13 Citoyens des cieux, étrangers sur la terre 793

Léon ROBIN nous explique que, les successeurs de ARISTOTE, dans la période hellénistique, à partir de la fondation de l’empire de ALEXANDRE, dont Rome reprendra l’héritage, verront le passage, dans la philosophie grecque, de l’idéal du citoyen à l’idéal du sage, de l’homme dans la cité à l’homme dans l’univers.

‘Dans le grand État centralisé dont il est sujet ; le citoyen de l’ancienne petite cité s’interroge sur l’attitude à prendre, il se sent dépaysé, comme égaré. 794

Naissent alors les grandes écoles philosophiques, depuis le scepticisme, l’épicurisme, le stoïcisme, la nouvelle académie. La réponse grecque à un monde qui bouge et qui échappe, de part la centralisation accrue du politique que le développement de l’état suppose, au contrôle de la raison ou du citoyen tout simple, se fera sur d’autres modes que la réponse chrétienne ou même juive. C’est que l’enjeu qui en nourrit la perspective n’est pas le même.

Selon André NEHER, auteur juif, dans la Bible, et dans l’existence juive, trois notions de la cité s’interrogent mutuellement, Jérusalem, Babel et Césarée. 795 Jérusalem est la cité céleste, de la promesse : elle est la ville de la paix, cité de Dieu. Césarée construite par HÉRODE le grand (de 25 à 13 avant Jésus-Christ, environ), à la gloire des occupants romains, pour devenir capitale administrative de la Judée occupée, et ainsi nommée pour rendre hommage à CÉSAR AUGUSTE 796 son protecteur, représente la cité du compromis, compromis nécessaire, d’après NEHER, entre le royaume de ce monde et le croyant juif appelé à se soumettre aux régimes politiques des pays où il se trouve. Quant à Babel, elle est le contraire absolu de Jérusalem, elle émane d’un principe fondateur opposé à Dieu, elle est l’illustration de l’ambition humaine de l’humanité de se suffire à elle même.

La perspective chrétienne n’est sans doute pas très éloignée de cette analyse de NEHER : s’il dit de payer le tribu à César, de rendre donc à César ce qui lui revenait, et à Dieu ce qui est à Dieu, de dissocier donc César de Dieu, en se soumettant à César pour ce qui lui revient. 797 Jésus signifie bien également que si son royaume n’est pas de ce monde, les disciples sont envoyés dans le monde. Cependant donc ils n’ont pas pour vocation première de le soumettre ou de le diriger, tout au contraire. Mais de lui annoncer le salut et la grâce qui l’accompagne. 798 Johannes ROLDANUS 799 le signale alors : la conscience d’être étrangers sur la terre est une constante des églises des premiers siècles, en répercussion des épîtres de Pierre et Paul 800 en particulier, les premiers chrétiens se considèrent comme des citoyens des cieux, voyageurs sur la terre. Le fait de cet exode, sa conscience est de la volonté du chrétien et non pas une simple conséquence d’une dualité interne à l’homme qui considérerait que seule une partie de lui-même serait élue. C’est CLÉMENT D’ALEXANDRIE ( (env) 150 - 215) qui s’opposera à “l’idée de BASILIDE selon laquelle la partie élue serait la partie hypercosmique, et, par là étrangère au monde.” 801

Cette clarification s’inscrit dans la continuation, le prolongement de l’enseignement des apôtres fondateurs de l’église. C’est l’aspiration au Royaume de Dieu auquel il participe déjà qui fait du chrétien un étranger en ce monde. Mais comme l’étranger visite le monde et transmet d’un peuple à l’autre le message, le chrétien est porteur d’un message d’un autre monde pour le monde, 802 la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ.

Notes
793.

Lévitique XXV... Hébreux chapitre XI 13 ... I Pierre I 1; I 17 ;II 11 ; II 21 ; III 13 à 17 ; IV 2; IV 4

794.

ROBIN Léon La pensée grecque et les origines de l’esprit scientifique” Albin Michel Paris 1948 ; ( des pages 355 à 432). Citation page 355

795.

NEHER André “L’existence Juive ‘ Seuil Paris 1962 ; ( pp 281 à 290) ; au chapitre Cité des hommes, ou cité de Dieu, ou Césarée, Babel et Jérusalem.

796.

Selon ”Antiquités judaïques” et “Guerre Juive “ de FLAVIUS JOSÈPHE ...

797.

Matthieu XX II 17 à 21 ; Marc XII 14 à 17 ; Luc XX 22 à 25.

798.

Actes V 42 (entre autres).

799.

ROLDANUS Johannes “Références patristiques au “chrétien-étranger” dans les trois premiers siècles” in

“ Lectures anciennes de la Bible” Cahiers de Biblica Patristica numéro 1

Centre d’analyse et de documentation patristique Palais Universitaire Strasbourg 1987 ; (pages 27 à 52).

800.

op. cit.

801.

Ibidem page 45 ; BASILIDE, réfuté par IRÉNÉE et HYPPOLYTE, fut un gnostique d’Alexandrie fondateur dans la chrétienté du culte à mystères.

802.

Voir spécialement la prière de Jésus en Jean XVII ; les versets 13 à 19 surtout (op. cit.)