Huitième continuum du cheminement de l’alliance. Les “épousailles” de l’universel et du singulier, la marche de Dieu avec l’homme : le don de la prière.

C’est parce que le mouvement premier est de Dieu, qu’il est de l’ordre de la grâce et du don gratuit, mais qu’il interpelle simultanément l’homme en son entier et en sa profondeur, dans son être, sa pensée et son action, par le don gratuit de la vie et de l’amour, que nous pouvons dire que singulier et universel se fécondent et s’épousent de manière propre à la Bible, dans la Bible.

Si toute la Bible évoque en effet, comme permanence, depuis Adam et Ève, depuis Caïn et Abel, jusqu’au Christ, un lien entre la conscience de chacun et la conscience de tous, la conscience de soi, et la conscience d’autrui, dans une réciprocité des consciences, 1409 cheminant tout au long du texte jusqu’à l’invitation à une communion des consciences, entre Dieu et l’homme, entre l’homme et l’homme, entre l’homme et Dieu, nous retrouvons toujours, donc a fortiori, cette permanence au coeur même du cheminement de l’alliance de Dieu adressée par un seul, pour le salut de tous 1410 .

Renée et André NEHER dans “Histoire biblique du peuple d’Israël” balisent ainsi ce cheminement :

‘Rencontre entre Dieu et l’homme, elle scelle une participation commune à une oeuvre commune entre deux contractants, qui n’ont, il est vrai, aucune mesure entre eux, mais qui sont néanmoins désormais partenaires dans le déroulement de l’histoire humaine, parce que l’Un et l’autre peuvent y participer, et ceci en vertu du fait fondamental qu’il y a une intervention possible de Dieu, que tout n’est pas immuablement décidée par un Dieu horloger ou par un Dieu sourd aux voix humaines, et confiné dans un univers transcendant. L’histoire se fait ; le monde n’est pas, il devient et il devient précisément ce que l’homme et Dieu, dans leur comportement mutuel en feront. (...)’ ‘L’Alliance donne à la religion biblique un cachet tout à fait particulier, sensible dès l’époque patriarcale. Ce n’est pas essentiellement dans les rites cultuels que s’exprime le sentiment religieux. Les Patriarches, il est vrai, construisent des autels, érigent des stèles, offrent des sacrifices. Mais la signification de ces gestes religieux ne s’épuise pas pour eux dans les rites eux-mêmes. (...)’ ‘Indépendamment de tout acte sacrificiel on voit les Patriarches prier, et les nuances de leurs prières sont remarquablement riches. Anxieuses interrogations sur la conduite à tenir pour concilier les impératifs de l’Alliance avec les devoirs de la vie (Genèse XVIII 23 à 33 ; Genèse XX 17) ; longues méditations intérieures, élégies sans paroles ou encore brèves formules au contenu dense ( Genèse XVII 17 ; Genèse XVIII 12 ; Genèse XXII 14 ; Genèse XXIV 63 ; Genèse XXVII 27 à 29 ; Genèse XXVII 39 à 40 ; Genèse XLVIII 15 À 22 ; Genèse XLIX 1 à 33), les prières d’Isaac de Jacob constituent la base de toute prière biblique ultérieure. 1413

Selon cette perspective, typiquement juive, la Torah, reçue par Moïse, est prolongement de l’enseignement de Dieu, et, simultanément son accomplissement parfait en quelque sorte.

La vision chrétienne dépasse et accomplit la loi, sans l’abolir, par le don gratuit de l’Esprit-Saint, consécutif à le venue du Fils. Mais remarquons aussitôt que c’est l’église en prière qui reçoit l’Esprit-Saint à la Pentecôte. La prière, comme abandon à l’oeuvre de Dieu, et non convocation de la divinité, à répondre aux seules interrogations humaines, ou encore et surtout, aux désirs capricieux de l’homme en quête de toute puissance, est cette prière présente dans la vie même de Christ qui se retirait souvent pour se tourner vers son Père. La prière se fait alors le lieu d’épousailles, où la quête de l’homme rencontre la vie de Dieu.

