxalement ouvrir par ses traductions, au développement des langues vernaculaires.

KOMENSKY voulait inscrire l’apprentissage du latin dans son double rapport à la lecture des auteurs anciens, et ses ramifications concrètes parlées dans les expériences vécues quotidiennement par les hommes. Dans “la consultation universelle”, restée inachevée, COMÉNIUS imaginait même, un langage universel, d’inspiration plus utopique que biblique, la “panglottie”. Cette entreprise semble rejoindre celle qu’animera, beaucoup plus tard, avec la conception d’une langue artificielle, l’espéranto, le médecin et linguiste polonais Lejzer Ludwik ZAMENHOF (1859 -1917) 518 .Mais, bien plus inscrite dans l’esprit de la Pentecôte, et le prolongement de l’événement fondateur de l’église, est la mise en valeur des parlers de la terre par les très nombreuses traductions de la Bible.

Dans les années 1994-1995, on comptait 2 092 traductions de la Bible en langues, soit un tiers des parlers de la terre - 598 pour l’Afrique, 365 pour l’Amérique latine, 520 pour l’Asie et 344 pour l’Océanie.

En 1994, environ 18,4 millions de bibles ont été distribuées dans le monde, on atteint le nombre à peine croyable de 600 millions si on y ajoute les diverses traductions partielles, comme celles du Nouveau Testament, seul, ou d’autres extraits . 519

En citant ces chiffres, nous voulons simplement renforcer par une sorte d’évidence notre propos : la référence à la Bible est et reste non seulement centrale, mais objectivement première et fondatrice, porteuse en soi d’une dimension que d’aucuns qualifient de prophétique.

Le texte biblique est bien la référence qui définit objectivement le christianisme (et le judaïsme), c’est par lui que la révélation s’objective en quelque sorte.

Le paradoxe apparent que soulève cette révélation, est que chaque fois qu’on retourne à elle, il semble s’en suivre, non une extinction des feux de la culture humaine, mais au contraire, comme la visitation de celle-ci par un mystère, insondable, fondateur mais constaté par chacun, croyant déclaré ou non.

La réforme en a donné une démonstration historique, le concile de Vatican II 520 semble marquer le départ d’une nouvelle impulsion dans cette direction, en ouvrant la recherche d’unité envers les “frères séparés”, en ouvrant enfin radicalement la porte à la lecture des textes selon les langues vernaculaires des autochtones .La seconde voie de l'argumentation de la christologie, telle que nous l’avons définie, est celle de la voie négative.

Elle a jalonné la première partie de ce chapitre. Elle définit la révélation christique depuis l’extériorité, à partir de ce qu’elle n’est pas, par l’opposition. Elle conduit, par le vide ressenti, à dire la nécessité de revenir à Dieu, à la Bible.

Nous l’avons évoquée en introduction avec DENYS l’aréopagite, comme de la prédication de Paul à l’aréopage rapportée dans les actes des apôtres, au sujet du dieu inconnu 521 .

En effet, si la révélation ne peut se contenir par des approches qui lui sont étrangères, nous sommes conduits à aller vers la source de la révélation, et la source nous en est fournie par la Bible qui est donc la voie première que nous avons nous même reconnue justement préalablement, comme fondatrice de la révélation comme aussi de toute christologie.

Nous pensons ici à la nuit fondatrice de la Pâque, des pains sans levain, dernière nuit de l’exil, où le peuple put sortir d’Égypte, la terre étrangère, où il était tenu comme esclave 522 . Nuit des pains sans levain, préparés à la hâte, nuit de la Pâque, qui, selon l’hébreu Pèsach ou l’araméen Pascha, peut signifier “passer “, “faire passer”, “passer outre”.

Tous les premiers-nés de l’Égypte, nous dit le texte biblique, hommes et animaux, périrent, seuls les premiers nés du peuple hébreux, dont les parents, sur l’ordre de l’Éternel, avaient marqué le linteau et les deux poteaux de la porte de leur maison, du sang de l’agneau sans défaut mâle et âgé d’un an, sacrifié.

‘“Le sang vous servira de signe sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang et je passerai par dessus vous ” 523

Cette voie négative se fait également sous le signe de ce ” passage” de la mort à la vie, il s’agit de démasquer les logiques qui aboutissent à la mort, de les vaincre. La Pâque chrétienne, signifiant le passage de Jésus, l’agneau de Dieu, de la mort à la vie, ouvre la perspective de cette argumentation.

