De la violence au pardon de degrés en degrés :

Frédéric DE CONINCK propose une forte intéressante analyse, une thèse très claire, qui sur le chemin de l’histoire retracée par la Bible, au fil de ce chemin, aboutit à l’enseignement du Christ par une progressive résorption de la violence, analyse que nous ne ferons que survoler dans cette thèse mais qui mériterait à elle seule toute une étude.

‘Je pense pourtant que la Bible est traversée par un projet d’épuisement de la violence qui progresse de contexte en contexte à travers une série de degrés.’ ‘On raisonne en effet, trop facilement (sur la violence comme sur d’autres sujets) en termes de tout ou rien. Or il me semble qu’on peut tracer un certain nombres de degrés.’ ‘Le niveau 0 est celui de la guerre civile, de tous contre tous, de la loi du plus fort.’ ‘Le niveau 1 s’attachera à préciser les cadres de la vengeance privée.’ ‘Le niveau 2 essayera de limiter la portée de cette vengeance privée.’ ‘Le niveau 3 déléguera cette violence à un tiers indépendant des parties : à un juge.’ ‘Le niveau 4 travaillera à la prévention de la délinquance.’ ‘Le niveau 5 cherchera la réconciliation entre le coupable et la victime.’ ‘Le niveau 6, enfin, visera le pardon sans condition, et unilatéral le cas échéant.’ ‘Si l’on prend cette grille de lecture on s’apercevra que l’ensemble des auteurs bibliques ont appelé, en fonction du contexte qui était le leur, leurs contemporains à progresser d’un degré. 1456

Comment interpréter cette intéressante échelle progressive proposée par Frédéric DE CONINCK ? Nous allons ici proposer un court développement de son trop court article.

À chaque niveau, nous pouvons retrouver un temps du récit biblique, comme autant d’étages, d’une progressive élévation de l’homme, d’un progressif abaissement de Dieu, qui donne à laisser entendre, à chaque fois de manière plus précise, son projet final d’épuisement de la violence.

Cette approche de DE CONINCK ne tombe pas dans le piège du moralisme, elle en dépasse l’obstacle que constituerait sa perspective en regard de la grâce. Le projet n’est pas oeuvre humaine, mais inscrit dans l’histoire biblique, comme grâce de Dieu. Fruit de la Pédagogie divine. Elle nous explique comment, en bon pédagogue, Dieu donne à chaque étape, ouvre pour l’homme, à chaque stade, un nouvel horizon juste assez large pour que celui-ci puisse avancer, en saisir l’objectif.

La réponse appelée à donner par l’homme, à l’appel d’offre à chaque fois plus profond et précis de Dieu, est, au fur et à mesure, plus exigeante, certes, difficile à atteindre, mais toujours à la portée de son intelligence qui reçoit à chaque étape du cheminement de la révélation, le discernement nécessaire à cette réponse. Ce qui rapproche dès lors, l’homme de Dieu, ce qui l’extrait de la spirale infernale de la violence, n’est pas tant la capacité humaine à inventer et à produire, que, la prise en compte consciente de son incapacité essentielle, se transformant selon l’oeuvre de Dieu, par l’effet d’une rencontre décisive, en capacité à confier toute chose, à marcher par la foi, à confier à Dieu sa route.

Le dernier niveau, le stade ultime de la révélation, de l’enseignement de Dieu pour l’homme, est celui de la Pentecôte, du don gratuit de l’Esprit-Saint, qui donne à l’homme qui le reçoit la possibilité désormais d’entrer dans les propres vues divines, d’aimer comme Dieu aime, de pardonner comme Dieu pardonne, à la suite de Jésus, en communion avec Lui.

Développons à présent, par quelques mots seulement, chacun des niveaux, selon notre interprétation propre et personnelle de l’analyse de Frédéric DE CONINCK.

Au niveau zéro, nous serions sous la dictature de la“la loi de la jungle” : c’est la loi naturelle, conséquente du péché de l’homme, loi organique, qui se rapporte à celle de la vie des cellules où survivre, semble être tout le sommet de l’impossible et bien réduite espérance, nous retrouverions la situation de Caïn 1457 , livré à lui-même après le meurtre de Abel 1458 , situation de l’homme chassé du jardin d’Éden, avant la première intervention même de Dieu, juste après le meurtre de Abel ...

Au niveau un, s’ouvrirait “l’entrée dans le processus de réparation privée.” C’est la promesse que fait Dieu à Caïn de le venger jusqu’à sept fois si quelqu’un porte jamais atteinte à sa vie, et le signe mystérieux que Dieu pose sur Caïn. 1459

Au niveau deux, nous trouverions la loi de Moïse, qu’on peut parfois trop sommairement résumer par la loi du talion, et qui reste dans le cadre d’une justice privée, d’équité, car elle s’adresse directement à chacun, en posant à la fois les bases d’une justice réparatrice, et la révélation du péché qui sépare l’homme de Dieu.

Au niveau trois, nous entrerions dans le temps des juges d’Israël, où la loi est un instrument d’application confié à un tiers, serviteur de Dieu et des hommes, connu pour sa sagesse et fidélité.

Au niveau quatre, nous entrerions dans le temps des prophètes, prévenant Israël des malheurs qu’il encoure à être infidèle, ou, au contraire, lui ouvrant une perspective eschatologique inespérée et universelle. DE CONINCK l’appellera la prévention de la délinquance.

Au niveau cinq, nous trouverions l’appel à la réconciliation, avec le prochain ; c’est le dernier message des prophètes qui rejoint toute la foi des juifs, appelés à être ambassadeurs de réconciliation ; on le trouve particulièrement dans le message de Jean-Baptiste.

Le niveau six irait plus loin, encore, à l’instar de Jésus sur la croix, il pardonne, unilatéralement, s’il le faut.

Ce cheminement proposé par DE CONINCK, suppose une lecture intrinsèque et historique de l’action de la parole biblique. Il présente les quelques particularités suivantes :

Notes
1456.

DE CONINCK Frédéric “De la violence au pardon, de degré en degré “ in “Foi Éducation” Revue trimestrielle de la fédération protestante de l’enseignement. Nouvelle série numéro 97 ; Janvier Mars 1997 ; (page 5).

1457.

Le nom de Caïn signifie “artisan forgeron”. Certains commentateurs voient en lui l’ancêtre des initiateurs des progrès techniques aux arts mécaniques, (ainsi que des musiciens) marchant sur les voies de Balaam, prophète égaré, devin, (Nombres XXII 24; Nombre XXXI 16; ) ; (Genèse IV 1 à 25; I Jean III 12 ; Jude 11)

1458.

Le nom de Abel signifie “souffle vapeur “. On peut donc en regardant l’étymologie des deux noms discerner dès l’origine, la préférence de Dieu pour le souffle, la vapeur, l’esprit, sur la technique.

1459.

Genèse IV 13 à 16

Dans le livre du prophète Ézéchiel (IX 4 à 6 ) une marque posée sur le front des hommes, qui selon la note de la TOB reproduit la lettre hébraïque Taw, et avait primitivement la forme d’une croix est destinée à les épargner de la colère de Dieu.