Les sept jours (ou temps ) d’une recréation 1447

Il nous faut, à ce point, en préambule, préciser que le jour est bien, bibliquement, l’unité de temps par excellence. Certes, il est question tout au long du récit, de chronologies, de généalogies, d’heures, de semaines, de mois, d’années, et même de jours, lus selon l’acception courante de la journée, mais tout semble ne se construire et ne prendre sens qu’à partir de l’unité première du jour (Yom ), ou temps de Dieu.

Le jour ne signifie donc pas seulement, bibliquement, le temps d’une durée de vingt-quatre heures, nous avons même vu qu’une journée en chevauche une autre, et que sa durée fluctuerait même donc en conséquence, pour qui voudrait vraiment en mesurer la longueur exacte, entre douze et trente-six heures. Le jour est davantage, dans la Bible, le temps, ou l’espace, qui ouvrent le processus d’un accomplissement : le temps de l’accomplissement de la parole, l’espace qui permet l’accomplissement de l’oeuvre de Dieu, de donner pour l’homme un sens, de retrouver le sens, de cette parole première.

Remarquons encore, de façon presque anecdotique, qu’il est généralement admis que les mois bibliques n’ont trouvé, pour Israël, un nom, qu’après la déportation à Babylone, entre 598 et 538 avant Jésus-Christ. Des noms empruntés donc aux babyloniens.

Nous avons dit que l’enseignement qui émane de ce texte ne se calque décidément pas non plus sur les spéculations astrologiques : l’astrologie, la prédestination et la superstition qui en découleraient sont des sciences contre lesquelles le peuple d’Israël est mis en garde dès l’origine, et, qui ne semble pénétrer son histoire que par l’effraction, au contact des civilisations voisines. 1448

Le jour renvoie au livre de la Genèse et au récit de la création en sept jours.

Le cheminement de l’alliance agit comme un chemin vers une création nouvelle, d’hommes nouveaux, de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre, dont le Christ, accomplissement du chemin, et du projet divin, est le signe, le premier né. Nous pouvons considérer les sept jours de la création nouvelle comme sept jours successifs retraçant une lecture biblique de l’histoire, au devant de nous, derrière nous.

  1. Tout vient de Dieu à la fois créateur et personne.
  2. Dieu choisit, élit et envoie. L’incarnation de la Parole .
  3. Dieu s’est donné un peuple pour le louer, la louange fonde son enseignement donne la victoire.
  4. La kénose : Dieu a tant aimé le monde ... qu’il se “vide” pour lui ...
  5. La communion d’église, l’entrée dans la communion de Dieu.
  6. L’eucharistie du grec eukharistia “action de grâce” .
  7. L’envoi dans le monde ... Le partage et la multiplication de la bonne nouvelle par l’action de grâce.
  8. Tout retourne à Dieu, l’attente du retour du Christ. La Parousie.

Nous reprenons ici, à vrai dire, sans trop de surprise, mais cependant bien involontairement, nous rejoignons donc au moins en partie, nous semble-t-il, mais à partir d’une lecture singulière, certains des éléments fondateurs et singuliers de la théologie des sectateurs protestants biblistes du mouvement des “adventistes du septième jour”, 1449 qui pensent que, comme la création s’est faite en sept jours, le projet de la rédemption divine s’accomplit lui aussi en sept jours et que nous serions donc à présent entrés dans l’avent de ce septième jour.

Cependant, l’ordre évoqué, s’il s’oppose au désordre du chaos et du non sens, n’en reste pas à la seule disposition chronologique des temps, les uns par rapports aux autres, et, qui se succéderaient sans relations autres qu’une disposition selon la linéarité de la chronologie temporelle des uns par rapport aux autres. Cette lecture serait, de notre point de vue, encore impropre à rendre compte de la spécificité intrinsèque de ces notions typiquement bibliques agissant selon un rapport à la prophétie, faite de renouvellements et d’accomplissements. On peut dire et soutenir qu’à chacune des étapes, dès lors, on retrouverait comme en “présence seconde” les six autres qui permettent d’ailleurs de comprendre comme rétroactivement le projet de Dieu, son plan de salut pour les hommes.

Il nous semble retrouver, là, en particulier, le sens du premier chapitre de l’évangile de Jean. Le livre des psaumes qui rythment l’histoire liturgique et biblique du peuple d’Israël, écrit sur pratiquement mille ans d’histoire, 1450 retrace peut-être mieux que tout autre livre, cette spécificité biblique, faite de successions dans une permanence, (une invariance), d’actes et de faits inscrits comme dans le combat de Jacob, entre Dieu et son peuple, dans un dialogue, une quête de bénédiction incessante.

