Cinquième continuum du cheminement de l’alliance. Dieu parle et agit en l’homme

La colombe du Saint-Esprit est à l’inverse de l’Oiseau de Minerve. Elle n’attend pas le soir pour se lever et elle augure d’un monde nouveau, d’un coeur nouveau, d’un esprit nouveau. 1384 Et, donc, nous rejoignons en partie du moins ici, sinon l’entière analyse, du moins la remarque de Michel LACROIX qui écrit en conclusion de son livre :

‘(...) Telle était la thèse de Hegel qui comparait la philosophie à l’Oiseau de Minerve, la chouette qui attend le soir pour se lever et pour proclamer une vérité déjà incarnée dans le réel. (...) La Bible rapporte que la colombe lâchée par Noé s’échappa puis revint vers l’arche, indiquant par là que l’après-déluge était commencé. Contrairement à l’Oiseau de Hegel, elle annonce donc une ère nouvelle. Cette colombe n’a pas attendu le soir ; elle s’est levée à l’aurore. Et le rameau d’olivier qu’elle tient dans son bec représente peut-être les prémices d’une civilisation plus humaine. 1385

Nous venons tout juste de parler, faute de trouver un terme plus approprié, de méthode, ou d’une amorce de méthode, à propos de Noé, envoyant trois fois de suite, à sept jours d’intervalle, la colombe hors de l’arche. Il nous faut aussitôt émettre une réserve de taille : le mot méthode est sans doute encore trop fort. On peut parler d’un certain ordre dans l’action : le mot ordre sied d’ailleurs finalement davantage ici. Noé agit de façon ordonnée, certes. Tout ce qu’il fait est aux antipodes du désordre, et de l’emporte-pièce.

Mais, comme au contraire, à aucun moment Noé n’agit pour conceptualiser, ou à l’envers, ce qui revient sans aucun doute au même, il ne conceptualise pas avant d’agir, ou, en tout cas, son action ne semble pas se réduire ni dans l’intention ni dans la concrétisation, au spéculatif formel, au sens strict du mot, comme le supposerait le sens moderne du mot méthode : Noé n’agit avant tout que par rapport à la vie. Jusqu’à cette colombe à qui, en bout de compte, il rend la liberté, comme il la rendra à chacun des autres habitants de l’arche.

Noé tire cependant des leçons des signes de la vie, et le retour de la colombe lui parle, il tire un enseignement des choses qui se passent, entre gestes et pensées, bien davantage qu’entre théories et pratiques. La méthode, au sens cartésien, au sens moderne, au sens contemporain, supposerait une conscience claire de la finalité, ou, en tout cas une explicitation clairement énoncée de celle-ci, mais la finalité du geste de Noé n’est pas explicitement dite dans le texte biblique. Il ne s’agit pas en effet selon Noé, de discourir de la méthode, mais d’être tendu vers la vie, d’accomplir les gestes qui préservent la vie.

Si méthode il y avait donc, malgré tout, elle s’apparenterait à celle-ci que nous avions baptisée “méthode de la pierre d’attente” et que nous avons définie pratiquement dès l’entrée de ce texte de thèse.

Ce qui semble couler de source pour Noé, n’ira cependant pas de même pour ceux qui le suivront. Comme si le projet de Dieu, concernant chaque jour, à chaque étape de l’alliance davantage, l’esprit même, le coeur même de l’homme, jusqu’à l’ouvrir à une création nouvelle, se devait de montrer une rupture certaine avec cet ordre naturel qui va de la vie à la mort, et où tout se clôt donc par la mort. L’ordre de la grâce transfigurera désormais l’ordre naturel. Car, le projet de Dieu s’y manifeste en plénitude : il s’agit bien là d’un projet de vie et non de mort. La résurrection de Jésus signifie bien que l’enjeu est bien celui de la vie au delà de la mort : le salut dont la porte est désormais forcée. 1386 Finalement, ce qui a changé, ou plutôt, ce qui s’est approfondi, d’une alliance à l’autre, est aussi de l’ordre de l’enjeu. Enjeu signifie littéralement une entrée en jeu. L’entrée en jeu de Dieu est en effet à chaque fois plus profonde. Elle va permettre l’entrée en jeu, à chaque étape plus profonde et finalement donc plus impliquée, de l’homme lui-même. Ainsi, après ce que nous pouvons appeler le baptême de l’esprit et pour ne citer que trois des principaux apôtres :

Si nous regardions, à présent, comme bien souvent la théologie et la tradition l’ont fait, chacun des trois grands apôtres, comme les trois initiateurs des trois grandes traditions chrétiennes : 1393

... nous retrouverions alors, exprimée sous des aspects quelques peu différents, une seule et même tension, entre gestes et pensées, qui provoque le fait que, désormais, le chrétien, qui marche avec Christ, comme l’église qui se confie en lui, ne s’appartiennent plus totalement et sont donc comme dépassés à chaque instant par une révélation, sous forme de blessure, la circoncision du coeur.

