13 L’adoption (chrétienne) de l’héritage (juif)

Les deux "phylums" 543 sur lesquels se greffe l’héritage biblique, se déploient, depuis bientôt deux mille ans :

  1. L’un, sur le fond de la foi,Ces phrases qui se trouvent au début, pratiquement, de l’épître de Pierre expriment bien le fait central et singulier de la foi en Jésus-Christ :- le témoignage de la foi est enracinement dans l’espérance du salut et du Royaume- le témoignage de la foi est témoignage d’un monde qui naît au coeur d’un monde qui meurt-le témoignage de la foi est le lieu même de l’épreuve et de l’enseignement de Dieu. Telle est bien l’expression de la spécificité chrétienne :“Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts pour un héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir, lequel vous est réservé dans les cieux, à vous qui, par la puissance de Dieu, êtes gardés par la foi, pour le salut prêt à être révélé dans les derniers temps! C’est là ce qui fait votre joie, quoique maintenant, puisqu’il le faut, vous soyez attristés pendant quelques temps par diverses épreuves, afin que l’épreuve de votre foi, plus précieuse que l’or périssable (qui ce pendant est éprouvé par le feu), ait pour résultat la louange, la gloire et l’honneur lorsque Jésus-Christ apparaîtra, lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore, vous réjouissant d’une joie ineffable et glorieuse, parce que vous obtiendrez le salut de vos âmes pour prix de votre foi.” (I Pierre I 3 à 8). dans l’espérance, de la charité, agapê, peuple (laos) Le dictionnaire du Nouveau Testament de Xavier LÉON-DUFOUR note que le motgrec “laos” qui a donné naissance ou mot laïque, est ordinairement employé dans le Nouveau Testament pour désigner le peuple des chrétiens. On ne voit apparaître deux fois seulement le mot ethnos. (Matthieu XXI 43 ; I Pierre II 9). de prêtres Apocalypse I 5 e t 6 ; Apocalypse V 10 du sacerdoce royal, un peuple de saints, de prêtres, rois et prophètes I Pierre I I 9Marie-Odile PEAUCELLE, institutrice en maternelle, tira le titre d’un ouvrage pédagogique de ce passage l’épître de Pierre, auquel est associé un cantique qu’elle cite.“Devenir son maître, son “roi”, cette expression d’enfant a été pour moi une lumière, elle a orienté tout mon travail, car elle m’a renvoyé au texte de Saint Pierre : “ Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis pour proclamer les merveilles de Celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière” (I Pierre II 9) et au chant qui en a été tiré : “ ... Peuple de rois, assemblée des saints, peuple de Dieu, chante ton Seigneur!”PEAUCELLE Marie Odile “Former un peuple de rois” éditions Saint Paul ; Fribourg Paris 1977 ; ( page 139). , c’est à dire l’église chrétienne ...
  2. L’autre, sur fond de la loi et de l’étude, un peuple élu, désigné, marqué, c’est à dire l’Israël biblique, le peuple juif, sa religion, sa culture.

D’un côté l’enseignement de Moïse, de l’autre celui du Christ. Mais, pour les chrétiens, dès les premiers siècles, et la constitution même du Nouveau Testament le rappelle, Moïse, la loi, est une étape du chemin de la révélation qui conduit aux prophètes, puis au Christ. Le pédagogue 548 qui conduit au Christ, dira même Paul. On ne peut donc se passer de s’intéresser à Israël, peuple naturel de l’alliance, alliance à laquelle, le peuple chrétien n’est selon les textes mêmes du Nouveau Testament rattachée que par l’adoption. 549

André NEHER(1914 - 1988) 550 identifie comme suit, ce qui, selon lui, constitue sept vocations principales du judaïsme, comme autant de fidélités à Moïse :

  1. l’humanisme pascal,NEHER l’associe à la lecture liturgique d’Ésaïe XI, le dernier jour de l’octave pascale juive, la pacification messianique.
  2. les prestiges de la littéralité,La littéralité n’est pas "subissement" mais permet l’ entrée dans le mystère par l’exégèse, mystique, rationaliste historique.
  3. l’immédiateté,Le Dieu de Moïse ne lui appartient pas. Moïse n’est pas un héros, son nom n’est même pas mentionné dans la “Haggadah”, célébration domestique, pascale. L’immédiateté de Dieu signifie pour NEHER, la possibilité d’affronter Dieu face à face.
  4. le tutoiement,Dieu, dans la Bible, tutoie l’homme qui le tutoie à son tour dans une relation directe : “je” à “ tu”. Il demande même parfois des comptes au Dieu vivant de sa parole, de sa promesse.
  5. l’exil de Dieu,Dieu choisit par l’exil, de résider sur terre, au milieu des hommes, où se joue désormais, la vie, et la mort. “L’univers de l’Alliance ne se dédouble , ni ne se dépasse pour atteindre la métaphysique. Il porte son “métaphysique” en lui-même.
  6. la responsabilité d’Israël,L’universalisme porté par un seul, telle est la permanence du message biblique, qui fait d’Israël un isolé qui ne plaide pas pour lui-même. Il a une vocation pour les peuples de la terre, comme en témoignent les prophéties.
  7. la rédemption universelle par l’unicité d’Israël.Israël a pour vocation d’unir Dieu et la chekhinah, terme utilisé dans la tradition juive, la tradition talmudique, la Aggadah (Haggadah ) et les targoums, mais qui est absent de la Bible. Il signifie : la présence de Dieu dans le monde, ou plutôt Dieu quand il se manifeste en un certain lieu. La chekhinah, d’après le Talmud, est en exil parmi la diaspora, avec le Reste d’Israël, serviteur souffrant, jusqu’au retour en terre promise.