Alors, sans que la formule ne soit par trop réductrice, on peut dire que le temps se fait projet. Au don de Dieu, l’homme est invité à répondre par le don de lui-même, et de toutes choses qui lui sont offertes, de tous les temps que traversent son existence, dans la consécration, la louange et la prière permanentes, quotidiennes et renouvelées, afin que la prison se transforme en liberté, et le projet de mort en projet de vie. Comme ce passage du psaume trente et un l’évoque bien.

‘“Et moi, je m’assure en Toi, Yahvé, je dis : C’est toi mon Dieu,
mes temps sont dans ta main, délivre-moi des mains hostiles qui s’acharnent ; fais luire ta face sur ton serviteur; sauve-moi par ton amour. ” 1451

Alors, même si la seule directive de Jésus, est la prière qui ne demande dans la confiance, à l’ l‘exemple du Notre Père, que le pain pour “ce“ jour, appelant à vivre, ainsi, d’ores et déjà, l’Éternité, la communion d’Éternité, dans cette unité première du jour, le jour de Dieu, chaque jour, chaque instant de chaque jour, où s’accomplit la Parole de Dieu, dans l’hic et nunc ; la liturgie, les liturgies chrétiennes, qui nous viennent du développement de la piété organique d’un peuple en quête de communion d’église, en marche, avec son Dieu, n’en revêtent pas moins, un certain sens, un sens certain, de type pédagogique, aidant l’homme isolé, les communautés chrétiennes, les églises instituées, à entrer justement dans “l’aujourd’hui” de Dieu en accordant cet aujourd’hui, dans la mémoire d’une histoire commune, à l’espérance d’un accomplissement.

Cet aujourd’hui de Dieu, ne se vit plus de façon isolée, mais en communion d’église, il ne concerne plus le ”moi” de chacun, isolé des autres, mais il ouvre à la communion éternelle nouvelle et renouvelée, de l’église, passée, présente, à venir, depuis le commencement des temps, jusqu’à l’accomplissement des temps .

Antoinette BUTTE parlait, ainsi, dès lors, du sens des liturgies, oeuvres communes qui accompagnent les différents cycles du temps de l’église, des jours, des semaines, des années.

‘La vie liturgique est sanctification du monde. L’action liturgique l’ordonne et la pénètre. Par elle, tout est signifiant. Sanctification des trois cycles : du jour, de la semaine, de l’année Sanctification et signification du jour, au lever, à midi, à la tombée du jour, au coucher. L’action de grâces aux repas. Sanctification de la semaine, par l’oeuvre des six jours, le repos respecté, le rappel de la Passion le vendredi, la fête de la Résurrection, chaque dimanche. Sanctification de l’année, ordonnée par les mystères de la foi : celui de l’Incarnation : Avent, Noël, Épiphanie - celui de la Rédemption : Carême, Semaine Sainte, Pâques, Ascension - et le Temps de l’Église : Pentecôte, Transfiguration Mémorials d’octobre et novembre qui sont fêtes de l’Église triomphante, des Pères, des martyrs, des saints, par l’Église militante et souffrante en marche vers le Royaume qui vient. 1452

Cette liturgie, oeuvre commune, se nourrit cependant tout autant qu’elle l’appelle de la rencontre singulière de chacun avec Christ. Antoinette BUTTE (1898 - 1986 ), bien que fondatrice de la communauté de Pomeyrol et inspiratrice de nombreux textes liturgiques, resta toute sa vie fort discrète quant à leurs origines, les considérant essentiellement comme reçus et partagés et participant de l’oeuvre commune. Les textes qui provenaient d’elle-même parsèment cependant la liturgie communautaire de Pomeyrol, jusqu’à gagner parfois d’autres pratiques communautaires. On retrouve, à partir de ses notes personnelles, l’explication qu’elle donne de la naissance, dans les temps de la dernière guerre mondiale et de l’occupation, d’une prière qui, écrit-elle, lui fut “donnée “ et qui, aujourd’hui, est connue, et souvent reprise par les communautés chrétiennes de diverses confessions.