Le chemin de Pierre indique la tension entre l’institution de l’église et son autorité selon l’Esprit de Dieu liée à sa faiblesse au regard des autorités du monde. 1394

Le chemin de Jean indique la tension entre la parole de Dieu, la parole biblique, la parole scellée de Dieu, par Christ, ou l’Esprit de Dieu, et son accomplissement dans le présent de chaque histoire, dans l’espérance de chaque vie. Il ouvre à l’interrogation théologique, exégétique, mais surtout eschatologique.

Le chemin de Paul enfin, ouvre à l‘interrogation caractéristique de la conscience de l’homme, en bute à la grâce de Dieu. Entre la loi et la grâce, ou plutôt sur le chemin qui va de la loi à la grâce, il signifie que le combat de Jacob se joue désormais au coeur de chaque coeur. Le projet n’est plus d’ailleurs totalement celui de Péniel, il ne s’agit pas d’arracher la bénédiction de Dieu seulement, mais de demeurer en communion avec lui, communion rendue désormais possible par le don du Christ. 1395

Ainsi donc, nous sommes passés, dans et par ce cheminement de l’alliance, depuis des choses qui allaient comme de soi, pour Noé, en traversant ensuite l’histoire tumultueuse d’Israël, jusqu’à l’enjeu d’un combat qui se déplace jusqu’au coeur de l’homme. Cet homme que Dieu s’est promis comme Il a promis à l’homme, de rendre nouveau, et, de recréer toute chose pour lui, avec lui, en lui, de le recréer lui-même, en le rendant désormais participant dans la Koinônia , au même titre que lui, Dieu, devenu Père, et Dieu frère manifesté en Jésus le Christ, par le biais du don gratuit et de l’amour désintéressé, de son oeuvre, de sa parole, de son royaume.

Notes
1384.

L’alliance renouvelée est déjà, chez les prophètes, annoncée :

Jérémie XXXI 31 à 33 ; Ézéchiel XXXVI 26 à 32 ;

L’accomplissement de la prophétie est au centre de l’enseignement de Jésus :

Luc XXII 20 ; I Corinthiens XI 25 ; Corinthiens III 6 ; Hébreux VIII 8 à 13 ; Hébreux Hébreux IX 15 ; XII 22 à 24 .

Tout est dès lors renouvelé : Apocalypse XXI 5 à 6

La création est renouvelée en Christ :

II Corinthiens V 17 ; Galates VI 15

La vie et tout l’être sont en nouveauté, comme Christ ressuscité :

Romains VI 4

L’Esprit libère de la loi vécue comme lettre :

Romains VII 6 ; Tite III 5.

1385.

LACROIX Michel “Le principe de Noé ou l’éthique de la sauvegarde “ Flammarion Paris 1997 ; (à la page 153 ).

Nous avons déjà indiqué lors d’une note précédente, les limites que nous trouvions en rapport à notre sujet, à l’approche de Michel LACROIX qui se situe dans la perspective de la philosophie, et oppose le principe de Noé, celui qui vise à sauver le patrimoine, au principe philosophique de HEGEL qui résorbe toute chose dans le devenir et dans l’abstraction.

Note de bas de page 48 en T 8 ; à la page 383 ; où nous avons sciemment placé la même citation qui est ici dans le corps même du texte.

1386.

Rappelons que l’expression est de Jésus.

Dans l’évangile de Matthieu :

“Depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu’à présent , le royaume de Dieu est forcé, ce sont les violents qui s’en emparent.”

(Matthieu XI 12).

Et dans l’évangile de Luc :

“La loi et les prophètes ont subsisté jusqu’à Jean ; depuis lors, le royaume de Dieu est forcé et chacun use de violence pour y entrer.”

(Luc XVI 16).

Mais Jésus ajoute aussitôt, et c’est le verset suivant (verset 17) :

Il est plus facile que le ciel et la terre passent qu’un seul trait de lettre de la loi vienne à tomber.”

1387.