La mort n’est plus l’ultime parole. Ici encore l’argument n’est pas concept, mais signe, pour un passage. Le premier né est vivant, et chacun peut vivre désormais du chemin qu’il ouvre.

Cette conception de la voie négative nous permet d’échapper à l’argumentation négative purement formelle s’attachant aux définitions conceptuelles telles que KANT 524 l’avait définie.

Il ne s’agit pas de réfléchir sur un a priori conceptuel, mais d’entrer dans l’unité existentielle concernant la personne dans son caractère global et intrinsèque, de l’enjeu qui, depuis Caïn et Abel, dès la sortie d’Égypte, jusqu’à la résurrection, pose la question en termes, non de cohérences abstraites, et représentées du point de vue de l’homme, mais en termes de vie ou de mort, de passage de la mort à la vie, selon la représentation de Dieu visitant les représentation humaines, dans l’ancienne alliance, les épousant dans la nouvelle.

La troisième voie, est la voie visitante, elle prend le chemin inverse de la négative, il nous semble la rencontrer dans la somme théologique de THOMAS D‘AQUIN, et avant lui, déjà, dans le Protreptique de CLÉMENT d’Alexandrie (vers 150, 215) qui, s’adressant à son interlocuteur, écrit : “Je te montrerai le Logos en recourant à ta propre imagerie” 525 Elle rejoint encore la prédication de saint Paul à l’aréopage, sur le dieu inconnu qui nous semble jouer tant sur l’aspect de l’absence propre à définir la voie négative, que sur celui de la visitation. Cette troisième voie est donc celle de la visitation d’une pensée externe par la bonne nouvelle.

‘Debout au milieu de l’Aréopage, Paul prit la parole : “Athéniens, je vous considère à tous égards comme des hommes presque trop religieux. Quand je parcours vos rues mon regard se porte en effet souvent sur vos monuments sacrés et j’ai découvert entre autre un autel qui portait cette inscription : “Au dieu inconnu.” Ce que vous vénérez ainsi sans le connaître, c’est ce que je viens moi vous annoncer. Le Dieu qui a créé l’univers et tout ce qui s’y trouve, lui qui est le Seigneur du Ciel et de la terre, n’habite pas des temples construits par la main des hommes et son service non plus, ne demande pas des mains humaines comme s’il avait besoin de quelque chose, lui qui donne à tous la vie et le souffle et tout le reste. A partir d’un seul homme il a créé tous les peuples pour habiter toute le surface de la terre, il a défini, des temps fixes et tracé les limites des habitats des hommes ; c’étaient pour qu’ils cherchent Dieu ; peut-être pourraient-ils le découvrir en tâtonnant, lui qui, en réalité n’est pas loin de nous. ’ ‘Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être comme l’ont dit certains de vos poètes : Car nous sommes de sa race. ” Alors puisque nous sommes la race de Dieu nous ne devons pas penser que la divinité ressemble a de l’or, de l’argent ou du marbre, sculpture de l’art et de l’imagination de l’homme. Et voici que Dieu sans tenir compte de ces temps d’ignorance, annonce maintenant aux hommes que tous et partout ont à se convertir. ”. 526

Enfin, la quatrième voie est celle de la voie priante, dont nous avons dit qu’elle constitua le fonds sur lequel se développa l’argumentation de saint ANSELME.

Il s’agit là, à partir de la raison naturelle, de raisonner sur l’argumentation christique, mais en confiant cette raison dans une prière, implicite ou explicite, qui la renvoie toute entière, au mystère de la foi sur lequel, par ailleurs, s’appuie toute l’argumentation. Saint ANSELME suppose la foi de son interlocuteur. Il le signifia, on ne peut plus clairement, lorsque suite au Monologion (1076) et au Proslogion intitulé primitivement “Fides quaerens intellectum” (1077-1078), il écrivit, comme pour parachever son argumentation, “Cur deus homo” (1098), “Pourquoi Dieu s’est fait homme”.

‘“Souvent, et avec la plus grande insistance, beaucoup m’ont demandé de vive voix et par lettre de vouloir bien écrire, pour les confier à leur mémoire, les démonstrations par lesquelles je réponds d’ordinaire à leurs interrogations et qui portent sur une question touchant notre foi. Ils disent en effet que ces démonstrations leur conviennent et ils les estiment satisfaisantes. Et ils les demandent, non pas pour accéder à la foi par la raison, mais pour que l’objet de leur foi devienne un aliment agréable pour leur intelligence et leur contemplation, et pour qu’ils soient eux-mêmes, autant qu’ils le peuvent, “toujours prêts à satisfaire toute demande d’explication concernant l’espérance qui est en nous.” 527

En reprenant d’entrée une phrase de l’épître de Pierre, ANSELME, corrobore la référence toujours centrale donnée à l’écriture 528 .