‘J’étais assise dans le parc de Pomeyrol, dominant légèrement la vallée, dans ce tintamarre effrayant que je ne pouvais pas comprendre. J’étais seule et me sentais abandonnée dans ce pays où j’étais encore une étrangère. C’est alors que cette prière me fut donnée.’ ‘Seigneur,Tu m’as toujours donné
Le pain du lendemain
Et bien que pauvre
Aujourd’hui je crois ’ ‘ Seigneur,Tu m’as toujours donné
La force du lendemain
Et bien que sans force
Aujourd’hui je crois

Seigneur,Tu m’as toujours donné
La paix du lendemain
Et bien qu’angoissé
Aujourd’hui je crois
’ ‘ Seigneur,Tu m’as toujours gardé dans l’épreuve
Et bien que dans l’épreuve
Aujourd’hui, je crois

Seigneur,Tu m’as toujours tracé
la route du lendemain
Et bien qu’elle soit cachée
Aujourd’hui je crois
’ ‘Seigneur,Tu as toujours éclairé mes ténèbres
Et bien que sans lumière
Aujourd’hui je crois ’ ‘Seigneur,Tu m’as toujours parlé
quand l’heure était propice
Et malgré ton silence
Aujourd’hui je crois ’ ‘Seigneur,Tu as toujours été l’Ami fidèle
Et malgré ceux qui trahissent
Aujourd’hui je crois ’ ‘Seigneur Tu as toujours accompli tes promesses
Et malgré ceux qui doutent
Aujourd’hui je crois . 1453

Le texte même de cette prière, signifie le combat incessant de la foi, qui, au coeur des nuits les plus sombres, à la façon dont l’exprima si fort, la quête spirituelle de Saint JEAN DE LA CROIX, se nourrit de la mémoire, pour retrouver au sein même des plus profondes ténèbres, l’espérance qui donne de s’abreuver à la fontaine de la vie éternelle.

‘Je connais la fontaine qui sourd et coule, Bien que de nuit 1454

Nous retrouvons une prière semblable, prière de veille, dans la règle du Tiers Ordre des Veilleurs fondé par Wilfred MONOD, au début de ce siècle, dans un monde en proie aux guerres, crises et mutations de tout ordre. Cet Ordre des Veilleurs, cette prière et ses perspectives influencèrent Roger SCHUTZ et Antoinette BUTTE, fondateurs respectivement des communautés protestantes à l’origine, mais à vocation tout autant oecuménique qu’évangélique, de Taizé et de Pomeyrol.

‘Prie et travaille pour qu’Il règne. Que dans ta journée, labeur et repos soient vivifiés par la parole de Dieu. Maintiens en tout le silence intérieur pour demeurer en Christ. Et pénètre-toi de l’Esprit des béatitudes : joie, simplicité, miséricorde. 1455
Notes
1447.

Note connexe numéro 19 “Les temps de l’alliance.”

Extraits de : “De l’action éducative de la Bible : L’enseignement et l’éducation par la foi, première introduction à une pédagogie autre.” pages 158 et 159

1448.

Page 245 en T4 ; le sondage réalisé associe déchristinisation et recrudescence du magisme.

L’astrologie, bien que radicalement et vigoureusement réfutée par le texte biblique (Lévitique XIX 26 entre autres), trouva dans la culture juive, des diasporas successives, un certain écho. Elle est l’exemple typique où la tradition orale juive est en retrait, et semble-t-il parfois en totale contradiction, avec le texte biblique qui a sur le sujet une position très radicale.

Le Moyen-Âge, en particulier, vit , autour de la kabbale, le développement de certaines positions défendant l’astrologie, dont voici quelques représentants :

-SAADIAH, (Ben Yosef) GAON (882-942), grammairien hébraïque fervent, profondément influencé par l’école des mutazilites (motazales). Il fut aussi l’adversaire déclaré des caraïtes, secte juive minoritaire , qui encore aujourd’hui contestent l’apport de la tradition orale, pour ne se référer essentiellement qu’à la Bible et à la Torah. Il présida l’académie de Babylone de Soura, dont il fut un gaon (maître) des plus célèbres, après avoir été nommé dirigeant de l’autre académie babylonienne, celle de Poumbedita.

-Salomon IBN GABIROL (1020 env. -1057 env. ) poète et philosophe juif sensible à la distance infinie qui sépare l’homme de son Créateur, dont le plus connu des recueils poétiques est “ Kèter Malkhout” (la couronne royale ), intégré dans le rituel liturgique sefarade de Yom Kippour.

-Abraham IBN EZRA (1092 - 1167 ) considéré parfois, - après avoir attribué à Josué, la rédaction de la mort de Moïse, en Deutéronome XXXIV, et émis, avec grande prudence cependant, l’hypothèse, le premier, semble-t-il, de l’existence d’un deuxième prophète Ésaïe (Isaïe ) ayant vécu et enseigné à Babylone, pendant l’exil, et qui serait l’auteur des vingt-six derniers chapitres du livre d’Ésaïe (Isaïe) -, comme le premier critique juif de la Bible.

-NAHMANIDE (RaMbaN) (1194 - 1270 ) qui, bien que disciple sur certains points du MAÏMONIDE, disait préférer se confier à la tradition rabbinique plutôt qu’à la raison pour lire et comprendre les Écritures.

