Le temps entre l’espérance et la mémoire

Le psalmiste l’exprime en ces termes :

‘Du fond de l’abîme je t’invoque ô Éternel! Seigneur écoute ma voix ! ’ ‘Que tes oreilles soient attentives à la voix de mes supplications. Si tu gardais le souvenir des iniquités, Éternel Seigneur qui pourrait subsister ? ’ ‘Mais le pardon se trouve auprès de toi afin qu’on te craigne. 1314

Le pardon se trouve donc auprès de Dieu, nous dit le psalmiste, pour que l’homme le craigne et retourne à lui.

Rappelons que la notion biblique de la crainte de Dieu, n’est pas la peur, encore moins la frayeur que pourraient faire naître, par exemple, l’idée de la fuite inexorable du temps, la marche inéluctable vers la mort. Ou encore le mythe de l’éternel retour. Mais comme à leur opposé, la crainte de Dieu dans la Bible procède de la foi, nourrit la foi et conduit à elle. 1315 C’est un sentiment de révérence envers Dieu, même si l’amour parfait, en bout de route, de la nouvelle alliance en Christ bannit la crainte. 1316

Ceci signifie encore, que même s’il peut être pour l’homme, source de souffrances, parfois, 1317 le temps, n’est pas, bibliquement, fondamentalement, jamais vécu ou plutôt strictement subi comme une calamité absolue inéluctable, une fatalité, une chute inexorable, 1318 en tout cas surtout pas comme un dieu, puisqu’il est soumis à Dieu. 1319 Le temps qui passe, écrira Paul aux romains, nous rapproche du salut définitif final et il trouve son accomplissement dans l’amour de Dieu et du prochain .

‘L’amour ne fait aucun tort au prochain ; l’amour est donc le plein accomplissement de la loi.’ ‘D’autant que vous savez en quel temps nous sommes : voici l’heure de sortir de votre sommeil ; aujourd’hui, le salut est plus près de nous qu’au moment où nous avons cru. 1320

La possibilité d’aimer se donne toujours dans l’aujourd’hui, comme une invitation à la communion au jour 1321 gratuitement donné depuis Noé, pour que les hommes entrent dans le projet de Dieu, la communion en Dieu, et aiment en Christ, comme le Christ, comme lui-même aime toujours le premier. Dieu fait se lever le jour également sur les bons et les mauvais, dira Jésus.

Il nous invite à aimer de même.

Ce qui est vrai de l’histoire universelle des hommes, de l’humanité, l’est, dès lors, tout autant dans l’histoire singulière de chacun. C’est bien d’ailleurs, rappelons-le, à partir de telles histoires singulières que se manifeste le projet de Dieu pour l’humanité. Et non par le chemin à l’inverse du général au particulier, comme procéderait toute idéologie.

Le vieillissement lui-même peut dès lors être également vécu comme une invitation chaque jour renouvelée et approfondie dans l’hic et nunc, d’entrer dans le projet et l’enseignement de Dieu.

‘“Hier est passé ; demain n’est pas encore là ; aujourd’hui Dieu t’aidera”. Cette phrase, prononcée un jour dans un asile de vieillards, les pensionnaires l’ont retenue, adoptée, ils ont décidé d’en faire leur devise ; et il leur arrive de se saluer les uns les autres, avec humour et sérieux à la fois, en épelant les trois lettres qui la leur rappellent : H. D. A. 1322

Le vieillissement en Dieu est une bénédiction et une source de bénédictions, 1323 qui enseigne donc l’homme ou la femme à donner un sens à sa vie, à comprendre et à exprimer devant les autres le projet de Dieu pour lui, et pour chacun. 1324

Abraham et Sarah accueillent au soir de leur vie l’accomplissement devenu inespéré de la promesse de YHVH : l’annonce la naissance d’Isaac. Le temps a agi là comme l’instrument d’une maturation qui va conduire Abraham et Sarah à comprendre peu à peu que les voies de Dieu ne sont décidément pas celles des hommes. 1325

Nous retrouvons ainsi le mystère de cette présence insondable et pourtant accessible aux sens de l’homme, Christ, toujours présent, toujours passé, toujours à venir, à jamais vivant, et dont ce chant, parfois chanté au moment liturgique des célébrations chrétiennes dit de l’anamnèse (anamnésis), rend bien compte :

‘Christ est venu, Christ est né,
Christ a souffert, Christ est mort,
Christ est ressuscité, Christ est vivant,
Christ reviendra, Christ est là (...) 1326

Le Christ “qui était qui est et qui vient” 1327 selon les trois dimensions qu’exprime toute la Bible, selon la lecture christocentrique chrétienne, où Christ vient, selon la perspective chrétienne, accomplir le message qu’il inspire et qu’il concrétise, donne d’entrer dans ce mystère singulier qui ne s’aborde pas à partir des investigations intellectuelles ou autres, des efforts de l’homme pour accéder à Dieu, mais qui se rencontre par l’abandon à ce Tout Autre qui n’a cessé d’être et qui sera toujours présent dans l’aujourd’hui. Cet abandon confiant s’appelle la foi.