Il s’agit en effet comme le dit saint Pierre de rendre compte de l’espérance qui interroge ceux qui en sont témoins. Le témoignage ne commence pas par l’argument mais par l’existence, et nous tenons, déjà là, la raison essentielle pour laquelle l’argument christologique ne peut contenir l’intégralité de la pédagogie divine, pas plus que les quatre voies que nous discernons ici.

Il reste donc que ces quatre arguments, selon l’écriture seule, la voie négative, la visitation, la voie priante, que nous venons arbitrairement de définir, restent insuffisantes, comme annoncé en préalable, pour contenir la pédagogie divine, voire humaine au nom de l’évangile, dont tout le mouvement est suscité, par l’esprit qui souffle où il veut, songeons à la conversion de Paul sur le chemin de Damas, et s’inscrit dans le secret et au coeur de chaque existence, songeons au dialogue, entre Jésus et la femme samaritaine, ou encore avec les deux brigands, sur la croix. Insuffisantes mais néanmoins essentielles et toutes comme contenues les unes dans les autres, dans la première voie, la voie biblique à laquelle elles renvoient toutes.

En effet, l’écriture biblique associe ces quatre voies dans sa propre texture, ce qui renvoie étymologiquement au mot tissus. Pour garder l’image textile, dans la trame même de l’écriture, ces quatre arguments s’entremêlent, se conjuguent, s’additionnent, se répondent, se renvoient l’un à l’autre. Nous ne les avons isolés et distingués les uns des autres que pour les besoins de notre exposé. Comme le souligne encore Jean PÉPIN 529 , la prédication de Paul montre, par exemple, un contraste saisissant, entre la prise de parole de l’aréopage, qui tente de “visiter” la patrie des philosophes, et d’autres textes 530 qui montrent au contraire la radicale inversion de point de vue, entre philosophie et évangile.

‘Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères je ne suis pas venu vous annoncer l’évangile de Dieu avec les discours étudiés et l’éloquence de la sagesse. Je ne me suis pas cru obligé de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. De fait, je me suis présenté à vous, faible, timide, extrêmement craintif; ma parole et ma prédication n’ont rien eu des artifices d’une sagesse persuasive; elles ne venaient que de l’Esprit et de sa vertu, pour que votre foi reposât uniquement sur la vertu de Dieu, nullement sur la sagesse des hommes. 531

La sagesse des hommes dont parle Paul, sagesse naturelle, part du point de vue symétrique à celui de la révélation : elle va de l’homme vers Dieu, la révélation, elle, va de Dieu vers l’homme.

Il reste donc un espace essentiel, un “jeu de dialogues”, entre ce que l’homme dit de Jésus et de Dieu, d’un point de vue qui lui semble cohérent, la christologie, et, ce que Dieu dit de l’homme dans sa parole faite chair, le nouveau logos, Christ lui-même, qui renverse, bouscule féconde les représentations humaines. C’est dans cet espace que se joue la pédagogie divine. 532

Notre étude essaie d’en percer quelques aspects, mais elle demeurera du fait même de sa nature devant sa finitude, elle ne pourra que dire un point très imparfait inachevé, il reste toujours que bibliquement, le seul point de vue qui édifie et libère est celui de Dieu, point de vue jusqu’auquel l’homme est transporté par le mystère de l’incarnation, par l’action de l’Esprit-Saint.

Cette nouvelle façon d’envisager le conflit entre théocentrisme et anthropocentrisme, et de le transformer en fécondation mutuelle dans un dialogue amoureux, ne se résout que dans l’Esprit-Saint qui est extérieur à toutes les représentations humaines, qui ne procède pas de l’homme, et qui est envoyé par Dieu. Mais l’Esprit-Saint est le témoin d’une communion parfaite dans l’Amour du Christ, entre le Père et le Fils, chaque disciple et le Christ, qui devient alors mystérieusement pour lui, tout à la fois, son sauveur, son maître, et son serviteur, son ami, son père et son enfant.

Notes
511.

in “La philosophie de PLATON à Saint THOMAS” sous la direction de François CHÂTELET.