C’est donc bien à partir de la prière, de disciples, réunis le jour de la Pentecôte, que, l’époux et l’épouse, figures du Seigneur et de l’Église, par le don de l’Esprit-Saint, à Jérusalem, annoncent les prémices de la création nouvelle qui constituera le projet final de Dieu pour l’homme.

Notes
1409.

Nous empruntons ici le thème et les expressions d’une “réciprocité des consciences” cheminant vers une “communion des consciences” au philosophe personnaliste chrétien Maurice NEDONCELLE. Cet auteur analyse l’éducation et l’élévation de la conscience humaine selon le dialogue d’une réciprocité naturelle basculant vers une communion spirituelle incarnée.

Il développe l’argument d’une “métaphysique de la charité”. Il analyse, la déraison du mal, dans la considération de l’autre comme objet de soi, et la raison de la liberté de la personne humaine, dans la communion à la charité divine. Cette communion est telle une espérance toujours inaccessible aujourd’hui dans sa perfection totalement accomplie. Cette espérance se laisse cependant bien entrevoir, comme étant d’ores et déjà exclusivement vitale et essentielle à chacun, dans l’hic et nunc. La communion des consciences est l’expression d’une parfaite réciprocité, ou, mieux dit, l’expression parfaite ou accomplie de ce principe naturel de la réciprocité. Maurice NEDONCELLE n’envisage pas dans cet ouvrage la rupture d’une conversion (ce dernier terme lui semble même inconnu). Il voit la dimension spirituelle de la conscience dans la continuité de la dimension naturelle de la conscience, il évoque cependant en fin d’ouvrage, dans la conclusion, ( page 322) que cet aspect des choses est incomplet et, qu’il reste en conséquence, à envisager ce en quoi la nature, dans l’antithèse, peut s’opposer à l’accomplissement de la conscience spirituelle et incarnée. Cet ouvrage n’est donc présenté que comme le premier tableau d’un diptyque.

NEDONCELLE Maurice “La réciprocité des consciences - Essai sur la nature de la personne “ Aubier Paris 1942 ; (329 pages).

“ Être cause d’un objet, c’est être extérieur à lui, et il n’y a d’objet que dans l’extériorité. Telle n’est pas la relation d’un sujet à son créateur : l’indifférence n’y est pas possible. ( ...) Les objets passent et aucun n’a de stabilité (...) Dieu n’a en vue que des sujets et il ne veut leurs objets que pour le triomphe de la subjectivité. (...) Au lieu de dire Dieu veut le crime et le permet, il vaudrait mieux dire, Dieu veut le criminel, et le salut du criminel, c’est à dire l’inverse du crime et l’expulsion de ce crime. Mais c’est l’Amour de Dieu pour cet homme qui fait que cet acte est criminel. (pp 273 274).

Il écrit encore en conclusion de son livre :“Le jaillissement des libertés, fût-il sauvage, la contingence brutale des destins ont leur caractère indélébile ; mais ils sont couronnés définitivement par une harmonie qui prend en elle toute souffrance et par un bien qui, respectant tous les maux, crée son triomphe décisif en eux. Nos sentiments exclusifs s’expriment dans une langue infirme qui ne peut rendre l’état divin du Créateur et de la créature. Il faut dire au moins mal qu’on peut : profonde est la douleur, plus profonde encore est la joie. Telle est l’espérance perceptible dans la limite de l’antithèse, malgré la généralité et la semi-solitude de la conscience incarnée.” ( page 376).

1410.

Romains V 12 à 21 ; I Corinthiens XV 20 à 49

1411.