Israël, depuis la dispersion, faisant suite à la destruction du second temple en l’an 70, n’a cessé de vivre cette diaspora dans le monde, mais voici que les temps changent. Notre temps contemporain, avec l’irruption de plusieurs événements étonnants, rend le dialogue entre Israël et les églises, nécessaire, incontournable, souvent espéré 558 :

  1. La renaissance de la langue hébraïque, à rapprocher du mystère de la Pentecôte Voir BEN YEHOUDAH (BEN YEHOUDA) Éliezer (1858 - 1921) ... De son vrai nom Éliezer PERLMAN BEN YEHOUDA Éliezer “Le rêve traversé. L’autobiographie du père de l’hébreu en Israël. La Psychose inversée” Scribe Paris 1988 ; (143 pages). Postface Michel MASSON , traduction Gérard et Yvon HADDAD.Actes II...
  2. La shoa, à rapprocher, du thème du serviteur souffrant,Ésaïe LIII op. cit . du mystère de la crucifixion et de la résurrection du Christ.
  3. Le retour en terre promise, et la création officielle de l’état d’Israël, à rapprocher avec toute existence institutionnelle représentée, et ouverte, des nations et de la chrétienté et des organismes internationaux, pour la paix ou l’éducation (UNICEF, UNESCO).
  4. Ce retour permet la rencontre des frères “séparés” du judaïsme et la rencontre des “cultures” diverses ayant parsemé cette histoire jusqu’à la confrontation nouvelle avec les "non-juifs", les palestiniens.
  5. Les déserts qui fleurissent au Moyen Orient Entre autres : Ésaïe XXX II 15 ; Ésaïe XXXV 1 à 6 ; Ésaïe XLI 19 ; Ésaïe XLIII 19 20 ; Ésaïe LI 3 ; Ézéchiel XXXIV 25CATARIVAS David “Israël petite planète “ Seuil Paris 1957 Ce livre décrit dans certaines de ses pages (pp 11 à 38) l’extraordinaire transformation d’Israël, en quelques années, de 1948, date de la fondation de l’état, à 1957, date de la rédaction de l’ouvrage. Depuis 1957, le processus de transformation du pays, ne semble jamais avoir vraiment cessé. Si la tradition voulait que l’on s’installe pour vivre autour des points d’eau, lors de cette période de retour massif, depuis les 879 000 habitants hébreux de 1948, dont 758 000 juifs, jusqu’à aujourd’hui, où la population d’Israël compte 5 300 000 personnes, plus de 4 000 000 de juifs, la démarche est radicalement inversée, on choisit de faire venir l’eau jusqu’aux terres sèches. La carte d’Israël n’est donc plus du tout la même qu’en 1948 et cela non seulement à cause la modification du tracé des frontières : étendues d’eau disparues, cours d’eau détournés, déserts transformés.“Tous les fleuves vont à la mer et la mer n’est point remplie; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent” Ecclésiaste (Qohéleth ) I 7 ... Israël alors a détourné les fleuves vers les terres. depuis l’installation de l’état d’Israël, à rapprocher des promesses que porte le texte biblique qui nourrissent l’espérance des chrétiens eux-mêmes.
  6. La mise à jour de la culture juive, jusque là longtemps par force et (ou) nécessité, semi-clandestine, ou réservée à des initiés, par la création de l’université de Jérusalem ou de Tel Aviv, entre autres, par la diffusion des écrits, et la traduction en cours du Talmud en hébreu moderne, par Adin STEINSALTZ et, aujourd’hui, en anglais, par Jacob NEUSSNER, à rapprocher du message ouvert de la Bonne Nouvelle annoncée à ciel ouvert depuis bientôt deux mille ans.
  7. Les événements plus strictement éducationnels, repérés maintes fois en sciences de l’éducation :
  • FEÜERSTEIN, médecin, rééduquant les enfants meurtris de la Shoa, et la notion d’éducabilité cognitive qui en émerge ...
  • le mouvement amorcé en milieu du siècle dernier de l’aliyah, spécialement l’aliyah des jeunes, (la montée, le retour) qui identifie, de façon incarnée, en acte, une culture et son avenir, à sa mémoire.
  • le kibboutz à rapprocher du mouvement coopératif et mutualiste ...
  • les mouvements très contemporains et surprenants de la paix politique se rapprochant du pacifisme, une autre dimension au mot shalom, fait nouveau en Israël, qui se sont manifestés si fortement lors de l’assassinat de Yishaq RABIN, le 4 Novembre 1995 ...

