Sixième interrogation : Temps singuliers ?

1 Le temps instrument pour une éducation

Chronos terrassé, Aiôn fécondé par Kaïros.

Les temps de Dieu : un autre temps

Rappelons les deux seuls temps de la langue hébraïque : Ce qui est déjà accompli ( dibbér ) et ce qui est en train de s’accomplir(yedabbér). Ces deux temps sont particulièrement significatifs d’une décentration du regard, rendue possible du simple fait de leur existence, de leur seule énonciation, comme a priori, sans autre protocole. Chaque personne, en effet, dès lors, est, comme a priori, invitée à découvrir deux réalités incontournables et pratiquement indissociables l’une de l’autre : la permanence d’un être autre qu’elle-même, Dieu, son éternité, son être immuable, et son action, d’une part, et, d’autre part, et cette simultanéité est comme l’annonce déjà de la compassion de ce Dieu Tout Autre et Tout Puissant, à son égard, la situation fragile et exposée de sa propre condition de finitude. L’homme reçoit par là au quotidien de son langage, de son existence, l’irruption d’une transcendance, d’une permanence, d’une parole qui lui est adressé. Dans cette parole, Dieu se manifeste. Le Dieu de la Bible se caractérise par sa manifestation dans l’acte d’une parole. Dieu de la Bible se manifeste par le langage, dans le langage. Dès lors, en même “temps”, qu’Il se révèle à l’homme, YHVH révèle l’homme à lui-même. Autrement dit encore : ces deux dimensions du temps, ce qui est accompli, ce qui est en train de s’accomplir, mettent directement l’homme en relation avec un Tout Autre, pour qui mille ans sont comme comme un jour 1297 et devant une responsabilité que lui confère ce Tout Autre pour agir dans le monde. Pierre l’exprime dans sa deuxième épître.

‘“Mais il est une chose, bien aimés, que vous ne devez pas ignorer, c’est que devant le Seigneur un jour sont comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de sa promesse, comme quelques uns le croient, mais il use de patience envers vous, ne voulant qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance.” 1298

Car YHVH est aussi “Dieu vivant” qui ne s’est pas contenté de donner l’existence à l’homme mais qui s’adresse à lui et se propose de l’enseigner et de lui donner la vie dont Lui-même vit, la vie éternelle. Son oeuvre se déroule dans le temps donc, et Il est celui“qui ne tarde pas dans l’accomplissement de ses promesses.” YHVH est encore “Dieu Seigneur” Tout Puissant qui règne sur la création, les temps et sur l’espace. 1299 YHVH domine sur les temps et les circonstances.

Dieu est aussi épris de droit et de justice, mais surtout, épris de l’homme pour lui montrer ses voies, l’enseigner, selon sa parole 1300 et qu’il aime jusqu’a donner, en Jésus, sa vie pour lui .

Car YHVH est enfin Dieu aimant, “ qui use de patience “ 1301 envers l’homme, envers tous, pour que tous “accèdent à la repentance”. YHVH est donc tout à fait l’"anti-Chronos", ce dieu grec qui fit naître la nomenclature occidentale en rapport au temps mesuré et qui était un insatiable dévoreur de vies. Chronos mangeait ses enfants au fur et à mesure de leur naissance. 1302

L’oeuvre de YHVH ne se réduit pas alors non plus au temps événement “Kaïros”. Elle exprime une permanence continue, l’éternité, dans l’instant qui se renouvelle. On pourrait donc dire de YHVH, d’une certaine manière, qu’il terrasse Chronos, en ce qu’il inscrit sa promesse de vie Éternelle (Aiôn) dans le chemin d’une histoire enseignant selon la mémoire, la promesse, dons de sa parole. 1303 On peut dire également que YHVH féconde Kaïros, en inscrivant l’annonce de son Royaume et la venue de son fils, au coeur de cette histoire, le “jour” venu, dans un temps précis de celle-ci, et rendant désormais possible la vie éternelle, dès l’hic et nunc.

