Septième continuum du cheminement de l’alliance. Le continuum de la foi

La foi de Noé ne diffère donc pas, intrinsèquement, de celle d’Abraham, pas plus que de celle de Moïse et des prophètes, ou de celle de l’église. Ce sont d’ailleurs, cette convergence, cette adéquation, qui, le plus objectivement qu’il soit, font référence aujourd’hui encore, au travers de la Bible chrétienne, entre l’Ancien et le Nouveau Testament, et, qui justifient donc encore aujourd’hui, de la foi biblique, dont se réclament, les chrétiens. 1403 Ce qui va différer, au fur et à mesure du développement du récit biblique, n’est donc pas tant la nature de la foi humaine, mais l’engagement, progressif, à chaque étape, comme plus précis, plus profond, plus proche, et donc plus fort, de YHVH, dans l’histoire et la marche des hommes. L’enseignement de Dieu est non seulement, à chaque étape, associé à la réponse que l’homme en fait, mais il demande encore et provoque même de la part de l’homme à qui il s’adresse, en lui en donnant, au fur et à mesure les moyens, 1404 en réponse, une transformation, à chaque fois plus radicale. Ainsi, d’étape en étape, Noé reçoit la promesse pour la création, Abram, celle d’une postérité, et d’une terre, les disciples reçoivent l’Esprit-Saint, c’est à dire l’esprit même de Dieu, en prémices de la création nouvelle. 1405

Le continuum s’exprime également de façon “"trans-temporelle” et “trans-historique”. Le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu trinitaire, il est plus, et en tout cas encore autre, que le Dieu de l’ontologie au sens strict, que le Dieu de l’Ëtre, il suppose l’abandon à sa parole, il suppose la foi. Le 24 Décembre 1983, une veille de Noël, René HABACHI à Rome l’exprima fort judicieusement au cours d’un colloque consacré au thème d’une approche contrastée et comparée entre hellénisme, judaïsme et christianisme. Son intervention intitulée “Dieu de l’être et Dieu de Jésus-Christ” s’ouvrait ainsi :

‘Quelle étrange coïncidence de commencer cette réflexion sur Dieu une veille de Noël.(...) Sur la cheminée de mon bureau, il y a une horloge. Le cercle des heures, sur l’horizontalité du cadran carré, raconte le passage du temps. L’aiguille compte les instants. Or, je viens de déposer à côté de l’horloge une petite crèche franciscaine. L’aiguille n’a pas bronché, mais un de ses instants s’est soudainement doublé d’une dimension nouvelle qui change toute l’histoire. L’horizontalité de l’instant s’est creusé à l’infini. Dans le filigrane des heures, il y a l’aventure d’un dialogue : celui de l’homme et de Dieu. 1406

Nous trouvons particulièrement heureuse la figure choisie par René HABACHI. Elle exprime dans une saisissante image, l’irruption d’une dimension transverse au temps durée, au temps instant, une dimension, simultanément, pourrait-on dire, inscrite dans une temporalité, comme l’est la naissance du Christ, comme l’est l’ensemble du récit biblique, et, à la fois, révélatrice d’une permanence, d’une dimension autre, transfuge du Royaume d’éternité, perceptible, dès aujourd’hui, dans l’émotion profonde de la foi. HABACHI développait le thème qu’il résumait en ces termes.

‘Autrement dit l’Hellénisme absorbé par le judaïsme ne trouve sa plénitude que dans le christianisme. (...) Pour enregistrer ces résultats, nous ne parlerons pas du Dieu de l’être ou du Dieu de l’amour, mais de l’être-amour de Dieu, sans jamais scinder cette unité. Les deux s’expriment par le don. “Si tu savais le don de Dieu” dit Jésus. Nous disons si tu savais le don qu’est Dieu. 1407

Cette priorité accordée à la foi, au don de la foi, n’est-elle pas celle qui en bout de compte justifie de l’existence d’une orthodoxie dogmatique, d’une orthodoxie canonique relative aux textes du Nouveau Testament ? Le mouvement de la révélation est don de Dieu : tout le reste n’est que grâce. 1408

Notes
1403.