Ces quelques points présentent, parmi bien d’autres, un intérêt éducationnel certain et reconnu, à rapprocher des mouvements similaires, d’inspiration chrétienne ou laïque, contemporains.

Nous n’avons pas pour objectif ni ambition, dans cette thèse d’entreprendre, avec suffisamment de soin, ce dialogue, même si nous en percevons la nécessité, l’imminence, la réalité contemporaine.

Notre connaissance du judaïsme reste très imparfaite, et donc malgré tout, bien sommaire et notre regard n’en perçoit certainement que l’extrinsèque réalité.

Nous signalons ici sans doute cependant un point d’appui possible, pour une lecture chrétienne de la Bible, celle qui entre en dialogue avec ” l’autre” lecture à laquelle deux mille ans d’histoire semblent l’avoir opposée.

La richesse d’un tel dialogue, son intérêt, les retombées qu’il pourrait avoir pour une lecture de la Bible, et une meilleure compréhension intrinsèque du message, ne nous échappe pas.

Josy EISENBERG 562 souligne que ce qui réunit les juifs aujourd’hui, ce qui les désigne comme tels, et qui a préservé leur identité communautaire au travers de leur histoire, n’est ni la race, ni la religion, ni la nation, mais sans doute un mystère qui trouve son origine dans la Bible. On peut dire la même chose pour le “peuple “ chrétien qui se reconnaît chrétien, et est désigné comme tel, malgré les différences, au travers de cette référence commune, à ce même texte fondateur. On peut répéter alors sans doute cette même chose encore pour ce qui est du dialogue entre juifs et chrétiens, entamé depuis deux mille ans, d’une histoire parfois si cruelle et sanglante.

Il reste donc que, de ces deux phylums, qui plus loin qu’eux-mêmes, se raccrochent l’un et l’autre à un seul, dans l’espace qui les sépare et les rejoint, tout à la fois, nous tenons des éléments d’une singularité biblique à l’éducation, que nous allons maintenant approcher plus consciencieusement et précisément, toujours dans une perspective d’abord chrétienne, dans le troisième chapitre de la thèse.

Notes
543.

Voir (op. cit.) : Note connexe numéro 4, adjointe au précédent chapitre :

Judaïsme et christianisme : Deux lectures historiques pour un même texte.

Les trois paradigmes d’approches pour une compréhension

Extraits de : CABALLÉ Antoine ; Antoine CABALLÉ op. cit. ; 1994 ; pp 61 à 66

548.

Galates III 27 : “Avant que la foi, vînt, nous étions enfermés sous la garde de la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. Ainsi la loi a été comme un pédagogue pour nous conduire à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi.”

549.

Dès l’Ancien Testament, Israël considère avoir reçu de Dieu comme une adoption filiale. Pour Israël, l’adoption signifie, Dieu qui “adopte “ son peuple.

Il est fait mention également plusieurs fois de l’acte qui consiste à prendre un étranger comme son propre enfant :

Sarah souhaite avoir un fils qui naîtra de la cohabitation de sa servante avec son mari. (Genèse XVI ).

Moïse (Exode II 10 ) et Esther (Esther II 7 ) furent des enfants adoptés bien que cette dernière soit en fait recueillie par Mardochée un parent proche, son oncle.

Dans le Nouveau Testament le mot employé est “hyothesia “ composé de hyos (fils) et “tithèmi” “poser, placer, regarder comme”.

Xavier LÉON-DUFOUR signale que l’adoption pour les romains avait un autre sens totalement juridique qu’Israël ignorait semble-t-il tout aussi totalement , elle supposait un achat devant témoin.

Lire : Genèse XLVIII 5 ; Genèse L 23 ; Ésaïe LVI 4 à 5 ; Osée II 22 ; Romains VIII 15 ; Romains IX 4 ; Romains IX 25 et suivants ; Galates III 26 à 29.

550.

NEHER André “Moïse et la vocation juive “ Seuil 1956 ; (des pages 167 à 182).

558.

EISENBERG Josy “Histoire moderne du peuple juif, d’Abraham à Rabin” Stock Paris 1997 ; (744 pages).

562.

EISENBERG Josy 1997 ; op. cit.