10 L’obstacle de l’interposition par le “catalogue des croyances”

Le catalogue des croyances n’est pas la foi.

La foi est engagement total de la personne, interpellation au coeur même. Elle est événement, elle n’est pas simple énonciation de faits ou de principes théoriques.

La croyance suppose un rapport à une fixité de type pratiquement théorique. La mort et la résurrection du Christ, ne se posent pas en fait théoriques dans l’histoire des apôtres, dans l’émergence de la vie de la communauté chrétienne primitive.

Les évangiles racontent cette histoire où les disciples ne posent pas la résurrection à partir d’une théorie des rapports d’une dualité entre mort et vie, dont le feu, 914 à la fois indigence et satiété, serait le symbole. Cette théorie hors judaïsme, d’essence grecque, était chère à HÉRACLITE d’Éphèse, (-576 environ -480 environ), à qui HEGEL vouait une grande admiration, et qui est considéré comme le père de la dialectique moderne. Cette théorie se lierait, d’une façon ou d’une autre, au relativisme, au mythe de l’éternel retour ou de Sisyphe qui finalement lui donne corps. 915

Il s’agit bien moins, selon le Nouveau Testament, de métamorphose, de mouvement dialectique, nous l’avons signalé, que d’une promesse de création nouvelle, nouvelle naissance, s’opposant ainsi radicalement aux mythes de la mythologie grecque. 916

Nous retrouvons cette dimension de la foi dans la contexture du texte biblique. C’est en cela que la prédication de Paul insiste sur l’opposition de la loi et la foi.

‘Frères (je parle à la manière des hommes) une disposition en bonne forme, bien que faite par un homme, n’est annulée par personne et personne n’y ajoute. Or les promesses ont été faites à Abraham et à sa postérité. Il n’est pas dite aux postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais en tant qu’il s’agit d’une seule : et à ta postérité, c’est à dire à Christ. Voici ce que j’entends : une disposition, que Dieu a confirmée antérieurement, ne peut pas être annulée, et ainsi la promesse que Dieu fait Abraham ce don de sa grâce. Car si l’héritage venait de la loi, il ne viendrait plus de la promesse; or, c’est par la promesse que Dieu a fait à Abraham ce don de sa grâce. Pourquoi donc la loi ? Elle a été donné ensuite à cause des transgressions, jusqu’à ce que vint la postérité à qui la promesse avait été faite; elle a été promulguée par des anges, au moyen d’un médiateur. Or, le médiateur n’est pas médiateur d’un seul, tandis que Dieu est seul. La loi est-elle donc contre les promesses de Dieu ? loin de là ! S’il eût été donné une moi qui pût procurer la vie, la justice viendrait réellement de la loi. Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce qui avait été promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croient. Avant que la foi vînt, nous étions enfermés sous la garde de la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. Ainsi, la loi a été comme un pédagogue, pour nous conduire à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi. 917

La loi, fut donc comme l’esclave, un serviteur inutile, qui conduisit selon l’histoire biblique et les révélations des prophètes au Christ. Ce thème de la loi pédagogue peut sans doute être traduction de la croyance en Dieu, l’obéissance à ses enseignements, prélude historiquement nécessaire à la venue du Christ à la compréhension de son message de grâce. Pour que la grâce soit reçue comme telle, il faut que l’homme ait conscience de sa nécessité. La conscience du péché précède la conscience de la grâce. Ce pédagogue de la loi, qui conduit l’homme jusqu’à Christ, pour Paul, est désormais inutile, il n’a servi qu’à montrer à l’homme la distance qui le séparait de la sainteté de Dieu. En Christ, désormais, cet accès à cette sainteté est rendue possible par la foi en lui qui ne se manifeste pas par un catalogue de croyances, mais qui accomplit la loi et les prophètes. La loi n’a été faite que pour manifester le projet de grâce de Dieu, de la même manière que la foi d’Abraham qui le mit en route, fut antérieure à la révélation de la loi faite à Moïse, de la même manière l’accomplissement de ce cheminement par la foi en Christ est rendu possible par la communion au don d’amour gratuit. Paul l’écrit ainsi dans l’épître aux romains.

‘“Mais il n’en n’est pas du don gratuit comme de l’offense ; car, si par l’offense d’un seul il en est beaucoup qui sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don de la grâce venant d’un seul homme , Jésus-Christ, ont-ils été abondamment été répandus sur beaucoup.”” 918

Paul, lors de ses visite aux juifs des synagogues d’Icône et de d’Antioche annonce donc la Bonne Nouvelle, comme en rupture avec la loi de Moïse, mais il cite simultanément les prophètes selon l’enseignement de Paul dont le livre des actes rend compte. 919

‘“Sachez donc hommes frères, que c’est par lui que le pardon des péchés vous est annoncé, et que quiconque croit est justifié par lui de toutes les choses dont vous ne pouviez être justifiés par la loi de Moïse. Ainsi prenez garde qu’il ne vous arrive ce qui est dit dans les prophètes : Voyez contempteurs, soyez étonnés et disparaissez; car je vais faire en vos jours une oeuvre que vous ne croiriez pas si on vous la racontait.” 920

Ce qui est étonnant donc, est cette double référence à la foi et au Christ, qui finit par n’en faire pour Paul qu’une seule puisque Christ, accomplit l’enseignement qui venait de la loi, et qui nous est parvenu par le chemin de la foi, la foi d’Abraham, car la loi elle-même ne fut révélée à Moïse que parce qu’il eut foi en Dieu.

