Du Dieu créateur à l’époux
De l’alliance amitié à l’amour agapè
De la kénose ...à la communion au corps de l’église
De la communion à la Parousie ...
Par relation nous entendons un élément constitutif de toute situation éducative qui propose bien toujours, peu ou prou, ce qu’il convient d’appeler un certain type de relation éducative.
Quel type de relation éducative s’ouvre avec la Bible ? Telle pourrait être notre question dans ce chapitre. Toute relation éducative suppose bien toujours, en effet, un rapport à soi, un rapport aux autres, un rapport à Dieu, ou, à une transcendance, un dépassement, un rapport au monde. Nous allons nous pencher dans toutes ces directions pour discerner une spécificité biblique, s’il y a lieu.
Lors de la prière dite sacerdotale, que nous laisse l’évangile de Jean au chapitre dix-sept, précédant son arrestation, Jésus demande à Dieu, son Père, non pas d’ôter les disciples du monde, mais de les préserver du mal. Sa dernière prière est pour que ceux-ci soient un, comme lui-même et son Père ne sont qu’un, unis dans l’esprit vivant d’un même amour. 1106
Puisque Dieu parle, et, même “écrit” à chacun personnellement, visite la condition du plus humble, du plus seul, du plus démuni, en la personne du Christ Jésus, au travers de la Bible tout à la fois assimilée à la parole divine et aux saintes et écritures, a fortiori, si cette parole est annoncée par des bouches humaines, et, si cette écriture passe par des mains d’hommes, ceci signifie que chacun, chaque vie, chaque vide ressenti, chaque cri, chaque souffle, prend du prix. Un prix primordial. Le prix de Dieu lui-même, celui que Dieu lui-même a choisi de lui accorder en donnant son propre fils, l’unique, pour cela. Dieu a donné sa vie pour chacun et veut désormais que chacun prenne l’initiative singulière du désir de se relier aux uns et aux autres suivant le même amour, selon une communion en esprit et vérité avec lui. Se dévoile, dès lors, une relation singulière.
La relation de Dieu à l’homme, de l’homme à Dieu, est celle de l’époux à l’épouse, pour une création nouvelle dont Jésus est premier-né. Plus particulièrement, l’épître aux hébreux montre bien que Jésus est à la fois la victime expiatoire offerte une fois pour toutes en place de celle que le peuple offrait en sacrifice, et le grand prêtre chargé d’effectuer le sacrifice. Ainsi, s’abolit toute la distance qui existe entre Dieu et l’homme, ainsi s’accomplit la loi dont la lettre est irrémédiablement transfigurée par la personne du Christ, et l’amour manifesté sur la croix. René GIRARD l’exprime ainsi :
‘”Je crois possible de montrer que seuls les textes évangéliques achèvent ce que l’Ancien Testament laisse inachevé. Ces textes se situeraient donc dans le prolongement de la Bible judaïque, ils constitueraient la forme parfaite d’une entreprise que la Bible judaïque n’a pas menée jusqu’à son terme, ainsi que la tradition chrétienne l’a toujours affirmé. La vérité de tout ceci apparaît grâce à la lecture par la victime émissaire, et elle apparaît sous une forme immédiatement vérifiable sur les textes eux-mêmes, mais sous une forme insoupçonnée et surprenante pour toutes les traditions, y compris la tradition chrétienne, qui n’a jamais reconnu l’importance cruciale sous le rapport anthropologique, de ce que j’appelle la victime émissaire. ” 1107 ’René GIRARD cherche à retrouver l’expression acceptable par chacun, d’un pont rationnel entre la singularité chrétienne et la singularité biblique juive d’une part, entre l’expression de cette singularité et une approche rigoureuse de scientifique, d’autre part.
René GIRARD rejoint en partie la perspective de notre étude. Nous ne savons si ce pont est totalement possible à reconstituer, mais nous pouvons affirmer avec René GIRARD que l’aspect singulier autour de la victime émissaire est sans doute d’un grand intérêt.
Il reste que le fait de la croix, et, la foi en la résurrection sont essentiels : l’événement central de la Bonne Nouvelle, de l’Évangile. Selon son acceptation, ou son refus, se constitue la ligne de démarcation du christianisme, le fondement même de sa singularité, le point principal de sa définition en quelque sorte. La croix est folie pour la raison des contemporains grecs philosophes, blasphème pour les contemporains religieux d’un judaïsme strict et “légaliste”.