Le déluge est figure du baptême; I Pierre III 20 et suivants.

Dans l’épître aux hébreux (Hébreux XI) Paul rappelle que c’est par la foi :

-que Abel, offrit un sacrifice plus agréable que celui de Caïn (Hébreux XI 3)

-que Hénoch, personnage antédiluvien de la septième génération après Adam, fut enlevé et ne fut plus. (Hébreux XI 4, voir Genèse V 24)

-que Noé et Abraham et Sarah agirent selon la volonté de Dieu, permettant ainsi à la parole de Dieu de trouver refuge et à sa promesse de Dieu de s’accomplir. (Hébreux XI 8 à 12).

Puis, Paul se met à ’évoquer le lien de la foi unissant les chemins d’Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, les murailles de Jéricho qui s’écroulèrent (Josué VI 20), Rahab la prostituée épargnée, (Josué VI 23), Gédéon (Juges VI 11), Barak (Juges IV 6), Samson , de Jéphthé, de David, de Samuel, et des prophètes ....

Paul écrit encore :

“Aussi l’Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a d’avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham: Toutes les nations seront bénies en toi!” de sorte que ceux qui croient sont bénies avec Abraham le croyant.” Galates III 8

Dans le livre de Habacuc (probablement vers 600 avant Jésus-Christ), l’auteur, le huitième des douze “petits prophètes”, appelé parfois le prophète-philosophe, s’interroge sur les causes des malheurs du royaume de Juda, et les raisons du règne de l’injustice dans le monde. Nous trouvons, dès l’Ancien Testament donc, cette promesse, cette prophétie, comme un pont entre les deux alliances, judaïsme et christianisme, l’Ancien et le Nouveau Testament : “Car c’est une prophétie dont le temps est déjà fixé, elle marche vers son terme, et elle ne mentira pas ; si elle tarde attends la, car elle s’accomplira, elle s’accomplira certainement. Voici, son âme est enflée, elle n’est pas droite en lui, mais le juste vivra par la foi (...)” Habacuc II 3 à 4

Cette dernière phrase “le juste vivra par la foi” est, par les rabbins, souvent citée comme étant le noyau du judaïsme.

Source : ”DICTIONNAIRE encyclopédique du judaïsme “ Publié sous la direction de Geoffrey WIGODER “The encyclopedia of judaïsm “ (1989) ; adapté en Français sous la direction de Sylvie Anne GOLDBERG avec la collaboration de Véronique GILLET, Arnaud SÉRANDOUR, Gabriel Raphaël VEYRET ; Cerf Robert Laffont Paris 1996 ; (1635 pages).

1404.

“Dieu donne ce qu’il ordonne” :

Telle était la devise de soeur Antoinette BUTTE fondatrice de la communauté de Pomeyrol.

Édith STEIN écrivait : “Dieu n’exige rien de l’homme sans lui donner simultanément la force correspondante. La foi nous enseigne cela et l’expérience d’une vie emplie de foi le confirme. Le fin fond de l’âme est un réceptacle où l’esprit de Dieu (ou la vie de la grâce) se déverse lorsqu’elle s’ouvre à lui en vertu de sa liberté. Il donne à l’âme une vie nouvelle et la rend capable de réalisations qui par nature la dépassent, en lui indiquant en même temps une direction pour son action”.

STEIN Édith “La puissance de la croix “ Nouvelle Cité Paris 1982 ; (à la page 66 ) ; (EE 110).

1405.

Paul parle en ce sens des arrhes de l’Esprit (II Corinthiens I 22 ; II Corinthiens V 5) comme aussi de l’Esprit comme gage d’un héritage (Éphésiens I 14).

Xavier LÉON-DUFOUR dans “Le Dictionnaire du Nouveau Testament” a cette expression :

“Ainsi, le don de l’Esprit-Saint fait partie de l’héritage promis et en garantit la totalité pour l’accomplissement des temps.”

1406.