Il est de coutume d’admettre sans preuves historiques formelles que Pierre ait subi la crucifixion, à l’époque où Paul eut la tête tranchée, vers l’an 68. Le martyre de Pierre est annoncé par Jésus, après qu’il l’ait rétabli dans son apostolat suite au reniement de la croix en Jean XXI 18 19 :

“En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas. Il dit cela pour indiquer par quelle mort Pierre glorifierait Dieu. Et ayant ainsi parlé, il lui dit : “Suis-moi”.

1388.

Jean XIX 27 28 :

“Jésus voyant sa mère, et auprès d’elle, le disciple qu’elle aimait, dit à sa mère : “Femme voilà ton fils. Puis il dit au disciple : Voilà ta mère. “ Et dès ce moment, le disciple la prit chez lui. “

1389.

Apocalypse I 9

L’île de Patmos où l’apôtre fut retenu prisonnier avant de rejoindre semble-t-il à nouveau Éphèse où il mourut probablement, s’appelle aujourd’hui l’île de Patino petite île rocheuse de la mer de l’Archipel qui fait partie des Sporades.

1390.

Apocalypse XXII 18

1391.

Apocalypse XXII 10

1392.

Cette tension dans sa conscience, entre le mal qu’il fait sans le vouloir, et le bien qu’il ne fait pas, en le désirant pourtant de tout son coeur, est parfaitement exprimée en Romains VII 19 :

“ Car je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas.”

Ce chapitre est consacré à la tension entre la loi nécessaire, et toujours présente, bien que accomplie et donc dépassée parle Christ seul, dans sa lettre, la loi, donc, qui révèle le péché, d’une part, et la grâce,d’autre part, qui annonce le pardon sans rémission et la victoire de la vie. Ce combat se joue désormais au coeur de l’homme.

Suite à la politique de persécution inaugurée par NÉRON en 64, la tradition rapporte que l’apôtre fut décapité sur la route d’Ostie.

1393.

Il est bien clair pour nous que ce raccourci est réducteur : Pierre, Jean et Paul, sont bien en effet les apôtres de chacune des trois grandes traditions (nous n’employons également ce dernier mot de tradition, que faute de mieux, nous pourrions tout aussi bien dire : les trois principales formes ecclésiales). Nous n’utilisons ce raccourci cependant que pour mieux signifier à quel point l’institution humaine, des églises, peut en bout de compte s’affilier à des personnes, à des êtres de chair, de sang et d’esprit, plus qu’à des doctrines. Nous renforçons ainsi sciemment l’argument de ce paragraphe consacré à l’action de Dieu dans l’homme, par l’homme.

Ce point de vue rejoint ( quelle qu’en soit, par ailleurs, l’interprétation théologique que l’on en donne) la parole même de Jésus adressée à Pierre. “ Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre, je bâtirai mon Église.” (Matthieu XVI 18).

Il s’agit bien dans tous les cas de bâtir à partir d’une confession de foi personnelle, de bâtir à partir de l’homme.

Le mot Ekklesia, qui, dans les États grecs, signifiait l’assemblée des citoyens convoquée par le héraut, pour la discussion des affaires publiques, est, dans le Nouveau Testament, , avant d’être largement repris dans les Actes et les épîtres, employé, pour la première fois, par Jésus, lorsqu’il s’adresse justement à Pierre.

Le mot Ekklesia vient du grec ek kaléo qui signifie “appeler hors de “

1394.

C’est le même Pierre qui, dans le livre des Actes, est le premier des apôtres de l’église naissante, qui accomplit des miracles, qui agit selon l’autorité de l’Esprit-Saint, mais qui, également comme à revers, est enfermé en prison, et, subit les outrages des autorités religieuses et politiques qui, de fil en aiguille, beaucoup plus tard, le conduiront au martyr à Rome.

1395.

Contrairement à Jacob, ou plutôt dans le prolongement même (selon l’enseignement de l’alliance) de Jacob, qui dans la nuit de Péniel précédant sa rencontre avec Ésaü semble d’abord chercher à “sauver sa peau”, Paul ne veut vivre que pour conduire au salut ceux qui n’en connaissent pas la grâce.

Paul,bien que tendu dans son être, pour “remporter le prix qu’un seul remporte, tel l’athlète du stade” ( I Corinthiens IX 24 à 27) écrit même “Je dis la vérité en Christ, je ne mens point, ma conscience m’en rend témoignage par le Saint-Esprit : j’éprouve une grande tristesse, et j’ai dans le coeur un chagrin continuel. Car je voudrais moi-même être anathème pour mes frères ...” Romains IX 1 à 3

On peut se reporter à Genèse XXXII 24 à 32 pour le combat de Jacob à Péniel.

La rencontre avec Ésaü suit exactement ce texte et se situe dans Genèse XXXIII