Cette “loi” - appelée noahite parce que révélée à Noé (Noah) ) - est , nous disent André et Renée NEHER, comme l’embryon de la loi qu’ultérieurement Dieu révélera au Sinaï. “Elle est valable pour l’humanité entière et constitue le minimum de ce que l’homme doit au principe moral s’il veut rester digne du nom de créature. Ainsi, le déluge lui-même provoqué par l’injustice humaine, s’achève par l’instauration d’une loi morale universelle, qui, doit désormais permettre à chaque homme de connaître ses devoirs“. NEHER André et Renée “Histoire biblique du peuple d’Israël” Librairie d’Amérique et d’Orient Paris 1988 ; (pp 164 et 165 ). Nous avons là l’exemple d’une lecture juive centrée sur la Torah comme élément central premier et dernier du don de Dieu aux hommes et qui interprète en conséquence le cheminement de l’alliance. Il s’agit là d’une interprétation qui ne correspond ne nous semble-t-il qu’en partie avec une lecture strictement biblique du texte de la Genèse. Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises pourquoi et comment l’alliance passée avec Noé, concernant toute la création, trouve, dans la lecture chrétienne, la dimension de gratuité du don premier de Dieu que l’ accomplissement en Christ accentue encore. Il s’agit selon cette lecture, d’un embryon, certes ... d’une loi, certes encore, si l’on veut bien en accepter le terme, mais d’une loi considéré comme don de Dieu et non seulement comme code religieux, moral, social et politique. La trafition juive hassidique attribue sept obligations pour le monde non juif, toute reliées à cette loi : 1.Interdiction de l'idolatrie 2.Interdiction de blasphémer 3.Interdiction de tuer 4.Interdiction de voler 5.Interdiction des rapports immoraux 6.Obligation d'instituer des tribunaux 7.Interdiction de consommer d'un animal vivant.

1412.

D’après “le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme “, le nom Abram signifie dans la racine araméenne “Le Père est exalté”. Abraham signifie “père d’une multitude de nations” . Selon Xavier LÉON-DUFOUR le nom Âbrahâm signifie selon la racine babylonienne (Il aime le Père).

Selon certaines interprétations de l’étymologie biblique, Abraham serait le premier hébreu (Ibrim) ; selon cette interprétation, les hébreux sont ceux qui viennent d’au-delà de l’Euphrate, sans indication ethnique précise.

Pour d’autres interprétations, les hébreux sont Bné-Eber : fils de Eber (Héber) lui même fils de Sem (Genèse X 22 à 24). Selon cette étymologie , ils sont les sémites. (André et Renée NEHER op. cit 1988); (pp 19 à20).

On peut également envisager que ce nom d’hébreu, ne désigne pas en fait une dénomination d’origine “mais une épithète dérivée de la racine abar qui signifie passer, et qui souligne la transformation radicale (...) suscitée chez les Patriarches par leur vocation.”. (In ibidem page 56).

Ces trois hypothèses étymologiques toujours, quoi qu’il en soit, relient le peuple hébreu :

- bien entendu en priorité, directement aux Patriarches

- et, de façon plus ou moins fortement accentuée, mais néanmoins toujours directe, à Noé.

La dernière des trois interprétations, plus particulièrement, prolonge, le passage du déluge, et annonce le passage de Pessah, la Pâque, comme aussi celui le résurrection du Christ.

1413.

NEHER André et Renée “Histoire biblique du peuple d’Israël” Librairie d’Amérique et d’Orient Paris 1988 ; (pp 59, 60).

Les auteurs mettent en relief dans les lignes qui suivent quatre aspects singuliers de l’Alliance patriarcale au travers de quatre épisodes qu’ils détachent et éclairent de façon plus prononcée.

Ces quatre épisodes sont :

-L’alliance entre les morceaux, lors du sacrifice d’Abram qui tombe dans un profond sommeil ; ( Genèse XV).

C’est dans ce passage que Abram reçoit la confirmation de la promesse de Dieu et apprend que ses descendants seront étrangers dans un pays qui ne sera pas à eux pensant quatre cents ans, avant d’accéder à la terre promise.

-Le sacrifice d’Isaac ; (Genèse XXII).

Abraham est mis à l’épreuve, on voit généralement dans ce texte la condamnation des sacrifices humains.

-Le rêve de l’Échelle à Bethel (Bet-El) par Jacob (Genèse XXVIII 10 à 22 ).

-La lutte avec l’ange à Peniel (Genèse XXXII 25 à 33 ).

Le lien entre ces deux événements forts de la vie de Jacob est dans la double conscience :

- d’une vocation qui concerne plus que la simple postérité familiale, mais est pour la création, entre ciel et terre.

-d’une dimension de combat entre ciel et terre, Dieu et l’homme, en quête de bénédiction divine. Ce qui sera la vocation d’Israël.