14 L’obstacle de l’interposition par la direction d’âmes, ou par la direction de l’esprit ... autrement dit l’obstacle de l’ingénierie méthodologique

La place donnée dans l’ensemble de la Bible à l’enfant, place de première importance, s’articule sur ce qui vient d’être dit.

Soulignons d’abord, par quelques exemples, la permanence de cette prééminence de la place de l’enfant : Dieu s’est souvent servi d’enfants pour parler aux hommes.

Tout son enseignement est semblable un hymne à l’esprit d’enfance. Non seulement il rend grâce à son Père d’avoir révélé ces choses aux enfants et de les avoir cachées aux sages et intelligents, 1001 mais encore il réprimande ceux qui écartent de lui les enfants, 1002 avant d’ajouter que celui qui ne recevra pas le royaume comme un petit enfant n’y entrera pas 1003 .

Dans sa première épître, plus particulièrement Jean emploie souvent 1004 le terme “petits enfants” pour s’adresser à ses lecteurs ; nous retrouvons cette expression et tout son évangile est centré sur “le pouvoir de devenir enfant de Dieu “ 1005 par la grâce du Christ.

Nous retrouvons cette évocation de l’enfance pour parler des premiers baptisés, nés de nouveau, dans des épîtres de Pierre et de Paul 1006 , plus particulièrement. Le chrétien converti, “engendré” par Dieu entre ainsi par un esprit proche de l’enfance, à la suite du Christ, dans une relation directe affectueuse avec Dieu, et ses frères les hommes.

Celui qui doit diriger l’âme n’est donc pas un autre homme, une méthode, ou un système technique, mais le souffle de l’Esprit ; l’homme vivant par la foi est conduit et régénéré par l’Esprit-Saint et, c’est désormais l’Esprit-Saint, esprit qui justement saisit l’enfance, et témoigne en elle à partir d’une paternité divine, d’une fraternité nouvelle, d’un esprit d’adoption, d’un amour fondateur, qui dirigera et imprégnera, coeurs et pensées de celui qui, converti à l’amour premier de Dieu manifesté en Christ, ne veut vivre désormais que par la foi en cet amour.

Lorsque DESCARTES écrivit “Règles pour la direction de l’esprit “ ce titre aurait tout aussi bien pu être traduit par “Règles pour la direction de l’ingénierie intellectuelle (autrement dit de l’ingéniosité)”. Le mot latin ingenium employé par DESCARTES, signifie, en effet, le contenu de l’âme vu du point de vue strictement intellectuel. Cette remarque nous ouvre une voie très judicieuse.

Non seulement la règle ou méthode ne fait pas bibliquement la vérité, mais elle n’est pas le mode privilégié pour la rencontrer. Lorsque DESCARTES réduisait aux quatre principales opérations (addition soustraction multiplication division ) les opérations mentales nécessaires et suffisantes pour diriger l’esprit, il parlait de l’ingénierie, non de l’Esprit-Saint. 1007

Cette ingénierie cartésienne, depuis, a trouvé et multiplié ses héritages.

Le cercle herméneutique a voulu compliquer les choses pour rompre avec la trop simple objectivité cartésienne, considérant désormais la vérité non plus comme objective mais dans la subjectivité du sujet.

Le structuralisme a apporté une autre réponse en identifiant et définissant toute recherche toute découverte, tout langage, à partir de sa structure, de son invariance systémique, typologique.

Enfin, l’intersubjectivité des phénoménologistes ou des linguistes s’intéressant à la constitution des discours a encore déplacé le lieu de la vérité dans l’ intentionnalité subjective ou dans l’habitus social, ou encore entre les deux, dans une interaction entre les deux pôles.

Il reste que rien dans ces différentes approches, ces différentes méthodes, ne peut, ni totalement ni même sans doute même partiellement, capter et rendre compte de l’originalité chrétienne de la relation nouvelle de personne à personne de Dieu à l’homme, de Dieu vers l’homme, avant que d’être de l’homme vers Dieu, par la médiation unique et singulière du Christ, tout à fait Dieu et tout à fait homme.