Le temps est comme un outil entre les mains de YHVH, Dieu personnel, juste et vivant, qui se fait Père. En retour, pour l’homme, le temps ne sera plus fatalité, mais moyen d’action. Cette action trouvera sa liberté et son affranchissement lorsque librement, gratuitement, l’homme par amour et reconnaissance retournera à YHVH, cherchant sa volonté en toutes choses.

YHVH, en effet, a un projet pour chacun et Il est lui même, en Christ, premier né de cette création nouvelle, ce projet qu’il dévoile dans le Nouveau Testament. 1304 Telle est la lecture chrétienne de la Bible. Pour la lecture juive, le Messie est encore à venir, et ceci même s’il convient de lire cet “avenir” dans un accomplissement se répercutant immanquablement dans le temps présent, l’hic et nunc : L’avenir messianique est déjà ainsi, dans une certaine mesure, selon une certaine démesure, un présent messianique, dans l’espérance d’une promesse. Il y a là une certaine convergence avec l’espérance chrétienne du retour. La Parousie. À l’Israël biblique, à l’église, en le dévoilant peu à peu, c’est ce projet, transmis sous la forme d’une promesse, s’accomplissant dans le temps, selon des temps, que la Bible enseigne. Ainsi, lorsqu’Il se présente à Moïse au buisson ardent en disant “Ehyeh acher ehyer” (Je suis qui je suis (ou je suis qui je serai) 1305 , l’évocation de ce buisson qui ne se consume point, bien que tout en feu, ouvre à une compréhension biblique du temps.

Dieu ouvre ainsi, de façon spectaculaire, (par son irruption dans l’histoire quotidienne de personnes, qu’il choisit, élit, met à part, temps après temps, jour après jour, d’accomplissements en renouvellements), les temps dont il dispose, et inscrit alors sa parole dans l’espace nouveau d’une histoire, d’une alliance, s’inscrivant dans l’histoire d’hommes, puis l’histoire des hommes, au travers de l’histoire d’un peuple, l’histoire d’Israël, peuple qu’il a décidé, le temps venu, de libérer de l’esclavage, de l’Égypte, comme il avait jadis sorti Noé, du déluge, et Abram, de la terre de Chaldée, pour le conduire vers la terre, le pays, qu’Il lui montrerait, avant que de conduire, le jour venu, toutes les nations, tous les peuples vers la montagne sainte. 1306

Nous n’évoquons donc pas vraiment, ou même pas du tout, ainsi, de par la Bible, l’organisation linéaire du temps à partir d’une organisation mathématique et rationnelle de celui-ci, telle que celle proposée par exemple, depuis le calendrier julien, commandité par Jules CÉSAR (- 101 ; -44) et s’inspirant des travaux de son contemporain astronome grec SOSIGÈNE d’Alexandrie, ni même telle que celle depuis ce même calendrier julien revisité par une lecture chrétienne, à partir des travaux de DENYS le Petit (canoniste et écrivain ecclésiastique scythe en activité à Rome entre 500 et 545) qui aboutirent entre autres, au passage de dix à douze mois, et à le faire démarrer, malgré semble-t-il une erreur due à un retard de quatre années, à la naissance du Christ, ni même finalement telle que celle du calendrier grégorien commandité par le pape GRÉGOIRE XIII (1502 - 1585), à partir des travaux du cardinal SIRLETO, et du jésuite mathématicien allemand CLAVIUS Christophorus ou Christoph KLAU (1537-1612). Il s’agit bien plutôt, selon la Bible, 1307 d’une visitation des conceptions humaines du temps, par le regard de YHVH, l’action de YHVH, de son oeuvre visible et lisible dans le temps, à partir d’un cheminement historique, d’une alliance, dans la vie concrètes d’hommes.

Notes
1297.

Psaume XC 4; II Pierre III 8 (Voir citation qui suit dans cette même page).

1298.

II Pierre III 8

1299.

Adonaï est un des noms donnés à Dieu, il signifie Seigneur.

