4 Le don de la foi : médiation de la médiation

La foi 860 , nous l’avons déjà évoqué, est un engagement tout entier de l’être, et se distingue ainsi de la croyance purement intellectuelle spirituelle ou émotive. Elle est le chemin par lequel l’alliance circule aux travers des âges de l’histoire biblique de l’humanité, comme de chaque histoire singulière qui l’accueille, pour arriver au Christ. Citons alors, encore, une nouvelle fois, la définition étonnante de clarté et de concision qu’en donne saint Paul dans l’épître aux hébreux.

‘La foi est une ferme assurance des choses qu’on espère une
démonstration de celles que l’on ne voit pas. 861

Le cheminement de l’alliance, tout au long du récit biblique, de Noé à Abraham, de Moïse à David, de David à Jésus, est un cheminement par la foi. Tous les prophètes marquant l’histoire biblique ne sont pas exemplaires, par autre chose que par la foi.

La foi est donc centrale : elle est l’instrument par lequel Dieu s’adresse à l’homme, pour nouer une relation nouvelle avec lui, pour établir son alliance, pour l’enseigner 862 . Elle éclaire le sens du message et résout en son sein les apparentes contradictions qu’il pourrait receler pour s’en remettre à Dieu seul, de qui elle procède et vers qui elle retourne.

Si la foi est vraiment don de Dieu, elle n’en est pas pas pour autant embrigadement. Si elle conduit à l’obéissance dans l’ancienne alliance, à la communion en Dieu dans la nouvelle alliance, elle ne s’instaure que dans le dialogue. L’homme n’est pas un jouet entre les mains de son Dieu, Dieu ne joue pas au dé. L’homme a sa part essentielle. Songeons à Jonas fuyant l’appel de son Dieu et refusant de se rendre à Ninive. Le choix de Dieu, son élection de l’homme, ne produisent pas, comme par enchantement absolument direct, l’obéissance de l’homme pourtant choisi et élu.

Si Jésus est exemplaire, il l’est encore en premier par la foi, son abandon à la volonté de son Père, qui le conduisent à la mort sur la croix. La foi revêt donc plusieurs dimensions dont nous allons essayer de relever quelques aspects, elle est elle-même porteuse d’un enseignement, ne se dissociant pas sur ce point de la raison, unifiant en son sein sentiment et raison. Ce fut bien, sans doute, cet aspect, cette prise en compte de de l’intelligence de la foi, que le mouvement fidéiste du protestantisme derrière la théologie allemande dominante au XIX° siècle de SCHLEIERMACHER (1768-1834) relayée en France par Auguste SABATIER (1839-1901) 863 tenta de relever au coeur du scientisme du XIX° siècle, sans réellement cependant parvenir à se faire entendre.

Le vingtième siècle, dès lors, eut tôt fait de tenter de réduire la foi, dans l’occident plus particulièrement, et plus encore dans la France "laïciste", plus que laïque, et cartésienne, plus que rationnelle, à un subjectif sentiment qui ne saurait être raisonné. Cette vision des choses qui suppose un dédoublement de la personne, est bien celle issue du dualisme grec, s’imposant et s’opposant à la révélation et que nous avons largement dénoncé comme obstacle à l’intelligence intrinsèque de la foi : lorsque la spéculation abstraite cherche à contenir le mystère. Ce dédoublement rejoint et se fonde sur, d’une manière ou d’une autre, la prééminence de la théorie sur l’action. La foi biblique est intelligence et acte, sentiment de l’être unifié et conviction, qui s’expriment au coeur de l’abandon premier nécessaire qui précède, accompagne et suit, les décisions humaines.

Car si la foi est une grâce qui précède même la conscience qu’elle a d’elle-même, elle se fonde et trouve à se nourrir et se révèle à elle même, se transformant dès lors, en Christ. On passe de la grâce de la foi, à la foi en la grâce qui se manifeste en Christ. Si ce passage, cette rencontre, se jouent dans “l’intime recel” de l’intelligence, pour reprendre une expression de BLONDEL déjà citée, 864 cette compréhension prophétique des choses est bien paradoxalement déjà celle que donne la foi : elle est toujours singulière en même temps qu’elle conduit vers les autres, et qu’elle appelle à la communion.

Alors il advient être un combat que de vivre cette foi consciente d’elle même, foi si naturelle pour l’enfant, devenue conquête à revivre en chaque instant pour l’adulte. L’évangéliste d’origine chinoise NEE TO-SHENG appelé NEE Watchmann (1878 - 1961) propose, à partir de la lecture de l’épître aux Éphésiens, trois aspects de la foi chrétienne que résument ces trois expressions : “être assis”,“ marcher”, “tenir ferme” . 865

Ces trois aspects se présentent comme trois premières dimensions contenues dans la foi biblique.

  • La dimension du repos et de l’abandon.
  • La dimension de la force puissance de Dieu manifestée à partir de cet abandon.
  • La dimension prophétique de rupture d’avec les conceptions issues des seules spéculations humaines, et donc une nécessité de résistance.
Notes
860.

En hébreu : emûnâ hè’émîn ,dérivant de la racine mn signifiant “être stable” ;

En grec : pistis de pith-ti-is“ peithomaï ou le verbe pisteûo “se reposer sur” “donner sa confiance” .

861.

Hébreux XI 1 op; cit.

862.

Romains I 5 ; VI 17 ; II Corinthiens X 4, I Timothée I 6 ; II Timothée I 8

863.

Parmi les fondateurs de la faculté protestante de Paris en 1877. Ses thèses proposant en résumé qu’il n’est pas de raison sans foi, pas de foi sans raison, furent relayées proposant une vision immanente de la foi strictement naturelle par Eugène MENEGOZ. MENEGOZ Eugène “Du rapport entre l’histoire sainte et la foi religieuse” Fischbacher Paris 1899 ; (28 pages).

864.

Maurice BLONDEL La philosophie et l’esprit chrétien PUF Paris 1946 ; (p. 308) ; (op. cit.)

865.

NEE Wachtmann “Être assis, marcher, tenir ferme” (Recueils de textes composés entre 1938 et 1940) Jean Claude Lienhard éditions Bois Colombe 1971 ; (85 pages).

Dans cet ouvrage l’épître de Paul aux Éphésiens est subdivisé en deux parties :

1/ Doctrine :

“ Notre position en Christ “ de Éphésiens I 1 à III 21

2/Mise en pratique :

“Notre vie dans le monde “ de Éphésiens IV 1 à VI 9

“Notre attitude vis à vis de l’Ennemi “: Éphésiens VI 910 à 24

(Voir la page huit de l’ouvrage).