Dieu maître du temps, maître des temps qu’il crée et dont il dispose, s’exprime certes par la promesse faite à Noé, à Abraham, l’alliance qui suppose pour ne pas devenir lettre morte, dans son texte, dans son acte, que Dieu domine les temps pour pouvoir s’engager auprès de l’homme de manière souveraine et absolue. Mais Dieu, maître des temps, s’exprime aussi particulièrement, nous l’avons mentionné dès l’épisode du buisson ardent, au moment où “Je suis ce que je serai” apparaît à Moïse qui faisait tranquillement paître son troupeau au-delà du désert, au mont de l’Horeb.
‘“Moïse dit à Dieu :” Voici ! Je vais aller vers les fils d’Israël et je leur dirai le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. S’ils me disent : “Quel est son nom ? - Que leur dirai-je ?” Dieu dit à Moïse : JE SUIS QUI JE SERAI.” Il dit tu parleras ainsi aux fils d’Israël : JE SUIS m’a envoyé vers vous.” 1308 ’Notons au passage que ce texte s’oppose ou en tout cas résiste très fort aux interprétations théologiques qui, voulant, de notre point de vue, trop rapidement, concilier la spéculation des sciences humaines et la révélation biblique, autrement dit, implicitement, le dieu spéculé des grecs, et la révélation biblique d’un Dieu Tout Autre, tentent de concilier par un aphorisme alogique et finalement, toujours de notre point de vue, intenable, que Moïse serait l’inventeur du Dieu Tout Autre. 1309 Si Dieu est Tout Autre, comment pourrait-il avoir été inventé ?
Il y a là une aporie, une contradiction qui vaut bien qu’on ne l’élude pas. Le texte biblique lui-même accompagnant le message biblique et l’histoire d’Israël, se présente intrinsèquement, comme une lutte implacable et incessante contre les faux dieux qui ne sont pas vivants, dieux construits par l’homme, dieux imaginaires ou dieux imagés qui peuvent se contenir dans la représentation que l’on s’en fait. On ne peut tout à la fois donc, sans contredire le texte lui-même, et la logique la plus simple, soutenir simultanément que Dieu, le Dieu de Moïse, le Dieu biblique, soit Tout Autre, d’une part, et que Dieu soit imaginé, ou inventé, d’autre part. Des deux assertions, la Bible conduit à choisir la première et s’oppose radicalement à la seconde, en même temps qu’elle pose devant chacun ce nouveau dilemme.
Il est préférable et plus conforme au texte biblique de dire que Dieu est Tout Autre, et révélé. Il reste alors, face à cette révélation, la liberté de chacun de l’accepter ou d’en refuser l’existence, mais on ne peut tenir à la fois une logique et l’autre. Et remarquons encore, comme le texte fait mention du “Dieu de vos pères”, et suggère comme l’ensemble du récit du livre de l’Exode 1310 que ce récit ne se situe pas dans le domaine du mythe. Nous voyons comment, à partir de là, le temps, ce rapport au temps, mérite une approche de type ethnologique, voire anthropologique, pour comprendre par l’intérieur le caractère intrinsèque du message biblique, de la culture qu’il nourrit, comme la nature profonde de la foi qu’il révèle, de l’espérance qu’il fait naître. 1311
À partir de là nous pouvons noter au moins trois choses :
Autrement dit, le temps agit comme un révélateur du projet de Dieu. Autrement dit encore, tel un parchemin qu’on déroule, le temps serait l’instrument sur lequel Dieu écrit notre histoire, annonce et prépare notre avenir, et par lequel son projet se rend progressivement intelligible aux hommes. Car Dieu ne semble pas se résoudre à agir sans l’homme, à se passer de lui. C’est donc bien dans la contexture du temps que la parole s’incarne, que le verbe prend chair de façon chaque fois renouvelée. Ainsi, la mémoire est, bibliquement, spécialement dans l’ancienne alliance, 1312 le mode privilégié d’enracinement dans le présent, et le présent de Dieu, et, par répercussion, de projection vers l’avenir. Mais Dieu règne sur la mémoire elle-même, qu’il ne subit pas mais qu’il crée et renouvelle, choisit et peut effacer. 1313
Cet effacement, cette ardoise qu’on rend propre, est le fait du Christ sur la croix, et de son sacrifice rédempteur. L’oubli l’effacement de la mémoire est toujours un acte volontaire de Dieu qui rend possible le renouvellement, le pardon.