Dans la partie traitant d’ ARISTOTE à la page 85 Hachette Paris 1972.

512.

Actes II 5 à 11

513.

Dès la fin du 2° siècle nous connaissons une version syriaque dite peshitto,” la simple”, de la Bible Ancien et Nouveau Testament, une autre version copte est contemporaine, suit une gothique, avec ULFILAS (311-383). Saint Jérôme (347 - 420), à partir d’une première version latine “vetus itala” , de réalisation, semble-t-il, collective, et des textes grecs et hébreux, donna la Vulgate en langue latine, dont la version révisée fut officialisée dans l’église Catholique, à la suite du concile de Trente.

514.

On lui attribue l’invention de l’alphabet dit cyrillique.

515.

Les frères de l’unité, successeurs de Jan HUS, à partir, du XVI °siècle, bien que ne représentant qu’un dixième de la population tchèque, produiront un tiers de sa littérature, à partir des imprimeries de Mlada-Boleslav (1500), Litomiricie (1507), Biela (1519) Evancice (en Moravie) puis Kralice. La Bible de Kralice, en langue Tchèque, dont le Nouveau Testament fut traduit et commenté par BLAHOSLAV, parue entre 1579 et 1593, constitue une oeuvre de référence, tant pour la qualité de la traduction que le commentaire de l’Ancien et du Nouveau Testament . CERVENKA et CERNY, frères de l’Unité, (Moraves), participèrent à sa rédaction. PRÉVOT Jacques “L’utopie éducative COMÉNIUS” Belin Paris 1981 ; ( pages 4 à 7)

516.

Nous nous contentons de quelques exemples forts et assez reconnus. Nous pourrions encore citer, bien que cela pût demander une recherche spécifique et exigeante, presque toutes les langues indo-européennes, peu ou prou, comme celles des pays plus récemment évangélisés, d’ Afrique, ou d’ailleurs, la traduction des bibles en langues locales.

La réforme répercutera, en prônant le retour aux écritures, la mise en valeur des langues locales, voyant ressusciter, en son sein, l’esprit premier, fondateur de l’église à Jérusalem, à la Pentecôte. Mais l’église catholique entrera dans la démarche avant même la réforme et la poursuivra au delà. Notons la traduction en Français pour le seul Charles V, dès 1377, par Raoul DE PRESLES, celle de Jean DE RELY en 1496, et, au XVII ° siècle, la traduction de Jacques CORBIN, accompagnée de celle jugée souvent littérairement très remarquable, de Isaac LEMAISTRE DE SACY (1637-1698), dite “la Bible de Mons” en 1696, à l’abbaye de Port-Royal, qui indique-t-on, souvent, inspira à Racine, Esther, et Athalie. Mais ces textes lus en catholicisme prenaient tous leurs sources dans la langue latine de la Vulgate.

517.

KOMENSKY est précédé historiquement par la recherche de Eilhard LUBINUS (1565-1621) à l’université de Rostock, et de Wolgfang RATKE (1571-1635), et surtout par le prêtre irlandais, William BATEUS, jésuite d’un collège de Salamanque, qui, en 1611, avait rédigé “Janua linguarum” (porte des langues), pour l’enseignement du latin à partir de l’espagnol, ouvrage rapidement traduit en Anglais, puis en Français. KOMENSKY se réfère explicitement à cette dernière influence dans l’introduction de son ouvrage. Il marque sa reconnaissance. Cependant, l’entreprise explicite de KOMENSKY est de relier ce travail aux hommes de son temps. Il trouve trois défauts essentiels à l’entreprise de Salamanque.

1/ Il y manque les mots d’usage courant, par contre beaucoup de mots inusités sont donnés.

2/ Chaque mot n’est signifié qu’une seule fois, et le mot “porte” par exemple ne peut donner alors son sens figuré pourtant annoncé. Laissant le lecteur dans l’ignorance même de l’enjeu de l’entreprise éducative qui lui est proposée: Quid de la” porte” des langues ?

3/Il reproche enfin que le sens choisi des mots ne soit pas souvent le sens simple et premier qui aurait permis dit-il par déduction de trouver le sens figuré, par définition, toujours second, mais un sens métaphorique, hermétique à sa propre source.

COMÉNIUS se sert d’ailleurs avec humour du mot même de “ porte” qui est l’intitulé à l’entreprise jésuitique. Elle mérite plutôt le nom de “poterne “ ou de “huis”, porte de derrière, que de porte, dit-il.