1300.

Ésaïe I 11 à 17 ; Ésaïe V 8 ; Amos II 6 à 7 ; Amos V 7 à 8 ; Michée VII 2 ;

1301.

II Thessaloniciens III 5

1302.

Dans la mythologie grecque, Kronos (Chronos ou Cronos), fils d’Ouranos le ciel et de Gaia (la terre) et Rhéa eurent six enfants, dont Zeus, avalait tous ses rejetons. Zeus lui échappa, protégé qu’il fut par sa mère exaspérée, qui le confia à des nymphes qui le cachèrent et lui sauvèrent donc la vie. La légende la plus ancienne de Chronos est rapportés par HÉSIODE dans la Théogonie.

1303.

Ce thème est bien développé dans la théologie du théologien protestant Paul TILLICH.

TILLICH Paul “L’éternel maintenant” (“The eternal Now”1° édition anglaise Curtis Brown London 1956) ; traduit et présenté par Jean Marc SAINT Éditions Planètes Paris 1969 ; (217 pages).

1304.

Colossiens I 15 et suivants, Apocalypse I 5

1305.

Exode III 14 (Voir citation qui suit dans la page suivante).

1306.

Ésaïe II 1 à 5 ; Ésaïe XI 4 à 10 ; Ésaïe LVI 7 et 8 ; Michée IV 1 à 5; Ésaïe LX, LXI, LXII , Michée VI 8 ;

1307.

Rappelons que le calendrier hébreu fonctionnait, et fonctionne toujours, comme un calendrier lunaire. Il devait probablement compter donc 354 jours, 8 heures, 48 minutes, 34 secondes, et par ailleurs 12 mois ou 13 mois. Un mois intercalaire était probablement ajouté tous les 3 ans, en fait, 7 fois pour un cycle lunaire de 19 ans. La Bible ne mentionne pas cette coutume. La durée de chacun de ces mois étant comprise entre 29 et 30 jours.

En 358, le patriarche juif HILLEL II proposa un calcul mathématique et astronomique de l’organisation du temps faisant suite à l’observation visuelle lunaire qui primait jusqu’alors. Malgré quelques minimes retouches, portées entre le IV° siècle et le X° siècle, ce calendrier resta finalement grossièrement inchangé et il est celui adopté par les juifs d’aujourd’hui. Néanmoins, les calendriers des samaritains, des sadducéens et de la Mer Morte, se différencièrent longtemps, avant et après la création du calendrier officiel, par l’usage de calendriers propres ...

Les noms des 12 mois sont d’origine babylonienne : Abib ou Nisan (Avril) ; Ziv Jiar, ou Jyar ou Iyyar (Mai ) ; Sivan (Juin) ; Thammuz ou Tammouz (Juillet) ; Av ou Ab (Août) ; Elul ou Éloul ou Éloule (Septembre) ; Ethamim ou Tsiri ou Tichri (Octobre) ; Bul ou Marchesvan ou Hechvan ou Marhechvan ( Novembre) ; Chislev ou Kislev ou Kisleu (Décembre) ; Tébeth ou Tèvet (Janvier) ; Schébat ou Chevat (Février) ; Adar (Mars) ; Ve’adar ou Adar II (mois intercalaire). Dans le livre de la Genèse, dans le récit du déluge, les mois auraient 30 jours ( Genèse VII 11 ; Genèse VII 24 ; Genèse VIII 3 à 4 ). Ceci semblerait correspondre au fait que, pendant le séjour en Égypte, les hébreux ont semble-t-il été amenés à utiliser le calendrier égyptien qui était solaire, avec 12 mois de 30 jours et un ajout de 5 jours en fin d’année, pour parvenir à un total de 365, (selon “Les Histoires” II 5, oeuvre de l’historien grec HÉRODOTE “le père de l’histoire “ (-484 ; - 425 environ) . Les hébreux auraient donc ensuite employé des mois lunaires, durant chacun, d’une nouvelle lune à la suivante.