L’adversaire numéro un de l’astrologie, dans le monde juif, en cette période du Moyen-Âge, fut justement Moïse MAÏMONIDE (RaMBaM) (1135 ou 1168 -1204 ) dont une partie de l’oeuvre principale “Le guide des égarés“ traite d’astronomie et non d’astrologie. MAÏMONIDE s’intéresse principalement, à la manière de PTOLÉMÉE (90-168 ), dont il connaissait bien l’oeuvre, à l’aspect physique, mécanique, optique, et scientifique donc, de l’étude du mouvement des astres qu’il considère donc comme des objets soumis aux lois naturelles.

Source principale : “DICTIONNAIRE encyclopédique du judaïsme “ Publié sous la direction de Geoffrey WIGODER “The encyclopedia of judaïsm “ (1989) ; adapté en Français sous la direction de Sylvie Anne GOLDBERG avec la collaboration de Véronique GILLET, Arnaud SÉRANDOUR, Gabriel, Raphaël VEYRET ; Cerf Robert Laffont Paris 1996 ; (1635 pages).

1449.

Cette communauté chrétienne évangélique, très bibliste, naquit aux États-Unis en 1844, suite à la prédiction de William MILLER (1782 - 1849 ) annonçant le retour du Christ en cette date de 1844, prédiction bien entendu non confirmée. Depuis les adventistes continuent de se référer aux écrits de Elen WHITE (1827 - 1915 ).

Il reste cependant, que le schéma que nous donnons n’est pas propre exclusivement à la théologie adventiste. Il est, nous semble-t-il, tout aussi proche de toute la lecture originellement réformée, mais sans doute aussi évangélique, catholique ou orthodoxe, du sens de l’histoire, comme aussi, elle rejoint ou retrouve, par ailleurs la vision de l’église des premiers siècles. Les adventistes n’ont fait qu’accentuer l’interprétation selon laquelle nous serions, sinon entrés, du moins dans les temps l’avent du septième jour.

Pour cette marche de l’histoire, culminant et se “sourçant” en Christ, on peut lire l’ouvrage devenu classique en théologie protestante et évangélique : CULLMANN Oscar “Christ et le temps” Delachaux & Niestlé Neuchâtel Paris 1947 ; Labor & Fides Genève Paris 1966 ; (208 pages).

1450.

“Les 150 psaumes qui constituent actuellement le livre biblique des Tehillim sont les fruits de dix siècles d’histoire hébraïque. L’un d’entre eux est de Moïse (Psaume 90). Un autre a été composé lors de l’Exil de Babylone (Psaume 137) : c’est à dire que presque toute la période biblique de l’histoire d’Israël est embrassée par ces textes dont la diversité n’a dès lors rien de surprenant.”

NEHER André et Renée “Histoire biblique du peuple d’Israël” Librairie d’Amérique et d’Orient Paris 1988 ; (page 509).

Même si la datation des psaumes reste largement problématique, notons que quelques uns sont attribués à des personnages bien définis.

Ainsi un psaume est attribué à Moïse, soixante-douze à David, deux à Salomon, douze à Asaph, un à Héman, et un à Étan.

1451.

Psaume XXXI 15 à 17 (Bible de Jérusalem ...)

1452.

BUTTE Antoinette “Semences “ Édition Oberlin Strasbourg 1989 ; (page 60).

Voir aussi, citée dans la bibliographie, la liturgie de Pomeyrol ; à la page 160.

1453.

In ibidem ; page 49

1454.

SAINT JEAN DE LA CROIX, dont l’ensemble du texte,est traduit sous forme de poème par Y. HERBERT in “Cahiers de Pomeyrol numéro 6 “ “Le matin vient ... Non à l’angoisse “ Éditions Oberlin Strasbourg 1981 ; (page 31 ).

1455.

Ce texte si simple, et si pénétrant, marqua profondément le renouveau communautaire du protestantisme français, de Taizé& à Pomeyrol. Ainsi, la Règle de Taizé écrite par Roger SCHUTZ en l’hiver 1952 - 1953, alors qu’il vivait depuis douze ans, depuis l’entrée du second conflit mondial, sur la colline de Taizé, d’abord seul pendant deux ans, avant d’être rejoint par les premiers frères, est habitée, par un commentaire de la règle des veilleurs. RÈGLE DE TAIZÉ (LA) Imprimerie Charles PLANCHER Bonneville Haute Savoie (1954 ) ; (pp 33 à 47 ). BUTTE Antoinette “Le chant des bien aimés” Édition Oberlin Strasbourg (2° édition ) 1984 ; ( page 51). Antoinette BUTTE adhéra à l’ordre des veilleurs en 1918, peu après sa fondation .