Mais au delà de la référence à la foi d’Abraham, le Christ fait entrer désormais le croyant dans la communion avec l’esprit de Dieu, dans l’Esprit-Saint. Nous trouvons donc ainsi une communion d’intelligence avec l’alliance passée avec Noé, et la promesse faite, de la succession des jours et des nuits, des saisons, de la préservation de la vie sur la terre.

Lorsque Paul chassé d’Icône se retrouve à Lystre, 921 il guérit un infirme, le prêtre de Jupiter veut aussitôt offrir un sacrifice, c’est à l’alliance du don gratuit, référence des référence à Noé, et même au delà au Dieu créateur du ciel et la terre et de toutes choses, de toutes créature, que révèle la Genèse.

‘” Nous aussi nous sommes des hommes des hommes de la même nature que vous ; et, vous apportant la bonne nouvelle, nous vous exhortons à renoncer à ces choses vaines, pour vous tourner vers le Dieu vivant,qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve. Ce Dieu, dans les âges passés a laissé toutes les nations suivre leurs propres voies quoiqu’il n’ait cessé de rendre témoignage de ce qu’il est en, en faisant du bien, en vous dispensant du ciel, les pluies et les saisons, fertiles en vous donnant la nourriture avec abondance et en remplissant vos coeurs de joie. À peine purent-ils par ces paroles empêcher la foule de leur offrir un sacrifice.” 922

Il reste que, Paul - pouvait-il le prévoir ? - cette interposition par la croyance sera utilisée pendant des siècles par les successeurs chrétiens de l’apôtre. Nous pensons aux guerres de religion, parfois même entre chrétiens mêmes, et aux contraintes et conversions forcées qui l’accompagnèrent. 923

Notes
914.

Fragment 65 cité par ROBIN Léon La pensée grecque et les origines de l’esprit scientifique” Albin Michel Paris 1948 ; à la page 89.

915.

“C’est le même en nous, (...) d’être ce qui est vivant et d’être ce qui est mort, éveillé ou endormi, jeune ou vieux ; car, par le changement, ceci est cela et par le changement cela est à son tour ceci. “ fragment 88 in ibidem page 89. Paradoxalement cette conclusion du philosophe de l’éternel devenir rejoint celui de PARMÉNIDE d’Élée (- 544 - 450 ) qu’on lui oppose habituellement.

La dualité, d’ailleurs, pour PARMÉNIDE, est également présente, même si d’une autre manière que pour HÉRACLITE. Son unique ouvrage qui nous soit parvenu “ De la nature “ exprime à l’introduction une vision où le poète est conduit sur un char devant deux portes, l’une est celle du jour, ou la déesse guide l’homme selon la science, l’autre est celle de l’opinion et de la nuit, où les sens et l’opinion s’imposent à l’homme. PARMÉNIDE sépare donc les sens et l’opinion de la pensée seule “expérience vraie, selon lui. in Ibidem page 102.

PARMÉNIDE semble avoir inspiré le cogito de DESCARTES lorsqu’il écrivit :

“C’est la même chose de penser et d’être” fragment 5 in Ibidem page 104

PARMÉNIDE et HÉRACLITE se rejoindraient donc finalement et tout compte fait, par des formes diverses certes sur l’idée même d’une dualité et d’un certain retour inexorable. Pour le premier, selon un idéalisme et l’immanence , des situations matérielles, et, pour le second, selon le spiritualisme et la transcendance, des perceptions de l’esprit.

C’est cette double dualité que vient rompre la foi en la résurrection et la vie qui embrase l’être en son unité profonde pour le mettre en marche. Songeons à ce sujet à l’itinéraire de Nicodème que nous développons par ailleurs. (Jean III et Jean XIX 38 à 40 ). On peut se reporter à la note numéro 8 des annexes ; à la page 19 du document des annexes.

916.

Les deux épîtres de Jean qui insistent sur la création nouvelle, la nouvelle naissance, naître de dieu, sont très explicites à ce niveau.

917.

Galates III 15 à 24

918.

Romains V 16

919.

Actes XIII et Actes XIV 1 à 6

920.

Actes XIII 38 À 41 : Paul cite le prophète Habakuk I 5

921.

Actes XIV 7 à 28

922.

Actes XIV 16 et 17

923.

Au musée huguenot du désert de Saint Jean Du Gard, ( 36) est exposé un étrange “jeu de l’oie “ intitulé “L’école de la vérité pour les nouveaux convertis.” destinés aux huguenots à convertir, parfois semble-t-il même, les enfants, extraits de leurs familles. De nombreuses citations bibliques y regorgent pour finir, il se conclut par une confession de foi catholique.

Référence : “ Collection Musée du désert en Cévennes.”