Deuxième interrogation : une singulière perspective ? De la promesse au royaume. Du ciel à la terre. De la terre au ciel.

1 Lecture de la Parole et perspective inversée

Cette autre “grammaire”, si nous en acceptons l’expression, grammaire de la vie au coeur des gestes et des pensées du quotidien, déplace ainsi la question de la voie philosophique qui s’interroge à partir des seules représentations que nous nous faisons : Dieu est-il ?

Elle traverse cette autre question de la voie métaphysique qui spéculerait sur le mystère de l’être et de la vie : Dieu existe-t-il ?

Elle dépasse encore cette question de la voie mystique qui cherche à comprendre : Dieu dit-il ?

En quelque sorte, ainsi posée, chacune de ces trois questions nous renvoie à une réponse préliminaire contenue dans les postures successives qui font très précisément, du philosophe, un philosophe, du métaphysicien, un métaphysicien, du mystique un mystique. Chacune de ces questions ouvre ainsi implicitement à la réponse qui a permis la question et qui se tient comme cachée en son sein.

Cette réponse implicite et préalable est donc celle qui explique chacune des différentes postures, du philosophe, du métaphysicien, du mystique.

Chacune de ces réponses ne prend pas en compte dès l’origine la parole biblique qui ouvre la perspective depuis la promesse jusqu’au royaume par le cheminement de l’alliance. Selon le cheminement inversé de celui de la spéculation.Selon le cheminement d’une révélation du ciel à la terre, de la terre au ciel.

Une fois traversée par le mystère de la révélation les trois questions, comme dans le texte biblique lui-même, ne se séparent pour ainsi dire pas l’une de l’autre, mais se fécondent mutuellement, selon l’irruption du témoignage de l’Esprit-Saint en leur sein même. Or, selon l’évangile, et l’ensemble du message biblique la posture intellectuelle ou spirituelle de l’homme importe moins que la visitation de Dieu selon son élection. Les douze disciples sont donc bien des hommes simples que Jésus vient rencontrer, en effectuant le premier pas vers eux, dans le quotidien de leurs jours, non à partir de leur démarche, intellectuelle ou spirituelle. Le mouvement est inversé, non plus de l’homme vers Dieu, mais de Dieu vers l’homme. Réclamant la seule foi première d’un kérygme réduit à sa plus simple expression, “Jésus Christ est Seigneur à la gloire du Père” 687 , le mystère de la révélation dans l’incarnation, tel qu’il se déploie dans la Bible, nous ouvre comme inversement à partir d’une réponse, désormais, sur un faisceau de questions nouvelles inscrites à partir d’un dialogue au quotidien des gestes entre Dieu et l’homme. L’invitation à la communion au règne de Dieu transfigure donc les données.

Cette invitation peut certes désormais venir se loger dans la quête de la philosophie, la métaphysique, ou la mystique, mais ne s’y enfermera point, car elle ne se contentera pas d’une posture mais de la foi seule. La foi ne part pas d’une question mais se fonde sur la réponse, donc une rencontre préalable, qui ouvre presque autant sur l’espérance que sur la conscience d’un vide, d’un manque, d’une blessure, nous revenons au blessé de la parabole du samaritain.

Si Dieu est Père (et mère), les hommes sont donc frères en Christ. Ils ne sont plus frères à partir d’eux-mêmes, de données spéculatives ou génétiques, ou même de convictions personnelles, mais à partir de l’adoption qui est l’initiative de Dieu, qui fait de chacun un fils, enfant adoptif 688 . Pour que l’adoption soit réussie, il faut encore que l’enfant adopte ses parents, car l’adoption pour être effective, comme le symbole, réclame un mouvement de réciprocité. Adopter Dieu comme Père (et mère) en Jésus-Christ, et le prochain comme frère en Jésus-Christ : une perspective nouvelle pour l’éducation s’ouvre ainsi.

Si le symbole n’est qu’une représentation, la perte d’un morceau de tessère d’hospitalité 689 pouvait être accidentelle et ne supposait pas forcément que l’amitié soit résiliée, la perte du sentiment d’adoption réciproque signifie une rupture de relation au moins momentanée. Car si le symbole reste du domaine de la représentation, l’adoption s’enracine dans la vie, le quotidien des gestes.

Notes
687.

Philippiens II 11 op; cit. - Kérygme des premiers chrétiens

688.

Paul emploie souvent l’expression : Romains VIII 15 à 23 ; IX 24 ; Galates IV 5 ;Éphésiens I 5

689.

Une explication étymologique de symbole est donnée au début de ce toisième chapitre de la thèse ; (page 221) ; note de bas de page numéro 6