Dieu, en Jésus, sur la croix, se vide de lui-même, mais il ne reste pas prisonnier de l’homme, et Jésus est élevé : c’est le sens de l’ascension. Dieu se fait homme, se fait l’esclave, donne sa vie pour chacun et oriente désormais l’attention de chacun, vers celui qui est rejeté, l’exclu, celui qui n’est pas “dans le cercle” des relations acceptables, des amis choisis, c’est là que Dieu manifeste en priorité, sa présence. C’est vers celui qui est rejeté 1194 que chacun est invité à faire un pas en priorité, c’est celui-ci, le prochain, que chacun est invité à servir.
Se trouve donc dans cet “hymne aux Philippiens”, parfaitement exprimée, cette notion d’accomplissement de la parole biblique en Christ, l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde, mouvement radicalement inversé, de toute spéculation, toute construction religieuse, toute tentative d’ascension de l’homme vers Dieu, d’accession de l’homme à Dieu. Ici, Dieu est descendu jusqu’à l’homme dans le don gratuit, absolu. Ce mouvement de l’incarnation était en marche dès le judaïsme, Jésus simplement l’accomplit. Parmi les intellectuels juifs contemporains, Marc Alain OUAKNIN nous semble bien le signaler, lorsqu’il oppose la bonté à l’idée du Bien.
‘L’idée du Bien, telle qu’on la trouve chez les philosophes grecs, et notamment chez PLATON, suppose que chacun en particulier avec sa subjectivité propre doit, pour réaliser le Bien et se réaliser ainsi lui-même, “monter” vers le concept, l’idée, l’idéal, autrement dit rechercher le Bien, le Beau, le Vrai. Cette façon idéaliste de voir les choses est dangereuse, car elle est déconnectée du vécu des hommes ; du coup, pour réaliser ce Bien, je peux faire beaucoup de mal. Cela ne s’est vu que trop avec les idéologies qui, durant ce siècle et dans d’autres, ont suscité des crimes au nom du Bien présent ou futur. L’Inquisition en est le triste exemple, en particulier pour les juifs. ( ...)’ ‘Dans la tradition biblique, “l’idée du Bien “ se transforme en bonté concrète envers autrui. Il n’y a pas d’autre règle que cette bonté envers le prochain quel qu’il soit. C’est le prochain qui fait loi. La différence avec le Bien, c’est que la bonté envers le prochain suppose des sujets, des personnes concrètes, et non pas des idées abstraites. La tradition hébraïque a parfois exprimé ce changement de perspective avec les images de la pyramide et de l’étoile. Une des métaphores de la philosophie ou du système politique de l’Égypte est la pyramide : triangle posé sur la base, sommet pointant vers le haut, elle renvoie à l’idée d’un ensemble de sujets qui ne se définissent pas dans la relation à eux-mêmes, mais dans la construction d’une valeur divine suprême. En revanche, le Dieu qui se révèle au Sinaï aux juifs sortis d’Égypte se définit toujours en référence à cet événement de libération. Quand il parle, il dit : “Je suis l’Éternel, ton Dieu qui t’a fait sortir d’Égypte, de la maison d’esclavage” (et non pas : Je suis le Dieu là-haut, le Dieu pyramide à construire à atteindre). (...)’ ‘On pourrait alors dire que prévaut l’image d’une pyramide inversée, avec la base en haut et la pointe en bas. La révélation de Dieu dans la Bible consiste à inverser le “système” du Bien, symbolisé par la religion égyptienne avec ses pyramides. Si on met ensemble la pyramide debout sur sa base - le système de référence ancien dont il faut toujours se libérer - et la pyramide inversée - la nouveauté apportée par la révélation -, on obtient l’étoile de David. Voilà la révolution apportée par la Bible. 1195 ’Marc Alain OUAKNIN nous donne à comprendre le phylum biblique dans lequel tout se déploie et s’inscrit, des évangiles, que Jésus accomplit. C’est dans ce phylum évoqué par la vision juive de Marc Alain OUAKNIN que se situe tout le message évangélique, et particulièrement le mystère de la kénose, Dieu se vidant de lui-même, chanté par “l’hymne aux Philippiens”.
D’une certaine façon, il ne manquerait dans le discours démonstratif de Marc Alain OUAKNIN que le rappel de la croix vide, symbole chez les calvinistes, de la mort vaincue par la résurrection, pour que soit signifiée, en Christ, non plus le combat entre le système ancien, et le système nouveau, que signale l’étoile de David, mais la victoire donnée, accordée à celui à qui, s’étant fait serviteur de tous, l’esclave de tous, a été conféré un nom élevé au dessus de tous, comme le dit “l’hymne aux Philippiens” , afin que devant lui tout genou fléchisse.
Certes, si le judaïsme par son enracinement biblique, nous donne de comprendre le sens intrinsèque en quelque sorte du message évangélique, il reste entre le judaïsme et le christianisme, et cela est sans aucun doute, d’une très grande répercussion, toute la distance du don du Christ, don de la vie éternelle, du salut, dès aujourd’hui pour tous ceux qui l’accueillent.
L’étoile de David, symbolisant, comme nous le dit OUAKNIN, la présence simultanée du système ancien vertical, de type égyptien, voire babylonien, (la pyramide en ce sens est un rappel de la tour), et le mystère de la révélation biblique, pyramide renversée, (l’étoile en ce sens est un rappel de l’arche). L’essentiel du combat reste à livrer pour l’homme.
En Christ, en sa personne, cette présence simultanée est vaincue : c’est le sens de son élévation, de son ascension, de l’envoi de l’Esprit-Saint à la Pentecôte, il est le premier né d’une création nouvelle, par grâce, la victoire est d’ores et déjà irrémédiablement accordée à qui voudra la cueillir.
