3 La parole face aux discours

Olivier REBOUL montre que le langage contemporain sur l’éducation repose en effet sur les discours. Il en distingue plusieurs types, chacun se produisant selon une logique interne 607 .

La question posée par la révélation biblique est celle du prix que cachent ces discours, en même temps donc qu’une révélation des intentions cachées, voire des duplicités qu’ils masquent. Olivier REBOUL montre qu’il se dégage une rhétorique commune à tous ces discours. 608

Il relève toute une série de mots pièges dont l’ambiguïté de sens couvre les raisonnements asyllogistiques, et autres travers ou sophismes du discours. 609

Cette rhétorique cherche donc, d’après Olivier REBOUL, à légitimer par une couverture polémique et ésotérique, une idéologie au service d’un pouvoir. Il nous faut ici entendre le mot pouvoir au sens de domination selon l’acception la plus large qui soit.

La parole biblique accomplie en Jésus-Christ, marque un accomplissement, l’avènement et l’irruption d’une réalité autre dans le quotidien de chaque histoire. Elle ne cherche pas à dire selon la forme, avec une intentionnalité de persuasion conceptuelle, comme pourrait l’être le discours scientifique, elle cherche et exprime dans cette recherche, la volonté d’un Tout Autre, devenu tout proche jusqu’à se fiancer et épouser l’homme, jusqu’à la transfiguration 610 du discours en parole 611 , de toute pensée en prière, de toute prière en accomplissement, de tout accomplissement en quête et prière ...

Car après avoir donné la loi à Moïse, Dieu vient l’écrire dans le coeur des hommes par Jésus 612 , le fils unique 613 , parole faite chair, parole vivante, qui accomplit l’alliance nouvelle et éternelle. Cette parole ne cherche pas à séduire 614 , usant de rhétorique à cet effet. Elle n’est pas située dans une relation entre théories, (ou représentations), et pratiques (ou présentations) ; elle manifeste une irruption du Royaume de Dieu dans le quotidien des existences, cette irruption provoque une blessure, car à l’évidence le Royaume n’est pas accompli en plénitude.

Car, malgré la révélation biblique, selon cette même révélation, la mort, le mal, sont toujours présents. Ils sont des réalités d’aujourd’hui et d’hier, que chacun constate, autour de lui comme en lui-même, malgré la défaite irrémédiable que leur a fait subir le Christ, il reste l’attente, pour le croyant, de l’avènement du Royaume, pour et qui vers lequel toute la création soupire. 615

Cet avènement s’exprimera, tel qu’il s’exprime déjà dans le coeur de l’homme qui met sa confiance en lui, par la parole de Dieu dont l’homme par la foi postule et affirme qu’elle ne saurait mentir.

La parole biblique identifie Dieu, dès le livre de la Genèse, où rien n’est dit de Dieu en dehors du fait de relater ce qu’il dit ; et ce qu’il dit est action, acte, et s’accomplit et accomplit la création.

Cette parole est hors du monde, elle est créatrice du monde tout autant qu’elle est, dans un second temps, rédemptrice pour l’homme et pour la création entière dont le destin semble dépendre de celui-ci. C’est à dire que la parole qui identifie Dieu, ne se contente pas de créer l’altérité entre YHVH et sa créature, l’homme, mais elle donne aussi gratuitement les moyens à l’homme de la réconciliation, suite à la chute, à la séparation du péché originel. Les moyens d’une communion nouvelle.

La parole créatrice et rédemptrice de Dieu telle que la Bible l’exprime s’oppose donc aux discours selon ses deux caractères, en tant que créatrice, en tant que rédemptrice ...

Créatrice du monde et de l’homme, de l’espace et du temps qu’elle domine l’un et l’autre, elle est hors de la création et garde un pouvoir de transformation sur elle, de même qu’elle a institué l’homme pour un type de relation particulier avec le monde, pour dominer sur les espèces, sur la création naturelle.

Rédemptrice, elle continue d’accomplir ce qu’elle dit, et finit par s’incarner en Christ, indiquant, au travers de sa personne et de son message, un type nouveau de relation entre l’homme et son Dieu devenu père, comme entre chaque homme et son prochain, devenus frères l’un de l’autre.

Comme le souffle rendant la vie à Adam dans le livre de la Genèse, comme l’Esprit-Saint soufflant où il veut pour faire de l’homme déchu, un fils réconcilié en Christ, pour faire naître l’église à la Pentecôte, cette parole est souffle, vent.

Elle s’identifie à la vie, à la vraie vie, vie éternelle. Elle est comme la respiration, elle respire, elle échappe ainsi aux calculs rhétoriques, pragmatiques, ou même rationnels, des discours de l’homme.

