1 La médiation n’est pas médiatisation ni médiologie

Nous avons évoqué précédemment la différence que nous pouvons faire entre la médiatisation qui est la mise en oeuvre de moyens pour transmettre un message et la médiologie qui réunit l’ensemble des disciplines traitant de la question médiatique, de la diversité des techniques, des supports, des intentions.

Donc, au sens biblique, ou non, la médiation est encore tout autre chose que la médiatisation et que la médiologie. Certes, le langage courant distingue bien déjà entre médiation, médiologie et médiatisation, mais la frontière n’en est pas toujours très précise. Nous sommes entrés, depuis quinze ans surtout, dans tous ces domaines, jusque dans la recherche fondamentale, à caractère strictement scientifique, dans l’ère de la science et de la pratique médiologique, des coordinations et coordonnateurs, médiations et médiateurs en tous genres. 852 Du fait plus particulièrement de l’uniformisation, soulignée par Marc AUGÉ 853 , des langages, des différents mondes, qui caractérisent ce que d’aucuns appellent la post-modernité, voire même la sur-modernité. Nous avons évoqué ce problème lorsque nous avons défini le monopsychisme. Remarquons cependant encore que la notion de médiation se lie à l’enjeu de la relation, comme d’ailleurs, dans l’autre sens, l’enjeu se lie d’ailleurs à la notion de nécessité médiatrice.

Il nous faut donc distinguer ici dans un premier temps ce qui ressortirait du registre de l’information, de ce qui ressortirait de la communication intersubjective.

Le premier registre appelle la médiatisation, le second, la médiologie.

Sur le registre de l’information la médiatisation surgit et semble s’imposer comme nécessaire. La médiatisation cerne l’objet de son message et de son intention dans un type de relation de sujet à objet. Le récepteur du message est en effet considéré comme l’objet de la relation. C’est lui qu’il faut atteindre, et l’art médiatique vise à toucher, infléchir l’opinion, le désir, et le comportement d’autrui dans le sens désiré, comme s’imposait au niveau des discours, pour les anciens sophistes, la rhétorique. La rhétorique est l’art de faire jouer et basculer l’opinion. Toute information ainsi considérée est de nature publicitaire. Il s’agit de publier une nouvelle, de faire connaître un événement, un produit. La communication découle de ce premier aspect informatif de la relation. La communication ainsi posée et définie est intersubjective, elle prend en compte, et se module en fonction de la réaction du sujet à laquelle elle s’adresse.

La régulation des médiatisations s’imposerait alors, nous basculerions vers la médiologie, comme ARISTOTE fit basculer la rhétorique des sophistes où l’opinion était toute puissante, et où l’art de dire, l’art de la forme ne se liait pas au fond des choses 854 , en une rhétorique nouvelle qui ne visait pas à considérer que l’opinion pût seulement exister en dehors d’un rapport au logos transcendant autrement dit, au sens commun au fondement de toute recherche. Toute forme cache une essencequ’il faut retrouver. c’est finalement ce que se propose la médiologie contemporaine. 855

La dimension médiologique est donc, dans notre “temps d'aujourd'hui” qui en fait naître le concept, perçue très souvent comme inéluctable et nécessaire, à partir d’une gestion par micro ou macro-structures aux langages informatisés, gestions selon un même traitement scientifique, des banques de données financières, économiques, sociologiques, statistiques, éducationnelles, voire même concernant la recherche scientifique.

Une troisième forme relationnelle reste cependant incontournable: celle qui vise moins à modifier, qu’à retrouver, à bousculer l’essence des choses qu’à la reconnaître, à construire un système collectif de savoir, qu’à reconnaître son propre cheminement, c’est ce qu’on pourrait appeler la relation éducative personnalisée. Elle vise tout à la fois la distance ontologique et la réalité de l’expérience. Elle rejoint l’autodidactie que nous avions définie comme l’apprentissage en dehors des cadres institutionnels constitués. Elle reste néanmoins présente dans tout apprentissage.

Cette dernière forme de relation est proche de celle que définit BUBER lorsqu’il dit “je” et “tu” 856 . Elle est proche mais ne s’y fond pas encore. C’est elle qui préside par exemple aux dialogues de SOCRATE rapportés par PLATON, elle peut alors conduire à la maïeutique, l’art d’accoucher les âmes.

Dans ce cas, selon cette conception grecque, le médiateur serait la conscience de chacun, le demius, le démiurge, demi-dieu, qui d’après SOCRATE sommeillait en chacun et qu’il suffisait de réveiller.

Notes
852.

Ce rapport entre sciences et médiations est traité de façon indirecte, voire implicite, par quatre livres récents qui, à partir de réflexions épistémologiques en arrivent à questionner la médiation éducative, ou vice-versa, à partir de la question éducative questionnent les sciences contemporaines; Citons :

DE GENNES Pierre Gilles , BADOZ Pierre “Les objets fragiles “ Pocket Paris 1996 ; ( 257 pages).

JAKI Stanley “L’origine de la science et la science de son origine “ traduit de l’anglais par Michelle BOUIN-NAUDIN Eska Paris 1996 ; (143 pages). (Un regard chrétien.)

JOUARY Jean Paul “Enseigner la vérité ? “ Essais sur les sciences et leurs représentations Stock Paris 1996 ; (286 pages).

CHARPAK Georges (sous la direction de ) “La main à la pâte : les sciences à l’école primaire “ Flammarion Paris 1996 ; (160 p).

853.

AUGÉ Marc “Pour une anthropologie des mondes contemporains “ Aubier Paris 1994 ; (195 pages).

854.

“Avec les sophistes, le Logos se trouve coupé de toute relation avec l’Être transcendant, il devient simplement le discours manié efficacement par l’individu habile et fort pour rendre convaincantes les opinions qu’il a intérêt à inculquer à ceux qu’il veut manipuler à sa guise. De là naît la rhétorique qui fait du verbe un instrument au service de la passion de l’individu ; elle enseigne à manier le discours de façon efficace sans poser le problème de la sincérité ou de la valeur de ce qui est dit.”

Jean Brun cité en postface de : ARISTOTE “Rhétorique” Introduction Michel MEYER, Traduction de Charles-Émile RUELLE, revue par Patricia VANHEMERLYCK, Commentaires de Benoît TIMMERMANS L. G. F. Paris 1991 ; (403 pages).

855.

Dans son commentaire Benoît TIMMERMANS distingue

- d’après Rhétorique 1403 b 6-10 l’ inventio d’où sont tirées les preuves, l’elocutio comment le dire, dispositio l’ordre du discours. -d’après Rhétorique 1403 b 21 -36 actio, (art théâtral)

et memoria, les cinq principes fondateurs de bases des rhéteurs modernes héritiers d’ARISTOTE.

in Ibidem page 380

856.

Pour BUBER cette relation “Je à Tu “ est celle établie entre Dieu et l’homme, l’homme et Dieu, l’homme et l’homme, à partir de la révélation biblique.