C’est ici le point de repère constitutif du kérygme depuis l’église primitive, point essentiel de la foi chrétienne, qu’elle soit catholique romaine, anglicane, réformée, orthodoxe d’orient, évangélique, ou autre encore. Même si aujourd’hui, les études statistiques, marquent que, en Europe et particulièrement en France, quelques chrétiens “sociologiques”, manifestent quelques doutes, préférant regarder à l’exemple du Christ, qu’au miracle (signe) fondateur de la naissance de l’église.
Le mystère de la mort et de la résurrection reste le fait central dont découlent toutes les autres affirmations du credo. Mais surtout, il est le moment crucial où la tristesse se transforme en joie, et où un message qui aurait pu n’être qu’une éthique se mue en Évangile, proclamation d’une Bonne Nouvelle. Dieu n’est pas absent, son Amour a triomphé :“il a tant aimé le monde “ ...
Cette relation de communion est donc premièrement de l’initiative de Jésus, de l’initiative de Dieu, elle renvoie alors l’homme à la quête de communion dans et avec le désir de Dieu, la volonté, l’action et la prière, la vie de Dieu. Elle l’envoie, lui qui désormais est tout à Dieu et n’est plus au monde, dans le monde : la Bonne Nouvelle est pour ce monde, pour le sauver, et non pour l’accuser ou le perdre. C’est ceci que dès l’origine on nomme, depuis l’église primitive, le don de la grâce, l’invitation dans le don gratuit à une communion en Esprit, en Christ, en Dieu.
Sont rompues ainsi toutes les tentations de relation avec un dieu spéculé, ou l’infini, au travers d’une projection, d’une image, de signes ésotériques, d’un symbole, d’une virtualité 1108 Le mouvement en est inversé, renversé, Dieu a pris chair.
L’histoire de l’église s’est dès lors inscrite entre des écueils de plusieurs types. Car si l’accueil de ce mystère en appelle à la foi c’est qu’il n’en est pas moins mystère indicible et non mécanisable ou théorisable, c’est à dire non reproductible mécaniquement par l’expérience réitérée à conditions d’expérimentations identiques, en tout cas, comme c’est le cas d’une loi scientifique.
Ainsi, depuis les Pères de l’église, l’église a-t-elle toujours eu à lutter, comme à se faufiler, entre le docétisme et son héritage, pour qui cette mort ne peut être que symbolique, et le patripassianisme et son héritage, où la mort du fils se réduit dans les souffrances du Dieu Père.
Théories théologiques pratiquement à l’opposé l’une de l’autre, qui débouchent, l’une et l’autre, sur les aspects plus contemporains de la théologie ou des pratiques chrétiennes ou encore même religieuses hors christianisme.
La première, le docétisme, se refusant à accepter jusqu’au bout la notion d’incarnation s’ouvre, tel l’Islam, sur une notion d’un Dieu peut-être et sans doute, miséricordieux, certes, mais néanmoins irrémédiablement lointain, sinon indifférent.
La seconde, le patripassianisme, s’ouvre sur deux formes curieusement pratiquement opposées dans la théologie : le dolorisme, d’une part, qui cherche à participer aux souffrances de Dieu par l’auto-martyrisation, et, d’autre part, la théologie de la mort de Dieu qui considère que l’homme est désormais livré à lui-même.
Entre ces deux espaces, il reste l’espace de la foi en la grâce, ou, de la grâce de la foi, au fondement du kérygme de l’église primitive sur le chemin de la mort à la résurrection, qui, tout en dissociant le Fils du Père, les retrouve l’un et l’autre en communion de Royauté et d’Esprit. Ainsi, Dieu se fait esclave, certes, en Christ, mais il n’en cesse pas moins de régner.
S’il s’est fait esclave c’est qu’il le choisit, s’il souffre c’est également qu’il le choisit, et ce choix, comme tout choix qui se respecte en tant que tel, est à chaque instant réversible. Il permet toujours, il appelle même, une possibilité alternative.
La première dérive, le docétisme, veut figer Dieu dans l’idée immuable et donc impassible, le patripassianisme, veut le figer dans la douleur, et le martyr, la mort. Mais la mort a été vaincue par la vie, tel est le message de la Bonne Nouvelle que répercute la Bible chrétienne depuis l’origine.
Selon le mouvement qui est ici inversé (renversé), de Dieu vers l’homme, et non plus seulement spéculation de l’homme vers Dieu, Dieu a pris chair, il s’est fait homme, il a donné sa vie par pur amour, ouvrant un chemin de la mort à la vie dans une communion d’amour et de dons gratuits. Si Dieu a fait ce chemin, du ciel à la terre, la réponse de l’homme va pouvoir s’ancrer sur la terre 1109 . Dimension de l’incarnation présente dès le commencement de la prise d’initiative de Dieu. Donc, dès le livre de la Genèse, c’est elle qui s’accomplit en Christ. En Christ, Dieu se fait l’époux : désormais, l'homme est invité au Royaume, au règne avec Dieu.