La foi peut ouvrir à des méthodes, mais aucune méthode ne peut conduire à la foi ou encore à une foi puisqu’elles toutes supposent une croyance cachée. C’est ce que nous apprend pour confirmation le cercle herméneutique: “Croire pour comprendre et comprendre pour croire”.

En tout état de cause, une croyance est toujours nécessaire et première pour faire avancer le raisonnement de type scientifique. Elle est l’expression d’un niveau des représentations à un moment donné, représentations que l’expérience, ou l’expérimentation, visant à comprendre, se chargeront d’infirmer ou de confirmer, de réduire ou d’enrichir.

En effet, toute méthode ne se contente pas d’être une méthode pour approcher la vérité, mais elle prédit de part sa propre constitution un rapport à la vérité qu’elle contient d’une certaine façon déjà en elle même. 1008

Il reste à redire encore que la foi, telle que la Bible la révèle, n’est pas réductible à la croyance. La foi biblique est abandon à une parole, à une promesse. Elle est dans l’ abandon confiant, préliminaire à toute croyance qui fit marcher Abram poursuivant son cheminement au fil du récit biblique jusqu’au Christ, jusqu’à l’église, jusqu’à nous autres aujourd’hui.

Or, à l’évidence, si la foi procédait d’une méthode, celle-ci serait connue, au moins des croyants. 1009 Sans doute même que le texte biblique se composerait au moins comme une ouverture sur une didactique de ces méthodes. Or il n’en est rien, il n’est question que de récits, de dialogues, de manifestations humaines et divine entremêlées, de conflits, de réconciliations, de rencontres, de missives, d’exhortations et de conseils, mais pas de méthode produisant la rencontre avec Dieu.

Certes, les commandements de la loi apparaissent, mais ils ne sont pas tant une méthode conduisant à une connaissance, qu’un règlement de conduite conduisant à la prise de conscience du péché, nous dit Paul. 1010 Donc au contraire que de conduire à une connaissance de Dieu, la loi aboutit à la prise de conscience d’une distance irréductible entre l’homme et Dieu.

Distance nous dit encore Paul que le Christ seul s’est chargé de réduire. C’est en cela que la loi annonçait le Christ et préparait le temps de la grâce.

La loi dira enfin Paul fut le pédagogue conduisant au Christ 1011 .

Mais si la loi procédant de Dieu, s’annonce comme parole de Dieu, la méthode procède de la spéculation humaine. Le Talmud des juifs lui même n’est pas tant livre méthodologique que ce livre ouvert sur la représentation de la discussion humaine se poursuivant sur des générations de rabbins et d’exégètes.

D’un point de vue évangélique, la méthode, si méthode il y a, ne saurait intervenir qu’après la révélation de la vérité de la foi, c’est le sens par exemple, entre d’autre, des règles monastiques, ou encore des exercices spirituels, mais elle n’a pas pour objet de percer le mystère de celle-ci.

La foi n’est pas le fruit d’une méthode, elle ne s’obtient pas par l’exercice, ou le calcul, elle les précède.

La foi naît de la grâce, d’une rencontre inopinée en quelque sorte entre l’homme et le Christ. Même si la vérité de la foi peut conduire à des méthodes visant à la fortifier, elle n’en procède pas.

Le célèbre conte de H. C. ANDERSEN Le rossignol de l’empereur 1012 met en présence le vrai rossignol sans beaucoup de grâce physique mais au chant toujours nouveau 1013 improvisé, d’une part, et, d’autre part, un rossignol mécanique, à l’aspect enchanteur, construit par un horloger, faux oiseau reproducteur du chant du vrai rossignol. Seul, le vrai rossignol, par son seul chant librement donné, à la fin du conte, rendra à la vie l’empereur mourant. Ce conte illustre, d’après nous, l’écart entre l’esprit de méthode et de science et technique qui “virtualise “ la réalité pour réfléchir à partir de sa représentation, et qui reproduit un texte à partir de la vie du don de la vie, et, l’Esprit-Saint, toujours créateur signe de la création nouvelle 1014 à l’image de Dieu Père, esprit de vie 1015 actualisant la vie en Christ, esprit d’intercession et de consolation 1016 .