Si Dieu donc, dans “l’hymne aux Philippiens”, se vide de lui même, ce n’est pas pour en rester là, mais pour inviter chacun à le rejoindre, et en même temps pour donner désormais les moyens à chacun de le rejoindre. Jésus en est le chemin. 1196
Dieu, en Jésus, se fait nourriture et appelle chacun par son nom à la création nouvelle dont Jésus lui-même est le premier né. 1197
Ni fusion, ni seulement consensus, ni seulement contrat ou même pacte 1198 mais par le cheminement d’une alliance se construit peu à peu un projet inattendu.
Une relation nouvelle va unir les hommes. L’empire romain va être infiltré par l’intérieur par une nouvelle race d’hommes et de femmes unis les uns aux autres par un type de relation nouveau.
Ce qui unit ces hommes et ces femmes de tous pays de toutes conditions, est bien davantage et tout autre chose encore que de la complicité. Il s’agit d’une communion au don gratuit d’amour (agapè), que nous pourrons appeler la relation d’église.
Ce n’est plus l’état ou l’institution des règlements humains qui unissent les hommes entre eux ou les hommes à Dieu ce n’est pas non plus leurs liens affectifs ou affinités intellectuelles raciales culturelles mais selon le lien de la charité, ils forment un seul corps en Christ. 1199
L’église elle-même ne vit pas pour elle-même.
Sans être du monde, elle est envoyée dans le monde. 1200
Comme un corps ne vit pas pour lui-même, elle n’est là que pour l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut accordé gratuitement, en Jésus-Christ, au monde . 1201
‘En effet le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. 1202 ’Le cheminement de l’alliance a conduit, non aux travers de concepts sur Dieu, mais selon une marche par la foi, en dialogue avec YHVH, le Tout Autre indicible, mais néanmoins Père, Dieu personnel et vivant qui ne se laisse pas contenir dans les spéculations humaines, jusqu’à l’invitation en Christ, au partage du statut de Fils, à vivre une communion en lui, en Dieu, entre tous les hommes.
Danielle ELLUL, 1203 montre, à partir du livre des actes, comment ce cheminement ouvre et suit une progression de la chambre haute ... jusqu’à Rome.
Reste que ce cheminement n’est pas le fruit d’un plan parfaitement préétabli par quelques disciples éclairés, mais s’opère à partir d’une disponibilité à l’Esprit-Saint qui devient l’acteur principal et qui tire chaque fois plus loin les apôtres et les surprend sans cesse, les conduisant à pousser toujours plus loin les limites de la tente de l’église naissante.
Suivant un cheminement, une marche par la foi.
Au mot “dépouillé” la note de la TOB précise : “ Littéralement , il se vida “ekenôsen” lui même. Cette kénose ou anéantissement ne signifie pas que Jésus cesse d’être l’égal de Dieu ou d’être l’image de Dieu : c’est dans son abaissement même qu’il révèle l’être et l’amour de Dieu. Les cinq verbes suivants décrivent cet abaissement. Le Christ prend la condition de serviteur (ou mieux d’esclave). (...) Paul pense certainement au serviteur du Seigneur décrit dans Ésaïe LII 13 à LIII 12 .
Philippiens II 5 à 11 ; (TOB).
Matthieu XXV 34 à 40
Marc Alain OUAKNIN in “La plus belle histoire de Dieu - Qui est le Dieu de la Bible ?” Seuil Paris 1997 ; pages (98, 99, 100).
Jean XIV 6 (op cit)
Colossiens I 15 ; 18 ; Apocalypse I 5.
“ Il est vrai que les sociétés particulières étant toujours subordonnées à celles qui les contiennent, on doit obéir à celles-ci préférablement aux autres, que les devoirs du citoyen vont avant ceux du sénateur, et ceux de l’homme avant ceux du citoyen : mais malheureusement l’intérêt personnel se trouve toujours en raison inverse du devoir et augmente à mesure que l’association devient plus étroite et l’engagement moins sacré; preuve invincible que la volonté la plus générale est aussi toujours la plus juste, et que la voix du peuple est en effet la voix de Dieu.”
ROUSSEAU Jean Jacques “Économie politique 1755 “ présentation par Yves VARGAS PUF Paris 1986 ; (0,15) p 88.
1 Corinthiens XII - 12 à 31.
Jean XVII 15 à 24 (op. cit.)
Rappelons ici que le nom de Jésus signifie “Dieu sauve”.
Matthieu X 22 23; Matthieu XXIV 13 ; Marc XIII 13. ; Luc IX 51 à 56 ; Jean III 17 ; Jean IX 39 ; Jean XII 47 ; Jean XXII 25 ; I Timothée I 15 ; I Corinthiens IX 22.
Luc XIX 10 (TOB)
ELLUL Danielle “Les différentes étapes de l’éclatement des frontières dans le livre des actes.” in Église Réformée de France “Église en débats - Étranger, Étrangers “ Supplément au n° 2-96 du bulletin Information-Évangélisation ; Les bergers et les mages Paris 1996 ; (au fascicule “débats” aux pages 53 à 55 ).
Actes I à II (chambre haute). Actes III à 5 (Jérusalem). Actes VI à VIII (Samarie et Judée ). Actes X ; XI 18 (Césarée en Syrie ).
Actes XI ;19 À 26; Actes XIII jusqu’à Actes XIV 28 (Asie mineure ). Actes XVI 6 à 18 ; XVIII ( Grèce). Actes XXVIII 16 à 31 (Rome).