Ce processus, ce chemin, qui va de Dieu vers l’homme et auquel l’homme répond par pure grâce, par la prière, la foi, la louange, l’action, s’oppose tout au long du texte biblique, et en ceci distingue Israël des autres nations, à celui qui va de l’homme à lui-même, pour finir par le conduire à adorer sa propre image de créature, en lieu du seul créateur. C’est ainsi qu’entre d’autres, les problèmes éthiques posés par les progrès de la science génétique, sont annoncés par le message biblique et spécialement le Nouveau Testament 1110 alors qu’ils ne pouvaient être envisagés en ces termes, selon cette acuité en tout cas, par la philosophie grecque qui faisait démarrer toute connaissance vraie de la seule spéculation théorique.
L’homme se trouve désormais, nous le savons, peut-être pour le meilleur, mais, sans doute aussi, pour le pire, tenté d’agir sur le processus même de la naissance, et de la procréation, par la fécondation in-vitro, l’accès à la carte génétique, ou plus encore par les voies du clonage, dont la revue anglaise “Nature” publiait le 27 Février 1997, la première expérience réussie par le professeur écossais Ian WILMUT, avec la “création ou fabrication “ de la brebis Dolly. La connaissance du message évangélique, hors de tout moralisme prescriptif, renvoie alors chacun à une singulière affirmation : Dieu, le Tout Autre, s’est fait l’époux. Le mystère de son amour devient indissociable de celui de la vie, du don de la vie, qui ne peut se réduire à une relation théorique, entre savoir et expérience. Ainsi, aux mythologies grecques antiques de Prométhée, ou d’Icare, qui posaient la question de l’accession aux mystères de la vie selon les termes de l’accession ou non à l’immortalité, à la lumière, à la connaissance, la littérature des sociétés plus contemporaines, “nourries de valeurs chrétiennes”, a fait succéder les récits de Faust ou de Frankenstein, où la problématique se déplace et se situe désormais de façon plus décisive, entre bien et mal, Dieu et Diable.
Il en résulte moins nous semble-t-il un renforcement de l’ordre moral, nourri de prescriptions et de tabous, qu’une énorme responsabilité nouvelle, qu’un appel à discernement.
Tout est permis, écrivait dans ses épîtres, déjà, l’apôtre Paul 1111 , mais tout cependant n’est pas édifiant, tout ne contribue pas à l’édification qu’il faut rechercher en premier lieu. Il signifiait par ces mots, cette liberté nouvelle des chrétiens, enfants de Dieu, nés de la grâce, par rapport aux préceptes suivant la lettre de la loi concernant le manger et le boire. Sans doute n’est-il pas l’effet d’une extrapolation trop forte que de reporter cette même exhortation de l’apôtre aux questions contemporaines, quant au sens du progrès et de la science.
Nous pouvons retrouver d’ailleurs cette même exhortation au discernement dans maints passages, bibliques et évangéliques 1112 .
Devant les progrès de la science, de la technique, du savoir théorique, de sa puissance d’action chaque jour plus grande, plus terrifiante, l’homme est appelé, non à la fuite mais au discernement: l’important, l’essentiel, est dans la relation qui est entretenue entre Dieu et l’homme , entre l’homme et Dieu, entre l’homme et son prochain, son frère. Dans la communion à l’amour de l’époux, manifesté dans la personne du Christ. Telle pourrait être l’exhortation contemporaine du message biblique, du message de la Bonne Nouvelle de l’évangile.
La grande singularité chrétienne est d’appeler l’homme à la communion parfaite (Koinônia) de pensée, d’actes, de paroles et de prières, avec Dieu. Communion parfaite, participation à l’oeuvre commune, rendues désormais possibles en Jésus, conciliant en sa personne, Dieu et l’homme, ce dont l’Esprit-Saint rend témoignage.
Nous allons marquer à présent quelques étapes bibliques de ce cheminement. Du Dieu créateur au Dieu époux, de l’alliance amitié à l’amour agapè, du don absolu de Dieu se vidant de lui-même à la communion d’église, prémisses aujourd’hui, du royaume à venir.
Jean XVII 20 à 24
GIRARD René “Des choses cachées depuis la fondation du monde” Paris 1978 Ed. Grasset et Fasquelle ; (485 pages) ; (à la page 181 ).