HABACHI René in OLIVETTI Marco (diretto da ) “Ebraïsmo, Ellenismo et Cristianesimo” CEDAM Roma Padova 1985

Tome 2 ; ( p 371 ).

1407.

Ibidem ; page 389

1408.

HABACHI, développant la singularité chrétienne d’un monothéisme trinitaire (in ibidem page 387), nous semble assez bien poser la relation entre vérité et histoire, telle qu’elle émerge dans les évangiles. La vérité est toujours un fait subjectif, la singularité chrétienne, la singularité biblique, au contraire du mythe de type grec, sont d’inscrire ce rapport à la transcendance, dans une temporalité objective, et objectivement déterminable. Il reste que cette objectivité ne peut sans doute rendre compte à elle seule de cette foi cependant bien objectivement constatable. HABACHI évoque ainsi indirectement, et nous renvoie donc à toute la problématique contemporaine de la théologie chrétienne, tendue entre vérité et histoire, et spécialement au débat entre les deux termes, à l’intérieur de la théologie protestante de Ernst KÄSEMANN, telle que Pierre GISEL en rend compte.

GISEL Pierre “Vérité et histoire - Théologie dans la modernité : Ernst Käsemann” Beauchesne Paris 1983 ; (675 pages). On peut lire aussi de Pierre GISEL sur un thème proche : GISEL Pierre “Croyance incarnée : tradition, écriture, canon, dogme “ Labor et Fides Genève 1986 ; (166 pages). La question, telle qu’elle se pose, est celle-ci : Le canon biblique, le canon du crédo, manifesté dans les évangiles et les actes font-ils autorité aujourd’hui ? La réponse des théologiens cités ne nous paraît pas très claire. Ils lisent la révélation comme une mouvement s’inscrivant dans l’histoire et dont la forme dépend donc d’éléments extérieurs à son message. L’établissement du canon serait un moment historiquement certes déterminant, mais devenu aujourd’hui, ( pour une foi, fondée sur le kérygme réduit à sa plus simple expression “Jésus-Christ est Seigneur , parfaitement Dieu, et parfaitement homme” ), presque contingent au sens de cette histoire. Dès lors, pourquoi continuer, par exemple à distinguer aujourd’hui encore entre textes apocryphes et textes canoniques ? La réponse de la foi orthodoxe, est claire, cependant. Elle consiste à lire ces textes apocryphes à la lumière des textes canoniques. Une illustration indirecte de cette confusion, voire de ce débat, nous semble apparaître dans l’épisode qui suit concernant Gérald MESSADIÉ. Le livre de Gérald MESSADIÉ publié en 1988 et intitulé “L’homme qui devint Dieu” fut un grand succès de librairie en même temps qu’il suscita une vive polémique, avec, entre autres, de farouches critiques de la part de Pierre GRELOT théologien catholique réputé. En effet, le mystère chrétien est celui de Dieu qui se fait homme et non l’inverse. MESSADIÉ publia ensuite, pour se justifier des positions prises, un second ouvrage qui stipulait ses sources. MESSADIÉ Gérald “L’homme qui devint Dieu” Tome 2 “Les Sources “ 2° édition augmentée de “ Lettre ouverte aux gens de bonne foi et à quelques chiens de garde.” Robert Laffont 1989 1991 ; (372 pages). La bonne foi, et la grande érudition de Gérald MESSADIÉ ne sont pas en cause. Mais son étude fort documentée, faisant la part belle aux écrits apocryphes, se targuait de présenter une figure nouvelle du Christ, un Christ prétendument historique. Il reste donc que la “bonne foi” de MESSADIÉ nous semble faire l’impasse sur l’enseignement par la foi justement, qui est tout de même la base de l’enseignement et de la doctrine des quatre évangiles canoniques et de l’ensemble du message chrétien, tels en tout cas, et cela le plus objectivement qu’il soit, qu’ils sont parvenus jusqu’à nous. En ce sens, la clôture biblique, la clôture néo-testamentaire, et, la distinction entre textes apocryphes et textes canoniques font partie de cette révélation.