4 La mort ou la vie ; de la mort à la vie

Autre enjeu : La vie et la mort ... De la mort à la vie ...

L’enjeu du bien et du mal qui rejoindrait celui du beau et du laid, du vrai et du faux, n’est donc pas propre au christianisme ni au judaïsme : les deux chevaux, l’un noir et l’autre blanc, qui se rapportaient pour la philosophie ancienne à ce que l’homme perçoit comme sensible, le cheval noir, cheval des ténèbres, s’opposant à l’intelligible, le cheval blanc, cheval de lumière, proposait par un jeu de la dialectique, une élévation de l’être vers l’essence des choses, seule éternelle.

Mais, comme le souligne Bertrand RUSSELL, pour SOCRATE, comme pour PLATON ou ARISTOTE, le général, c’est l’idée seule universelle, la lumière est dans l’idée seule éternelle en dehors du temps et de l’espace, s’oppose au particulier, les ténèbres, relié à la contingence circonstancielle sans valeur éternelle simplement particulière, du temps et de l’espace.

‘Ainsi, le terme général de cheval ne se rapporte pas à tel ou tel cheval, mais à n’importe quel cheval. Son sens est indépendant des chevaux particuliers et de ce qui leur arrive ; il n’est pas dans l’espace ni dans le temps, il est éternel. En métaphysique, ces propos signifient qu’il y a quelque part un cheval idéal, le cheval en tant que tel, unique et immuable, et c’est à lui que se réfère le terme général cheval. Les chevaux particuliers sont ce qu’ils sont dans la mesure où ils participent du cheval idéal. l’idée est parfaite et réelle, le particulier est défectueux et seulement apparent. 831

Le christianisme par contre comme l’ensemble du message biblique ne se singularise pas par ce tiraillement entre deux natures, mais sans doute par la rencontre rendue possible de chacun avec Dieu, qui voit l’illusoire opposition entre sensible et intelligible vaincue, la rencontre rendue possible et féconde par le chemin doublement inversé du singulier à l’universel, de Dieu vers l’homme.

On ne se déplace pas entre général et particulier, monde sensible et monde intelligible, mais l’incarnation visite le quotidien des gestes. La vie éternelle n’est pas la vie “idéale des idées” mais la vie, la résurrection des corps et des coeurs de chacun, appelé par son nom, c’est chacun qui passe de la mort à la vie.

On peut certes retrouver dans la culture antique égyptienne, un tel passage, une telle perspective. Ne voyait-on pas les égyptiens enterrer le mort avec tous les objets qu’il avait amassé en prévision de la vie éternelle.

Mais l’enjeu biblique passe par l’incarnation et ne rejoint pas non plus cette vision des choses qui réduit l’existence à la sauvegarde du corps, à la vie après la mort, la vie éternelle est dès aujourd’hui en prémices en actes. Le ciel est descendu sur la terre, il ne s’agit donc pas non plus de réduire le ciel à la terre, mais il s’agit d’une manifestation du ciel sur la terre, en vue d’une création nouvelle.

Il ne s’agit pas, bibliquement, ni de réduire le sensible à la contingence à la manière des grecs, ni inversement de réduire à la manière des égyptiens la perspective de l’au-delà à celle de la vie terrestre, à la perception terrestre sensible, mais bien d’une fécondation de la terre par le ciel.

Notes
831.

RUSSELL Bertrand “ L’aventure de la pensée occidentale” (”Wisdom of the West “Rathbone Books Ltd London 1959 pour la version originale) Hachette Paris 1961 ; op . cit ; ( à la page 61).