Dans son “Dictionnaire du Nouveau Testament”, Xavier LÉON-DUFOUR explique que le mot “forme” a, en langue grecque, deux traductions possibles, “Morphè”, d’étymologie obscure “manière d’être”, configuration, et “schèma” de “echô” “ tenir se tenir “: tenue, attitude, vêtement “, deux traductions que le Nouveau Testament utilise à tour de rôle :
La forme et le fond ne s’opposent pas bibliquement telle l’apparence et la réalité, mais la forme est davantage nous dit LÈON DUFOUR, tel un vêtement sur un corps, l’être même qui s’exprime et se présente.
Il ajoute alors que la loi de l’Ancien Testament, donne une forme à la connaissance de la vérité selon l’enseignement de Dieu. Jésus s’est lui-même présenté comme un serviteur, un esclave, et non comme un roi puissant. Dès lors se conformer n’est pas imiter un modèle mais être délivré de l’intérieur à quelque puissance qui asservirait l’homme (le monde, les convoitises), c’est donc laisser donc reproduire en soi l’image du Christ selon la puissance qu’opère en nous le mystère de sa mort et de sa résurrection. De même, être transformé transfiguré, ce n’est pas changer d’aspect simplement, mais laisser agir au fond de soi la gloire qui resplendit en Christ, selon un nouveau principe d’être : le Christ qui rendra notre corps mort le tel son corps glorieux élevé au Père.
Le suicide collectif, dans une ville proche de San Diego, des membres d’une secte “La Porte du ciel” le 27 Mars 1997, révèle comment l’association d’une lecture biblique selon une interprétation ésotérique à la lettre, à la projection d’une virtualité peut au contraire aboutir à la négation du message de la Bonne Nouvelle. Les adeptes confondaient univers virtuel, réalités cosmiques et croyances millénaristes. Abonnés et reliés au réseau informatique d’ Internet, ils profitèrent du passage de la comète de Hale-Bopp, à proximité de la terre, pour quitter, dirent-ils, leur “enveloppe charnelle”. Voici une part du message qu’ils laissaient :“Nous sommes venus d’un espace lointain et nous avons maintenant quitté les corps que nous revêtions pour notre tâche accomplie. Cette distance de l’espace à laquelle nous nous référons est celle que votre littérature appelle le royaume des Cieux ou le royaume de Dieu (...) in “Le Monde “ du 29 Mars 1997 à la page 3. L’article de Laurent ZECCHINI.
“Le suicide collectif de 39 personnes en Californie a été méticuleusement planifié et exécuté. -les membres de la secte conjuguaient la passion pour Internet et les croyances millénaristes“
Mettons cette citation du texte de la secte en rapport avec cette citation par le texte biblique des paroles de Jésus.
“ Les pharisiens demandèrent à Jésus quand viendrait le royaume de Dieu. Il leur répondit : “Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point il est ici, ou il est là. Car voici le Royaume de Dieu est au milieu (certaines traductions disent au dedans ) de vous”. (Luc XVII 20 et 21)
Nous pensons au livre de Daniel chapitre VII qui ouvre “les visions de Daniel”. La vision des quatre bêtes semble figurer quatre empires successifs, dont le premier serait celui de Babylone. Il est significatif de noter que, face à ces êtres monstrueux, le livre de Daniel évoque alors “un Fils d’Homme” dont la domination, le règne et la gloire n’auront pas de fin. (VII 13 et 14) Cette symbolique de la bête reprise par le livre de l’Apocalypse, est certes également évocatrice en soi, d’une dénaturation de l’homme consécutive à l’alliance de la puissance technique des hommes au culte que l’homme voue à cette même puissance qui finit par l’aliéner et le dénaturer. L’expression “Fils d’e l’homme” est reprise pour évoquer le Christ, parfois par le Christ lui-même, dans de nombreux passages de chacun des quatre évangiles et plus spécialement dans l’évangile de Matthieu où nous le trouvons, sauf erreur, au moins vingt-cinq fois. On retrouve l’expression fils d’homme au livre de l’Apocalypse I v.13.
I Corinthiens VI 12 ; I Corinthiens X 23
I Roi III 9 ; Job VI 30 ; Job XXXVIII 2 ; Proverbes I 4 ; Proverbes VIII 12 . Proverbes XIII 6 ; Proverbes XXII 20.
Luc XII 56 ; Matthieu XVI 3 ; Romains II 17 à 24; Romains XII 2 ; I Corinthiens III 10 à 15 ; I Corinthiens VI 5 ; I Corinthiens XI 27 à 34 ; I Corinthiens XII 10 ; Galates VI 3 à 5; Philippiens I 9-11 . I Thessaloniciens V 16 à 24 ; Hébreux V 15 ; I Jean IV 1.