Notes
994.

L’Éternel s’adresse à Caïn : Genèse IV 10 “Et Dieu dit : “Qu’as-tu fait ? “La voix du sang de ton frère est arrivée jusqu’à moi.”

995.

Genèse XXI 17 : “ Dieu entendit la voix de l’enfant; et l’ange de Dieu appela du ciel Agar, et lui dit : Qu’as-tu Agar ? Ne crains point, car Dieu a entendu la voix de l’enfant dans le lieu où il est.”

996.

Exode II 6

997.

Juges XIII 1 à 7

998.

I Samuel III . Samuel est auprès du prophète Élie lorsqu’il entend Dieu lui parler, il croit qu’il s’agit d’Élie qui l’appelle et se présente trois fois vers Élie avant que celui-ci ne lui fasse comprendre et comprenne sans doute simultanément que c’est Dieu qui l’appelait. Remarquons donc comment Élie ne s’interpose pas entre Dieu et Samuel mais l’aide à comprendre qu’il lui parle. Aux versets 9 et 10 nous lisons : “(...) et il dit à Samuel : Va couche-toi; et si l’on t’appelle, tu diras : Parle Éternel, car ton serviteur écoute. Et Samuel alla se coucher à sa place. L’Éternel vint et se présenta comme les autres fois : Samuel, Samuel ! Et Samuel répondit “Parle ton serviteur écoute”.

999.

I Samuel XIII 7

1000.

I Samuel XVI 1 à 13

1001.

Matthieu XI 25 op. cit.

1002.

Matthieu XIX 14 ; Marc X 14 ; Luc XVIII 16

1003.

Marc X 15

1004.

I Jean II 1 ; II 12 ; II 28 ; III 7 ; III 18 ; IV 4 ; V 21

1005.

Jean I 12 ; Jean VIII 3

1006.

I Pierre I 14; II Pierre II 14 ; Romains XIII 16 et suivants ; Romains VIII 21 ; Éphésiens II 3 ; Éphésiens V 8 ; Éphésiens V 8 ; Galates IV 19 ;

1007.

DESCARTES René “Règles pour la direction de l’esprit.” (1628) F Vrin Paris 1994 ; (Règle XVIII pages 138 à 145).

1008.

GADAMER Hans Georg “Vérité et méthode -Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique “

Édition et traduction de l’allemand par Pierre FRUCHON, Jean GRONDIN, Gilbert MERLIO ( Gesammelte Werke - tome 1- 1986) Seuil Paris 1996 ; (534 pages).

1009.

Actes V 11 ; Romains III 27 ;IV 2-5 ;I Corinthiens XII 3 ; Éphésiens II 8 suivants; II Timothée II 13

La foi procède de l’Esprit-Saint. C’est à dire de Dieu.

1010.

Galates III ; Romains III IV et V, VI ,VII, VIII

1011.

“Ainsi la loi a été comme un pédagogue pour nous conduire jusqu’au Christ afin que nous soyons justifiés par la foi. Galates III 24

1012.

In ANDERSEN Oeuvres par Régis BOYER tome 1 “la pléiade “ Introduction Paris 1992 nouvelle trad. ; (1648 pages).

1013.

Psaume XXXIII 3 : “ Chantez à l’Éternel un cantique (chant ) nouveau “

Psaume XL 4 “Il a mis dans ma bouche un cantique ( chant ) nouveau”

1014.

Hébreu Bârâ grec Ktizô Ézéchiel XXXVI 26 ; XXX IX 29 ; II Corinthiens V 17

1015.

Apocalypse XXI 1 à 4

1016.

Le “Parakletos “ ” Paraclet “ que mentionne Jean.

Le Paraclet signale quelques aspects de l’activité de l’Esprit-Saint :

1 / La consolation (Jean XIV 16)

2/L’intercession (Avocat) auprès du Père (I Jean II 1)

3/ L’actualisation des paroles de Jésus Jean XIV 26.