La foi, en Christ Jésus, trouve un nom pour exprimer son fondement sa raison d’être, son espérance. En Christ Jésus, en une personne s’exprimera désormais toute l’espérance, toute la concrétisation du projet de Dieu. Tel est, nous semble-t-il, tout le substantiel et invariable fondement biblique de toute théologie chrétienne, de toute marche par la foi, à la suite d’Abraham conduisant au Christ, de toute vie consacrée à la suite du Christ.

Nous allons à présent, malgré les difficultés que cela pose et que nous avons soulignées, essayer d’extraire quelques étapes de ce cheminement de Dieu pédagogue marchant aux côtés de l’homme, avec l’homme, suivant deux axes. Le premier axe sera celui que nous indique ce que nous appellerons “l’acte d’institution”.

Il est vrai que Dieu institue des personnes, selon un cheminement qui s’inscrit dans le singulier des vies des personnes pour y affirmer l’universalité d’une présence.

Le second axe abordera plus succinctement les rapports à la violence, et la pédagogie de Dieu qui aboutit à inviter à la communion avec lui, c’est à dire à aimer comme il aime, à pardonner comme il pardonne, dans la Nouvelle Alliance. Dans ce second axe nous nous inspirons comme point de départ de notre analyse d’un article de Frédéric DE CONINCK dans la revue “foi et éducation” . 1328

Notes
1314.

Psaume CXXX 1 à 3.

1315.

La crainte de Dieu : - est un soutien (Job IV 6). - est pure (Psaume XIX 10). - est le commencement de la sagesse (Psaume CXI 10) (Proverbes IX 10 ) . - est la sagesse elle-même (Job XXVIII 28). - c’est la haine du mal (Proverbes VIII 13). -augmente les jours (Proverbes X 27). -est une source de vie (Proverbes XIV 27).

-mène à la vie (Proverbes (XIX 23). -est le trésor de Sion. (Ésaïe XXX III 6). (Concordance SEGOND).

1316.

I Jean IV 18 ; I Jean V 3

1317.

L’homme en appelle parfois à l’oubli de Dieu. Psaume XXV 7 “ Ne te souviens pas des fautes de ma jeunesse.”

1318.

Paul parle dans l’épître aux Éphésiens de la possibilité offerte de “racheter le temps” pour l’homme. (La TOB traduit cette expression par “mettre à profit le temps présent”:

“ Prenez donc garde de vous conduire avec circonspection, non comme des insensés, mais comme des sages ; rachetez le temps, car les jours sont mauvais. “ (Éphésiens V 15)

(voir Colossiens IV 5)

1319.

“C’est Lui (Dieu) qui change le temps et les circonstances”. (Daniel II 21).

1320.

Romains XIII 10 et 11

1321.

Au sermon sur la montagne rappelons ces paroles de Jésus qui associent implicitement la possibilité et l’ordre même les ennemis au don d’amour gratuit, du jour et de la nuit, selon la première promesse de l’alliance que Dieu fit à Noé.

“Mais moi je vous dit : “ Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.” Matthieu V 44 à 46 (op. cit. ).

Ces paroles de Jésus sont en relation avec ce texte de Genèse VIII 22 et la promesse faite à Noé :

“Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point.” ( Genèse VIII 22).

1322.

Communauté de Pomeyrol “2° colloque du 3° âge” Offset Languedoc 34 Vendargues 1972 ; (page 30).

1323.

Psaume CIII 5 : ” C’est Lui qui rassasie de biens ta vieillesse et qui te fait rajeunir comme l’aigle” ;

Psaume XCII 15 ; (Proverbes X 27) (op. cit.).

1324.

La fin du livre de Job XL II 7 à 17.

La prospérité retrouvée pour Job à la fin de sa vie se répercute de par sa prière exaucée en bénédiction et enseignement pour ses trois amis bien intentionnés mais de mauvais conseil: Éliphaz de Théman, Bildad de Schuach et Tsophar de Naama.

1325.

Ésaïe LV 8 à 11 (op. cit.).

1326.

L’anamnèse du grec mnesis (mémoire ) pourrait exprimer étymologiquement : en remontant (ana) la mémoire.

Texte de François GESSIER, musique de Michel WACKENHEIM. (“Les cahiers de Réveil” Église réformée de France Centre Alpes Rhône ;1976 (Tournon ) ; à la page 388.

1327.

Le livre de l’Apocalypse emploie plusieurs fois cette expression pour parler de Jésus, mais aussi de Dieu.

Apocalypse I 4 ; Apocalypse I 8 ; Apocalypse IV 8 ; Apocalypse XI 17 ; Apocalypse XVI 5.

1328.

DE CONINCK Frédéric “De la violence au pardon, de degré en degré “ in “Foi Éducation” Revue trimestrielle de la fédération protestante de l’enseignement. Nouvelle série numéro 97 ; Janvier Mars 1997 ; (page 5).