PRÉVOT Jacques “L’utopie éducative COMÉNIUS” Belin Paris 1981 ; (des pages 194 à 207).

518.

CENTASSI René et MASSON Henri “L’homme qui a défié Babel” Ramsay Paris 1995 ; (398 pages)

519.

In “ Le point “du 8 Avril 1995 numéro 1177; à la page 88, dossier de Christian MAKARIAN.

Christian MAKARIAN ajoute : “ En dépit de sa diffusion perpétuelle, de son édition sous toutes les formes, de son adaptation au au cinéma, de toute la littérature qu’elle nourrit, l’intérêt qu’elle suscite ne se dément pas. “ (...)

“De quoi donner tort à Voltaire, qui prédisait en 1778, qu’il ne faudrait pas plus d’un siècle pour ne trouver le Bible que chez les antiquaires. Erreur historique.”

520.

Le retour à la parole biblique comme référent central et exclusif, lors du concile de Vatican II, s’accompagne, tout à la fois d’une reconnaissance de la diversité culturelle chrétienne et d’un retour à l’unité de l’église, en Christ. Comme l’illustre d’ailleurs très bien cette conclusion de discours de Paul VI précédant et introduisant les actes mêmes du Concile.

“ (...) nous considérons avec le respect qui lui est dû le patrimoine religieux reçu jadis et commun à tous, que nos frères séparés ont conservé, et même pour une part, heureusement développé. Nous trouvons très bons les efforts de ceux qui cherchent en toute honnêteté à mettre en lumière et à exalter les trésors à la fois de vérité et de vie spirituelle que possèdent ces frères séparés, et ce, afin d’améliorer nos rapports avec eux. Nous voulons espérer qu’eux aussi, animés d’un même désir, voudront mieux connaître notre enseignement, mieux voir par quelle logique profonde il découle de la logique de la révélation divine et mieux se pénétrer de notre histoire et de notre vie spirituelle.

Il nous faut dire enfin, à ce sujet, que conscients des difficultés énormes qui barrent actuellement le chemin de l’unité tant désirée, c’est en Dieu que nous mettons notre ardente confiance. Nous continuons donc de prier ainsi que de tendre toutes nos forces, pour donner un témoignage plus lumineux de vie chrétienne authentique et de charité fraternelle. Et si les événements ne répondent pas à notre espérance et à notre attente, nous nous rappellerions les mots si réconfortants du Christ.

“Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu.” (Luc XVIII 27)

“Discours au concile de Vatican II “ édités par CONGAR Yves, KÜNG Hans, O’HANLON Daniel Cerf Paris 1964 ; (300 pages).

; (à la page 156).

521.

Livre des actes des apôtres chapitre 17 verset 22 à 30

522.

Exode XII

523.

Exode XII 12

524.

KANT Emmanuel “Essai pour introduire en philosophie le concept de valeur négative” édition originale 1763 à Königsberg préface de CANGUILHEM Georges traduction et notes de KEMPF Roger Vrin (1° édition 1949) Paris 1991 ; (66 pages).

KANT s’appliquant à démasquer les a priori de la pensée, distingue, opposition logique, opposition réelle, principe logique et principe réel. Le principe de la contradiction logique lui permet dit-il “ posant l’infinité de Dieu” de supprimer “le prédicat de la mortalité lequel contredit le premier.” (à la page 61).

Un raisonnement logique que le mystère de la mort et de la résurrection du Christ renverse et traverse de toute part lui donne en tout cas un sens autre. Christ annonce la vie ”autre” qui est vie en Dieu .

Jésus pour reprendre les termes de la pensée kantienne, rapporte Dieu à la réalité mais une réalité qui dépasse ce que nos spéculations en perçoivent, une réalité qui s’entrouvre à partir de la mort à soi-même, à la réalité de la vie en Dieu.

“Si le grain ne meurt il reste seul “ ( Jean XII 24)

525.

Protreptique XII 119 1

Cité par Jean PÉPIN in

in “La philosophie de PLATON à Saint THOMAS” sous la direction de François CHÂTELET.

Dans la partie traitant de “Hellénisme et christianisme” à la page 175 Hachette Paris 1972.

526.

Livre des actes des apôtres chapitre 17 verset 22 à 30

527.

ANSELME de Cantorbery “Pourquoi Dieu s’est fait homme” Texte latin (Cur Deus homo) , traduction et notes de René ROQUES Cerf Paris 1963 ; (525 pages).