Notes
607.

REBOUL Olivier “Le langage de l’éducation ” PUF Paris 1984 ; (168 pages). Olivier REBOUL distinguecinq types de discours pédagogiques : Le contestataire, le novateur, le fonctionnel, l’humaniste, l’officiel.

608.

REBOUL distingue clichés, métaphores, hyperboles (figures de l’exagération), slogans, analogies, pétitions de principe, fausses alternatives, selon le paradigme des auteurs, toujours ”parfaitement dichotomique sans nuance”, opposant “l’originel et la colonisation” Ibidem page 132

609.

REBOUL cite comme “mots-pièges” à titre d’indication de sa démonstration, sans exhaustivité donc: adulte, apprentissage, autonomie, conseil, conseiller, conservateur, créativité, disciplinaire, échec, éducation, égalité des chances, élite, endoctrinement, enseigner et apprendre, épanouissement, équipe, esprit critique,étymologie, expression,fins, finalités, formation, formation continue, formation des maîtres, groupe, habilités, humanisme, idéologie, institution,instruction, interdisciplinarité,laïcité, langue populaire, méritocratie, motivation, nature, non-directivité, norme, objectif, permissif, prérequis, processus, projet, question, rigueur, sélection, transmission, vécu (...) Ibidem pages 55 à 79

610.

L’irruption du Royaume dans le monde telle que Jésus l’annonce et l’accomplit ouvre à une transfiguration, comme le récit de la transfiguration en est le signe. (Luc IX 28 à 36, Matthieu XVI I 1 à 8, Marc IX 2 à 10 ) Lorsque Pierre dit “dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse , une pour Élie” (Luc XVIII 33 ; Matthieu XVII 4 ; Marc IX 5; ), l’image de Élie et de Moïse disparaît. La parole vivante ne se pose pas comme le concept , ou comme la représentation, en termes figés. Elle est vivante, en marche constante vers un accomplissement, à partir d’une révélation dont la Bible rend compte, elle ne peut donc se mettre sous clé ou sous tente.

611.

Dieu dit et cela est, cela est déterminant dès le récit de la création.( Genèse I). À chacun des jours c’est ce que Dieu dit qui s’accomplit, ce que Dieu dit est donc acte. Dans la nouvelle alliance, cet accomplissement de la parole est rendue à l ‘homme par le moyen de la foi, comme d’ailleurs cela fut le cas pour les prophètes de l’ancien alliance : un seul grain de moutarde de foi, et les montagnes vous obéiraient dit Jésus. ( Matthieu XXI 21 ) “ Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière vous l’obtiendrez.” (Ibidem verset 22)

612.

Jérémie XXXI 33 et 34 (op cit) ; Hébreux X 16 17. Comme Jérémie le prophétisait, comme Paul le reprend, la loi passe de l’extériorité à l’intériorité des intentions, jusqu’à s’écrire au coeur même de l’homme, nous passons de la loi sous le paradigme de l’obéissance, à la grâce, sous le paradigme de la communion, de la lettre à l’ esprit, par la Nouvelle Alliance.

613.

Selon la Bible ce qu’accomplit Jésus n’est plus à accomplir. Il est le messie l’oint de Dieu, celui par qui le monde est sauvé. L’objectif de Dieu n’est pas de garder son fils pour lui même mais de sauver le monde à travers lui. Lire la parabole du vigneron (Marc XII 1 à9 ). Rappelons encore Jean III 16 “Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu’il ait la vie.”

614.

Depuis le serpent du livre de la Genèse, (Genèse III) ,le séducteur, le tentateur, est celui qui s’oppose à la volonté de Dieu. La séduction des richesses, dans la parabole du semeur (Matthieu XIII, Marc IV, Luc VIII 4 à 15) représente le terrain recouvert d’épines (Matthieu XIII 22) . La semence d’après l’explication même de Jésus est la parole de Dieu, ou parole du Royaume.

(Matthieu XIII 18, Marc IV 14 , Luc VIII 11)

615.

Romains VIII 22 à 27

Or nous savons que jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Et ce n’est pas elle seulement; mais nous aussi qui avons les prémices de l’ Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or l’espérance qu’on voit n’est plus l’espérance : ce qu’on voit peut-on l’espérer encore ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance. De même l’Esprit nous aide dans notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il nous convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables; et celui qui sonde les coeurs, connaît quelle est la pensée de l’Esprit, parce que c’est selon Dieu qu’il intercède en faveur des saints. “

Il faut entendre saint au sens biblique c’est à dire l’ensemble des croyants, vivant du Christ.