Exode III 13 à 14 (TOB) Voir note de bas de page numéro 6 en T 3 (page 156 ) pour une citation partielle du passage. Voir aussi en T 10 la réflexion des rabbins juifs sur l’origine de la loi ; note de bas de page numéro 341 ( page 534 ).
Évoquons Jean BOTTÉRO in “La plus belle histoire de Dieu - Qui est le Dieu de la Bible ?” Seuil Paris 1997 ; (pp 15 à 46).
Après avoir défini Moïse comme l’inventeur de YHVH, l’historien protestant Jean BOTTÉRO définit ce YHVH comme étant le
Tout Autre.
Pour Jean BOTTÉRO et beaucoup d’historiens contemporains, l’exode serait un mythe, car entre autre, nous n’avons aucune trace de la traversée du désert. Rappelons que ceci se situe bibliquement, il y a pratiquement trois mille cinq cents ans.
Illustrons notre propos par un exemple : l’émission Corpus Christi se déroula pendant la semaine sainte 1997 (sur Arte du 24 au 27 Mars 1997 ) et fit appel à des théologiens renommés pour discuter essentiellement autour de l’historicité de la mort et de la résurrection du Christ. Mais plus précisément encore, des événements entourant sa mort. Elle suscita des réactions très opposées. Les uns reprochèrent aux initiateurs de l’émission et aux théologiens invités leur non-scientificité, les autres leur négation du message intrinsèque de la foi.
SCHNEIDERMANN Daniel “Une symphonie désenchantée” ( À propos de l’émission Corpus Christi diffusé pendant la semaine pascale sur Arte avec la participation de théologiens ) ( Pierre GRELOT, Henri-Charles PUECH, Étienne NODET, Pierre GEOLTRAIN, Étienne TROCMÉ ...) in Le Monde des 30 et 31 Mars 1997 ; (page 39).
Sur le même sujet, en réponse plus ou moins directe à l’article : Courrier des lecteurs : les lettres contradictoires de David DUPRÉ, et Jean Claude LABERINE in Le Monde 6 et 7 Avril 1997 ; (page 38).
Le premier lecteur parle de “fumisterie pascale”, et accuse les historiens de parler d’un événement qui de son point de vue n’est qu’un mythe, alors que le second lecteur, à l’inverse, dénonce “le dénigrement, la discrimination, le pilonnage intellectuel” dont sont victimes les chrétiens aujourd’hui et évoque avec crainte d’éventuels futurs pogroms et internements psychiatriques pour ceux-ci. Rappelons notre intention ici dans cette thèse, signalée dès l’entrée : permettre à un chercheur scientifique et à un homme qui prend la Bible comme parole de Dieu de se retrouver l’un comme l’autre dans notre écrit, et de s’y sentir respectés.
“Souviens-toi de moi quand tu seras heureux “ (Genèse XL 14 ) ; dira Joseph prisonnier au chef des échansons après avoir interprété son songe.
Le brigand à côté de Jésus au moment de la croix fait une demande similaire concernant le royaume. Il est exaucé. (Luc XXIII 42).
L’Éternel instaure le jour du repos pour qu’on se souvienne de lui : Exode XX 8.
“Tu te souviens que tu as été esclave en Égypte” (Deutéronome V 15) ;
“Tu te souviendras du jour où tu es sorti d’Égypte.” (Deutéronome XVI 3) ; (voir Exode XIII 3 ) ;
Dieu lui-même se souvient des personnes : de Noé (Genèse VIII 1 ) ; d’Abraham (Genèse XIX 29) ; de Rachel (Genèse XXX 22 ) ; d’Anne (I Samuel I 19 ) ; de ce qu’il avait dit à Sarah (Genèse XX I 1).
Dieu se souvient aussi de son alliance : Genèse IX 15 et 16 ; Exode II 24 ; Exode VI 5 ; Lévitique XXVI 42 XXVI 45 ; Psaume CVI 45.
Dieu règne aussi sur la mémoire, il peut effacer tout souvenir.
“Il retranche de la terre le souvenir des méchants.” (Psaume IX 7).
Il rend au vieillard l’innocence de l’enfant ( Job XXXIII 26 )