528.

Saint Pierre écrit : “Mais sanctifiez dans vos coeurs, Christ, le Seigneur, étant toujours prêts, à vous défendre, avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous.” I Pierre III 15

529.

Jean PÉPIN in “La philosophie de PLATON à Saint THOMAS” sous la direction de François CHÂTELET.

Dans la partie traitant de “Hellénisme et christianisme” à la page 175 Hachette Paris 1972 ;

530.

Jean PÉPIN cite I Corinthiens I 17 à II 16 comme l’exemple le plus marquant.

531.

I Corinthiens II 1 traduction BUZY cité par Jean PÉPIN op. cit.

532.

C’est pour cette raison que nous ne partageons pas vraiment l’argumentation de Paul RICOEUR lorsqu’il dit que “La voie christique n’ épuise pas la rapport au fondamental”.

Tout dépend en effet de ce que nous entendons par voie christique. Dans une perspective chrétienne, nous pourrions répondre : oui à l’affirmation de RICOEUR, s’il s’agit de la christologie telle que nous l’avons définie. Mais nous répondons : non, s’il s’agit du nouveau logos du verbe qui se fait chair. RICOEUR Paul in Réforme numéro 2609 15 Avril 1995 ; pp 7 et 8. Propos recueillis par Rémy HEBDING. “La pensée protestante aujourd’hui : déclin ou renouveau ? (4) “

RICOEUR semble craindre, avec une certaine raison sans doute, par dessus tout, les syncrétismes qui furent le fait de la scolastique .

Il discerne quatre voies pour la théologie contemporaine qui, pense-t-il, doivent être explorées indépendamment les unes des autres, avec un refus systématique du syncrétisme.

1 - La voie qui explore la mort du dieu de la métaphysique. Voie marquée d’après RICOEUR, par l’héritage de BARTH mais aussi NIETZSCHE)

2 - La voie de la confrontation avec les sciences “pour élever la rationalité théologique au niveau d’un dialogue avec la rationalité scientifique. “ RICOEUR cite ici PANNENBERG et le français Alain HOUZIAUX.

3 - La voie de la théologie du Process (WHITEHEAD) “qui met l’accent sur un devenir Dieu, un inachèvement du divin qui permet de prendre en charge dans l’encadrement théologique la souffrance et aussi l’horreur d’Auschwitz. Cette voie rejoint la question de Hans JONAS. “Comment penser Dieu après Auschwitz.”

4 - Enfin, la quatrième voie est celle de “ l’héritage d’une théologie de la culture.” (TILLICH)

À ces quatre voies de la pensée chrétienne, vue sous l’angle protestant ;d’après RICOEUR, viennent s’ajouter deux autres, liées aux rapports de l’écriture avec la critique d’une part, et au rapport du christianisme avec les autres religions, d’autre part.

Les quatre voies que détache RICOEUR sont contextuelles, elles sont celles qu’il voit poindre dans le questionnement théologique contemporain. Elles ne sont sans doute pas sans recoupement avec les quatre voies que nous avons nous-même tenté de définir, mais elles ne s’appuient pas sur le même point de vue. Nous nous situons selon le point de vue du christianisme dans sa singularité spécifique qui le distingue et non seulement du point de vue du protestantisme. Nous nous attachons davantage à ce que l’argumentation biblique possède d’intrinsèque. Les voies définies par RICOEUR semblent toutes concéder aux visions des sciences modernes et se situeraient entre ce que nous avons appelé la voie négative et la voie visitante.

Finalement la position de RICOEUR pourrait rejoindre la nôtre dans cet écrit lorsqu’il dit.

“Pour moi il est très difficile et pourtant nécessaire de tenir pour absolu le chemin du Christ et, en même temps, de réserver cet arrière plan dans lequel je ne pénètre pas et que je n’atteins que par le dialogue avec les autres cultures. (pages 8 ).

Elle semble s’en éloigner lorsqu’il dit pour justifier les différentes voies qu’il vient définir et pour justifier de leurs nécessités: “ Je suis dans la fragmentation, qui est la condition de la finitude.”

RICOEUR ne cesse de se situer dans le seul paradigme des sciences humaines, selon ce qu’il juge être leur norme contemporaine. Mais d’un point de vue intrinsèque au message biblique, la foi qui en ressort, est toujours une rupture d’avec la finitude envisagée et vécue par anticipation.