8 Autre prix : Le prix du ciel à la terre

Du kérygme, le spinozisme ne percevait que la réduction de Dieu à l’homme rationnel charnel, Dieu réduit à la raison de l’homme, absolument naturelle.

Le spiritualisme mystique, dont le mouvement hippie fut l’une des manifestations, ne veut entendre que la dimension qui lui sembla transcendante, absolument, celle de l’homme spirituel, autrement dit, Dieu réduit à l’imagination de l’homme, le “psychédélique”, dimension seule, du moins le croit-il, surnaturelle.

Parfois même une synthèse est tentée entre les deux, et ce pourrait être le New-Âge.

Or, la révélation chrétienne, manifeste la transcendance dans l’immanence, l’immanence dans la transcendance, le naturel dans le surnaturel, le surnaturel dans le naturel. Non à partir d’une synthèse humaine mais d’un mystère. Mystère de l’Esprit-Saint, témoin promis d’une filiation nouvelle en Christ. Maurice BLONDEL, dans ses carnets intimes, exprime très bien cette double tension du chrétien, entre l’encerclement naturaliste, et l’évasion transcendantaliste, fruits l’un comme l’autre des spéculations ou représentations, l’irruption d’une blessure, d’une mort à soi-même, librement choisie, désirée, la joie simultanée qui en résulte.

‘Pour écarter l’étroite doctrine qui ne voit dans le Christianisme qu’autoritarisme ou hétéronomie servile, et qui impose à la manière d’un joug le don divin, il ne faut pas tomber dans l’erreur opposée ni réduire le surnaturel à n’être que le suprême épanouissant de tout notre être, comme si la vie religieuse surgissant de notre fond, devait simplement s’achever en une parfaite autonomie humaine. Non : Dieu a de toutes autres ambitions pour nous ; il a de toutes autres exigences pour Lui. Il ne s’est humanisé que pour nous déifier. Et comment est-ce possible, même à sa Toute Puissance ? C’est à la condition qu’Il entre en nous, tel qu’Il est, que cette intrusion de l’Infini vivant nous dilate, jusqu’à nous faire souffrir, jusqu’à nous faire mourir à nous-même (et c’est la vraie bonté), Dieu nous faisant à sa taille, sans se contenter de se faire à la nôtre, Dieu nous faisant chercher la béatitude dans la joie amoureuse d’être pour Lui, non dans l’ambition égoïste de L’avoir pour nous. 752

La position rationaliste, la position spiritualiste, semblent réduire, l’une et l’autre, Dieu à l’image de l’homme.

Mais de l’image d’une image peut-on encore dire qu’elle donne la réalité du Dieu vivant ? Et si le Dieu de l’évangile est celui qui donne la vie qu’en est-il de l’image de son image ? Tout, dans l’évangile, manifeste le mouvement inversé. D’image de Dieu l’homme est devenu fils, Dieu donne son prix à l’homme par pure grâce, pure gratuité, pur amour, don absolu de la vie. Il prend sa place à l’autel du sacrifice...

‘“Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle”. 753

Les chrétiens, sont invités à se situer désormais, sans cesse dans la quête de la position juste qui peut accueillir ce miracle de l’amour et le communier avec d’autres.

Comme pour un poste de radio, il s’agit désormais de trouver la bonne longueur d’onde pour recevoir et transmettre, un seul et même message, celui de la bonne nouvelle du royaume. Jacques parle de mise en pratique de la parole.

‘Mettez en pratique la parole, et ne vous bornez pas à l’écouter en vous trompant vous-mêmes par de faux raisonnements 754

Cependant, cette longueur d’onde elle-même ne se trouve pas au prix d’une technique, mais d’un abandon, au quotidien des gestes, à cette présence envahissante et discrète, à la fois, le Tout Autre qui se fait tout proche. Il ne faut pas mettre en pratique des préceptes figés, mais la parole vivante, celle qui s’est faite chair.

‘“ Voici le laboureur attend le précieux fruit de la terre, prenant patience à son égard, jusqu’à ce qu’il ait reçu les pluies de la première et de l’arrière saison.” 755

Le chemin premier fondateur du ciel à la terre a été accompli, à présent, il reste que la réponse monte de la terre au ciel. Ainsi, pourra se dérouler, comme un dialogue, une réponse au fil des jours, à chaque jour, où tout se jouera, se rejouera nouvellement, à partir de la victoire à jamais, et pour toujours, acquise depuis le matin de Pâque.

Notes
752.

BLONDEL Maurice” Carnets intimes” tome 2 (1894-1949) Les éditions du cerf Paris 1966 ; ( page 327)

753.

Jean III 16 op. cit.

754.

Jacques I 22

755.

Jacques V 7 à 9